…Alejandro Jodorowsky me dit, lorsqu’il apprend l’occultation définitive de Jean Benoit : “Encore un morceau de notre mirage personnel qui nous échappe”.
…Jean Benoit nous avait demandé à tous deux de lui donner nos os à notre mort pour en faire une sculpture.
…Ben Durant m’écrit : “départ ailé et ensommeillé de votre ex-complice…” Viva Jean Benoit! […je le répéte hélas, avec mes os.]
…Jean Benoit m’a fait tant de présents immérités : les décors de mes pièces “La communion solennelle” et du nécrophile…, la couverture de mon livre “La pierre de la folie”…, le totem itinérant de “L’exécution” …, encore récemment la planche avec son dessin de Lis…, sa signature phalliquement et spermatiquement enlacée…
…tous les trois Jean Benoit, Alejandro Jodorowsky et moi nous avons vécu au groupe surréaliste notre école buissonnière, nos délires, nos énigmes truffées d’envoûtements. Jodorowsky et moi avons très rarement évoqué notre participation…
…aucun des trois n’a été expulsé du « groupe » malgré notre …
…à deux reprises [affaires du «caleçon vert » et de « Jean-François Revel » ] certains membres du groupe essaieront de nous évincer Jodorowsky et moi. Les deux fois, énergiquement, André Breton a refusé l’élimination. Au contraire Breton m’a élevé à la présidence de « l’Association des Amis de Benjamin Péret »
… André Breton n’a pas non plus expulsé notre « mouvement panique ». Il a publié dans la Brèche les premiers récits paniques : ma « Pierre de la folie»
…il a fallu attendre presque un siècle et demi après la mort du Marquis pour que, grâce à Benoit, ait lieu ”l’Exécution du testament de Sade”. Le 3 décembre 1959. Ce fut son chef-d’œuvre.
… de nombreuses fois Jean Benoit nous a raconté à Alejandro et à moi, minutieusement, cette « exécution »… la plus ardente cérémonie du surréalisme. Récit complété par celui que m’a fait le peintre Matta :
Ce fut un soir, à dix heures. Au domicile parisien de la poétesse Joyce Mansour.
Pour cette occasion “majeure”, en réalité unique, quelques expulsés du groupe étaient les bienvenus. Le tout formé par une petite centaine de subversifs. On vit Julien Gracq, pour la première et la dernière fois dans un salon. André Pieyre de Mandiargues vivait une de ses réconciliations avec Bona. Octavio Paz n’était pas encore ambassadeur. Ni éditeur de “Vuelta”. Ni prix Nobel. Ni Jacques Herold le “maltraité de peinture”…
La cérémonie commence par l’entrée de Jean Benoit. Éblouissante. Vêtu d’un costume qui se trouve aujourd’hui dans mon antre. Tenue africaine de trois mètres de haut.
D’après lui il représentait “le transfert symbolique de la tombe du Marquis”.
Breton lit cinq points du testament. Avec autorité, un charme teinté de solennité… et des cheveux blancs.
Alors Benoit ôte un par un ses vêtements. Va-t-il rester nu? Il commente ce dépouillement et chacune des pièces. Strip-tease sacré. Discours rehaussé par son inimitable accent. Massif et canadien. Il est plus beau que jamais. Un sorte de Raphaël bègue. Mimi Parent, sa compagne, est aussi le point de mire. Messaline inspirée par Cléopâtre. Surveillant tout, un oeil sur la transcendance. Les différentes pièces s’entassent sur le mur dans un désordre préétabli. Par Mishima? Le tout devient un monument brisé, plein de sens incompréhensibles.
Benoit se transforme en Siméon, mystique et apostat. Il campe comme le stylite de la lévitation. Et son phallus suit le rythme et le rut du texte. Que lui lit amoureusement sa bien-aimée. Texte de Sade. Obviously. Benoit s’inspire si fidèlement du message que son phallus se lève comme il se doit. Droit et dur. Et ça dure, lorsqu’on s’y attend. Le phallus (ou le pénis) est enfermé dans un étui de bois sculpté. Impressionnant par sa taille. Moins que par sa performance. Aux moments où la lecture devient le plus excitante le phallus en bois se dresse en érection. Breton, selon une mauvaise langue, aurait dit:
– “C’est extraordinaire, non seulement Jean Benoit est un peintre visionnaire, mais encore il bande à volonté”.
Un peu halluciné, il ne voit pas qu’un fil de nylon attaché à un doigt de Benoit dirige les va-et-vient altiers de son faux phallus et de son vrai désir.
Puis Benoit s’approche de la cheminée. Il saisit son fer à marquer les bêtes à cornes. Son sceptre préparé minutieusement. Sa sculpture fignolée rigoureusement. Son mémento travaillé méticuleusement. Avec une précision topologique, comme il avait composé les quatre lettres de cette tige : S A D E. Au moment crucial, il se marque au fer rouge. Le nom du Marquis. Au niveau du coeur. Emotion et stupeur générale. Le peintre Matta, ému , se précipite. Il prend le fer des mains de Benoit. D’un moulinet il s’applique la même marque sur sa chair. Les deux poitrines fument pour Sade et pour l’éternité.
Pendant un an Benoit avait fignolé dans la ferveur et l’enthousiasme son instrument destiné à marquer les poitrines et les esprits. Complètement absorbé par son dessein, il ne s’aperçoit pas qu’au lieu de S A D E son instrument ne peut imprimer sur la chair que le mot E D A S.
Jusqu’à sa mort, hier, il a porté ainsi sur son corps un “Sade” tatoué à feu et à sang. Mais le nom du divin Marquis n’était visible que pour lui. Face à un miroir.
T.S. du Collège de ‘Pataphysique, Fernando Arrabal