Ayant voté à gauche en 2007 puis, encore, en 2012, je ne suis que plus à l’aise pour dire combien cette affaire d’écoutes judiciaires diligentées, un an durant, contre Nicolas Sarkozy me semble sidérante et, sur le plan des principes, éminemment choquante.
Choquante, déjà, la mise sur écoutes d’un ancien président qui était aussi, de fait, le chef de l’opposition républicaine : en surveillant l’un, on surveillait les autres ; en s’immisçant dans les conversations du premier, on se mettait en position, unique dans les annales, de tout savoir des faits et gestes de ce parti adverse dont la liberté de mouvement est, en démocratie, sacrée ; le Watergate n’était pas loin ; un Watergate sans plombiers et avec juges, mais un Watergate quand même.
Choquant, aussi, le style de ces écoutes – cette stratégie de pêcheur à la ligne où ce n’est pas le soupçon qui motive l’écoute, mais l’écoute qui crée le soupçon et où, même si on ne sait pas bien ce que l’on cherche, on ne doute pas qu’en laissant traîner l’hameçon le temps qu’il faut on finira par trouver quelque chose : cette forme d’écoute aléatoire, ce renversement du classique « Surveiller et punir » en un « Surveiller et prévenir » qui relève de la loi des suspects plus que du droit, ce style d’écoute paresseuse qui dispense de l’enquête à l’ancienne avec recueil et recoupement d’indices autour d’une présomption sérieuse et dûment fondée, est, même pour les grands délinquants, un détournement de procédure et de moyens publics ; que dire alors lorsqu’il s’agit d’un homme d’Etat qui n’a jamais été condamné, que l’on sache, dans la moindre affaire d’emplois fictifs, d’appartement au prix sous-évalué ou de délinquance barbouzarde à la « Rainbow Warrior » ?
Il existait un soupçon, objecte-t-on, et c’était l’affaire Kadhafi. Il existait des indices de financement, par la Libye, de la campagne de 2007 – et c’était, semble-t-il, le motif de cette mise sur écoutes hors normes… Cet argument, pour le coup, est honteux. Car ces indices étaient, en la circonstance, les dires d’une Amazone de Tripoli ; un document dénoncé comme faux tant par son supposé signataire (Moussa Koussa) que par son supposé destinataire (Bachir Saleh) ; et les aveux de ce grand témoin de moralité devant l’Eternel qu’est M. Ziad Takieddine… Et puis, indices pour indices, il en existe un autre qui va dans le sens opposé et qui aurait dû, à tout le moins, faire trembler la main qui a signé l’ordre d’écoutes : le dictateur libyen a eu six mois pour produire les « preuves » qu’avait annoncées l’un de ses fils avant le déclenchement de la guerre ; il avait, à 100 mètres de sa forteresse de Bab al-Azizia, les chaînes de télévision du monde entier qui n’attendaient qu’un mot de lui pour en faire un scoop planétaire ; il avait la possibilité, ce faisant, de disqualifier son ennemi et, en le disqualifiant, d’arrêter instantanément les bombardements qui allaient lui coûter le pouvoir et la vie – or ce mot, il ne l’a jamais prononcé ; or ce scoop, il ne l’a jamais produit…
Honteuse encore la saisie du téléphone professionnel d’un avocat, Me Herzog, dont la confidentialité des échanges avec son client est la base d’une défense équitable et qui est aussi, forcément, l’avocat d’une foule d’autres clients qui se voient pris dans la même nasse et savent désormais que leurs courriers électroniques, leurs messages, leurs éventuelles confessions sont sur la table d’un juge qui, pour être juge, n’en est pas moins homme, avec la part de petites faiblesses, peut-être de curiosités, qui sont le lot de tous les hommes : de quel droit, là aussi ? au nom de quoi cette indiscrétion ? en vertu de quel passe-droit cette effraction dans un espace d’interlocution qui a, comme avec les médecins ou, jadis, les confesseurs, vocation à rester fermé, hors de tout regard, inviolé ? il y a des exceptions, nous dit-on ; ce secret est en effet sacré, sauf si l’avocat en question est lui-même un grand bandit dont des indices graves laissent, à nouveau, soupçonner que, etc. ; eh bien, on attend les indices graves… et les juges responsables de cette mise en suspens sans précédent des droits de la défense ainsi que de cette atteinte, rare, à l’honneur d’un ténor du barreau ont, à mon humble avis, intérêt à se trouver, très vite, une excuse et un alibi plausibles…
Et puis j’allais oublier les arguments de café du commerce du type : « il n’y a qu’un voyou pour se procurer un deuxième portable sous un nom d’emprunt ». Eh bien, je comprends, moi, au contraire, que lorsqu’on se sait épié et couché, jusque dans sa vie privée, sur la « table d’anatomie morale » chère à Paul Bourget, je comprends que, lorsque la justice, au lieu de protéger votre droit au secret, est la première à le piétiner, on ait la tentation de se protéger soi-même, et comme on peut. Et quant à la forte sentence signée, hélas, d’un ministre de la République, M. Benoît Hamon, selon laquelle « quand on n’a rien à se reprocher, ce n’est pas grave d’être sur écoutes », elle est non seulement inepte mais ignoble : n’est-ce pas précisément quand on est innocent que cette intrusion des grandes oreilles, un an durant, dans l’espace inviolable de notre intimité est un cauchemar ? et faut-il avoir l’âme basse pour imaginer qu’un homme n’a à cacher que ses forfaits ?
Cette affaire, on l’aura compris, pose la question du droit au secret en démocratie.
Par-delà le cas Sarkozy, elle illustre la terrible passion des maniaques qui sont prêts, au nom de la transparence et de la pureté, à sacrifier ce fondement des droits de l’homme qu’est le droit, pour le sujet, à l’opacité et au mutisme.
Elle dit l’urgence de mettre des limites au désir sans limite, chez l’Autre, d’arraisonner la part d’ombre de chacun.

13 Commentaires

  1. Monsieur,
    Je suis entièrement d’accord avec votre analyse, et je vous félicite pour votre courage.

  2. Bravo, votre intervention me met du baume au cœur. Par expérience je sais à quel point il est insupportable d’être insidieusement écouté et de se sentir ainsi traqué lorsque l’on n’a rien à se reprocher et que l’Autre cherche seulement à vous abattre pour éliminer un concurrent.

  3. Je suis loin d’adhérer à toutes les causes que vous défendez, bien qu’il m’arrive parfois de partager certains de vos combats. Comme vous néanmoins, je me réclame plutôt de la gauche démocratique, si ces mots ont encore un sens dans les débats politiques actuels. Disons que modestement je m’efforce de faire vivre certains principes humanistes de solidarité et de progrès acquis – presque – par héritage depuis des décennies. Dans cette affaire des écoutes de Sarkosy – dont je ne fus jamais un familier ou un fidèle – mon opinion – mon indignation – est la même que la vôtre et les propos prêtés au ministre Hamon sont proprement scandaleux. A juste titre vous les dénoncez. Merci pour votre billet qui rappelle certains principes sacrés de nos démocraties, dont la transgression est la porte ouverte à la barbarie.

  4. je partage tout a fait d accord les termes de cet article .LE COMPORTEMENT DE LA GAUCHE EST DIGNE DU PIRE DES ETATS TOTALITAIRES ON SE CROIRAIS EN CHINE EN COREE DU NORD OU TOUS LES SERVCES DE L ETAT N ONT QU UNE PREOCCUPATION DETRUIRE SES OPPOSANTS . DES JUGES QUI SE DISENT IMPARCIAUX QUI SOUTIENNENT HOLLANDE A LA PRESIDENTIELLE AFFICHENT LE MUR DES CONS ET S OFFUSQUENT DES PROPOS D UN AVOCAT A LEUR EGARD .POUR ETRE RESPECTER IL FAUT ETRE RESPECTABLE CE QUI N EST PLUS LE CAS APRES DE TELS AGISSEMENTS DE LA PART DES GENS SENSES RENDRE LA JUSTICE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS ET NON EN FONCTION DE LEURS OPINIONS POLITQUES.DES JUGES SENSES FAIRE APPLIQUER LA LOI ET QUI NE LA RESPECTE PAS EN ABREUVANT LES MEDIAS DE PIECES ETANT SENSEES FAIRE PARTIE D UN DOSSIER ET QUI NE RESPECTE PAS LE SECRET DE L INSTRUCTION NI LA PRESOMPTION D INNOCENCE des magistats se prenant pour des stars qui font des conférences de presse dernier exemple chevaline ou l on traine un innocent dans la boue sans la moindre retenue et on le livre a la meute de chiens journalistiques sans s excuser d avoir salit son honneur simplement pour nous faire croire que cette justice travaille M LAMENTABLE MONSIEUR AYRAULT VOUS ETES BIEN PLUS QUE DEPARDIEU

  5. je ne vous aime pas particulièrement monsieur Lévy ! mais je vous dis merci pour vôtre honnêteté intéllectuelle et je pose cette question : jusqu’où iront ils dans l’insulte ? pervers , racaille , délinquant , voyou , sale mec , le nain barbouze ASSEZ !! aucun homme d’état n’a connu pareil acharnement depuis longtemps , cela devient abject et j’espère que toute cette boue va leur revenir en pleine figure ! un tel déferlement de haine jamais vu à ce jour , faut’il qu’ils soient au fond du trou pour se comporter pareillement ? il est grand temps que la presse se réveille et passe à l’offensive sinon ça peut finir très mal pour nôtre pays et la démocratie …………

  6. Merci à vous, monsieur BHL.
    Nous sommes nombreux à penser comme vous, quoi qu’ait fait NS.
    C’est à la « vraie » justice de faire son travail. Certains ont tout intérêt à se taire car l’effet boomerang ne tardera pas à jaillir.

  7. vite fait un extrait/rappel de l’environnement intelectuel de Paul Bourget (Wikipédia)
    En 1899, après de longues hésitations et sur les instances de Maurice Barrès, Paul Bourget signe la pétition antidreyfusarde de la Ligue de la patrie française dont la plate-forme idéologique soutient la défense de la race et l’antisémitisme (Edgar Degas et Auguste Renoir en font également partie). L’attitude de l’écrivain vis-à-vis de ce mouvement qu’il qualifie « d’opportuniste » est cependant critique et Bourget reste réservé, méfiant sur ses dirigeants : « Lemaître n’est qu’un anarchiste par bien des portions de son esprit […] et Coppée, un jacobin typique ». Il est de même opposé à ceux qu’il traite de « fanatiques », Maurice Pujo et Henri Vaugeois en particulier, et reproche à Charles Maurras son « impuissance à refréner leurs ardeurs ». Le romancier met ses espoirs dans l’Action française, mouvement patriotique farouchement antidreyfusard, antisémite, antiprotestant et xénophobe, participant aux banquets de L’Appel du soldat et prononçant souvent les discours d’ouverture de l’assemblée annuelle de ce mouvement politique nationaliste

  8. Bonjour. Je suis un de vos fervents supporters et lecteur. Supporter dans vos prises de position en général et j’ai été passionné par l’exposition dont vous assuriez le commissariat cet été à la fondation Maeght. C’est pour cela que je suis surpris par cet éditorial qui ne vous ressemble pas. Il vous ressemble si peu que vous vous permettez de parler d’un dossier que vous ne connaissez pas (enfin j’espère ?), pas plus que moi, et tirant des conclusions d’ignorances. Je ne comprends pas que vous, admirateur des lumières, osiez à ce point mettre en cause la séparation nécessaire entre le législatif et l’exécutif. Je vous estime trop pour penser que ceci puisse avoir un rapport avec la relation entre vous et Nicolas Sarkozy à propos de la Libye. D’autres n’auront pas mes retenues.
    Quand à votre conclusion,elle est surréaliste. Assimiler le rôle normal d’un juge d’instruction à celui d’un maniaque de la transparence laisse pantois. Ressaisissez vous ! On a besoin de vous !

  9. Enfin! enfin la voix d’un grand intellectuel pour protester contre le principe des écoutes téléphonique concernant Nicolas Sarkozy!! il était temps! jusqu’ici seul Jacques Attali avait protesté et dit sa « tristesse » concernant ces écoutes, et, disait-il, « connaissant Nicolas Sarkozy depuis trente ans, je pense que c’est un honnête homme, et je suis certain de ne pas me tromper »
    alors merci !
    comment se fait-il que la presse ne s’indigne pas plus de ces écoutes, car quelles que soient les opinions politiques, on devrait dénoncer ce scandale, et demander la démission de ce gouvernement, si toutefois il nous restait un peu de « conscience »! je vois que ce n’est pas le cas, et j’ai honte de ce pays qui s’enfonce dans une mollesse bien pensante qui pense mal, et qui réduit tout à de médiocres petits calculs politiques!
    je suis de nulle part, ni gauche ni droite, j’essaie de vivre en conscience, modestement

  10. « Choquante, déjà, la mise sur écoutes d’un ancien président qui était aussi, de fait, le chef de l’opposition républicaine »
    Il me semblait pourtant que M Sarkozy etait en retrait de la vie politique et que le chef de l’opposition etait desormais un certain M Cope. Je ne trouve pas M Sarkozy sur l’organigramme, pourtant bien fourni, de la direction de l’UMP…