Je veux rendre un hommage appuyé à Claude Hampel, à la voix de crooner qui n’était pas sans rappeler celle du grand Leonard Cohen qui s’est tue au même moment. Claude Hampel naquit en 1943 dans la banlieue de Varsovie. Par quelle sorte de… miracle – dont le mot même est imprononçable au vu des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, qui furent transportés vers les chambres à gaz de Treblinka ou d’autres camps d’extermination – sa mère fut-elle sauvée de la déportation pour une mort certaine ? Alors que Tola, enceinte de lui, était déjà sur l’Umschlagplatz pour monter dans quelque abominable wagon plombé en partance, dit-on, pour Majdenek, quelle main secourable, frappée peut-être par sa beauté, lui fit signe de la suivre sans un mot ? Ce cheminot polonais patriote la cacha jusqu’à la nuit tombée puis les fit sortir du ghetto et la confia à un couple de résistants, les Michalski, dont le nom figure aujourd’hui parmi les 6 000 Justes polonais distingués par l’État d’Israël à Yad Vashem. Ses sauveurs redoutant les cris d’un bébé avaient envisagé de le faire disparaître. Mais, catholiques fervents, sous la pression de Tola, ils y renoncèrent. Camisir devenu Claude fut donc deux fois promis à la mort. Il fut en réalité sans doute le plus jeune rescapé du ghetto de Varsovie. Pourtant, il ne cessa de porter la vie en lui et l’espoir et la générosité et l’amour des êtres.

Cette horreur-là, cette survie-là, Claude Hampel la portait au cœur, à l’âme, au souffle, sans jamais en parler. Arrivé en France, il voulait se battre pour la langue yiddish en dramatique déperdition.

Il créa les Cahiers Yiddish – Yiddishe Heften (qui, à la suite de la disparition des trois quotidiens parisiens rédigés dans cette langue, est l’un des rares périodiques européens publiés en yiddish), puis fut le rédacteur en chef des Cahiers Bernard Lazare, qui durant des décennies avait un cahier en yiddish au cœur. Il devint tout naturellement président de la Commission du Souvenir du CRIF. Une photo nous le montre aux côtés de l’ambassadeur Andrzej Byrt, pour la commémoration du soulèvement du ghetto de Varsovie, au Mémorial de la Shoah à Paris, en avril dernier. En octobre 2011, il lança une émission hebdomadaire en langue Yiddish sur Radio J. Dans ses années de jeunesse, il faisait du jazz, quelque gefilte swing.

Il était l’un des responsables des Journées Européennes du judaïsme et dirigeait à ce titre la publication annuelle du « Patrimoine Juif de France » consacré en septembre dernier à « Langues et langages en dialogue », avec la photo de Claude Hagège en couverture. M’ayant cette année associé pour la première fois à cette publication et à la table ronde qu’il organisa le 11 septembre au Cercle Bernard Lazare, je lui avais demandé pourquoi Nous, Juifs, nous séparions-nous des Français mais aussi des Européens non-Juifs pour leurs Journées du Patrimoine ? Il me répondit par un merveilleux souvenir qui en disait plus qu’un long discours. Une soirée inoubliable devenue la dernière à ses côtés.

Je le connaissais depuis le début des années 2000 et notre collaboration était pour moi une vraie joie : être publié par Claude Hampel ce n’était pas rien. Au moment de l’élection à l’Académie Française d’Alain Finkielkraut, il me demanda un article exclusif comme pour son « Patrimoine Juif de France », où il me proposa un article sur la musique, lui aussi en exclusivité. Il y tenait. Comment le lui refuser ?

Catherine Trautman lui avait remis la croix de chevalier de la Légion d’honneur et Charles Dobzynski lui avait rendu hommage le 24 février 2004 lors de la remise du prix Idel Korman :

« Ce que nous avons la chance de fêter aujourd’hui, à l’occasion du prix Idel Korman, décerné à Claude Hampel, c’est l’espoir, en la personne de celui qui l’incarne si dignement à nos yeux.
Claude Hampel est un des symboles de l’espoir, de la fidélité à un idéal et à un héritage.
Claude Hampel est l’image même d’un intellectuel que l’on peut dire exemplaire. »

Qu’ajouter à ces paroles et à tout son discours qui sera intégralement repris dans le prochain numéro des Cahiers Bernard Lazare ? Ce que je veux ajouter à ces paroles si fortes de Charles Dobzynski, c’est que Claude était l’une des personnes, l’un des intellectuels les plus élégants, à tous les sens du mot cela va sans dire, que j’ai pu connaître, mais aussi des plus discrets, ne parlant quasiment jamais de lui. Je n’oublierai ni sa voix, ni son sourire, ni son hospitalité intellectuelle, ni sa délicatesse de cœur et d’esprit. Je ne l’ai non plus jamais entendu critiquer qui que ce soit. Quand il n’appréciait pas quelqu’un, il n’en parlait pas. Quelle est rare cette grandeur d’âme qui n’a d’égales que sa pudeur et sa noblesse !

Il est d’usage d’employer le mot yiddish (mais aussi allemand) de Mensch pour décrire un être rare qui disparaît. Claude Hampel était un plus-que-Mensch, il eût été dans le Hassidisme un Tsadik, un juste.