Pour son quatre vingt deuxième anniversaire, le 21 septembre dernier, Leonard Cohen a surpris la planète en frappant un grand coup.

Avant la sortie de son prochain album, prévue le 21 octobre, l’auteur-compositeur-interprète a offert à son public, en guise de préliminaire, son nouveau titre : « You Want It Darker ». Disons-le clairement : l’apéritif vaut le détour.
A notre époque où les thèmes de la religion, des sacrilèges et des blasphèmes sont devenus hasardeux, le poète mystique, à l’hiver de sa vie, n’a que faire des convenances et n’hésite pas, avant son ultime voyage, à régler quelques comptes avec Dieu.
Si tout est dans la manière, on peut dire que le vieux poète en détient le secret. Sa fragilité, à peine dissimulée derrière une provocation flegmatique et sa voix grave, rend cette œuvre à la fois irrésistible et poignante.

« Tu le veux (le monde) encore plus sombre. »
La créature désinvolte toise son créateur en lui faisant part de sa désillusion et l’artiste ne manque pas de lui exposer ses interrogations : « Un million de bougies pour une aide qui n’est jamais venue. »
Cependant l’humanité a aussi sa part de responsabilité : « Tu veux le monde encore plus sombre / Nous ne faisons que tuer sa flamme. »
« Hineni ! », dit-il en hébreu, ce qui signifie « Me voici ! » et qui évoque les paroles qu’Abraham, Samuel et bien d’autres grandes figures de la Bible ont prononcées devant l’Eternel pour indiquer qu’elles étaient prêtes à répondre à son appel.
« I’m ready, my lord » : devant cette déclaration, on ne peut s’empêcher de penser à sa muse Marianne Ihlen qui lui avait inspiré, entre autres, « So Long, Marianne » et « Bird On The Wire », qui s’est éteinte en juillet dernier. Dans une dernière et bouleversante lettre d’amour, Leonard Cohen lui avait écrit : « Je pense que je vais te rejoindre très bientôt ».
C’est donc avec un certain trouble qu’on entend cette chanson qui laisse apparaître le pressentiment d’une fin proche mais que le musicien assume avec un aplomb aristocratique.
En plus de la force poétique pour laquelle l’auteur est réputé, de la musicalité de ses mots, qui s’entendrait même a capella, et des extraits des versets du Kaddish qu’il s’amuse à faire groover – « Magnifié, sanctifié, soit Ton saint nom » –  le titre « You Want It Darker » est porté par des arrangements somptueux, et à l’apparente simplicité. Si Leonard Cohen est coutumier du minimalisme, il est ici au paroxysme de son art, accompagné par son fils Adam, lui-même auteur-compositeur, qui a produit l’album.
L’orchestration, d’une remarquable pureté, est menée par une habile ligne de basse. Associée aux délicates percussions électroniques et acoustiques, elle tourne sur quatre mesures et se répète, imperturbable, sur la majeure partie du morceau, mettant en valeur les magnifiques choeurs de la congrégation juive Shaar Hashomayim de Montréal. L’orgue, instrument liturgique par excellence, complète l’atmosphère de cérémonie religieuse.
« Hineni », murmure-t-il encore. Oui, il est bien là, sa voix mixée en avant, le ton désabusé, et on écoute cette chanson avec le souffle coupé comme on resterait collé au dos de son siège de cinéma devant un très grand film. Pendant 4,46 minutes le titre parvient à maintenir l’auditeur dans une puissance émotionnelle intense, et alors que la chanson aurait très bien pu se terminer sur le vers « I’m ready, my Lord », laissant à la chorale le soin de conclure, le perfectionniste Leonard Cohen sort une dernière carte inattendue : la sublime voix du ténor Gideon Zelermyer, chantre à la synagogue montréalaise, qui improvise des notes déchirantes sur le mot « Hineni » dans cette ambiance sombre et désespérée.
C’est ainsi qu’en 2016 le poète juif canadien, petit-fils de rabbin, pratiquant du bouddhisme, dont il est même devenu moine pendant cinq ans au début des années 1990, multipliant les expériences spirituelles et passant par toutes les épreuves de la vie en restant un homme libre, signe là l’un des plus impressionnants chefs-d’œuvre de sa carrière.
Si Leonard Cohen n’épargne ni l’Eternel, ni les humains, ni lui-même, si son discours est au fond diaboliquement rock’ n’roll, toujours est-il qu’en composant ce titre l’homme qui a fait un spectaculaire come back international il y a une douzaine d’années vient de réaliser un véritable miracle musical. Lorsque son quatorzième album studio sera enfin disponible, nul doute que ses admirateurs répondront « Hineni ! ».

4 Commentaires

  1. Merci pour cette éloquente présentation, fidèle, presque palpable…… I am your Fan ever, Dear Mister Cohen.
    Flo

  2. lors d’un concert de Monsieur LEONARD COHEN J’aimerai une dédicace ; serait-il possible?
    Madame Chalumeau Dominique

  3. bonjour, j’aimerai tellement rencontrer Monsieur LEONARD COHEN.
    MERCI
    Madame Dominique Chalumeau