Jacky Mamou : Quel est le niveau de pauvreté en Israël ?

Gilles Darmon : Chaque année les plus précaires s’avèrent plus nombreux. Nous en sommes à la 12ème édition de notre rapport. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il y a aujourd’hui plus de 2,5 millions de personnes qui vivent en Israël dans un état de grande précarité.

Ces chiffres sont contestés par les services de l’Etat pour une raison simple. L’estimation officielle est basée sur un seuil de pauvreté calculé sur 50% du revenu moyen du pays. C’est ainsi que les autorités estiment leur nombre à seulement 1,6 millions de personnes.

Les résultats de LATET, eux, sont basés sur le réel panier d’achat des produits essentiels comme l’alimentation, le logement, l’électricité, la santé, les transports… c’est-à-dire tout ce qui constitue la vie quotidienne des citoyens. Pour LATET les personnes qui ne possèdent pas la moitié des revenus permettant d’accéder à ces services minimum sont considérés comme des pauvres. Nos estimations s’appuient sur des enquêtes avec une méthodologie que nous maîtrisons depuis de nombreuses années.

En quoi consiste votre action ?

G. D. : Avec un réseau de 13 000 volontaires et en partenariat avec 180 organisations locales, nous apportons d’abord de l’aide alimentaire à près de 60 000 familles.

Quelles sont les populations bénéficiaires ?

G. D. : L’ensemble des personnes touchées par la pauvreté en Israël, que ce soit les populations juives orthodoxes, les familles monoparentales, les populations immigrées de première ou deuxième génération ou la communauté des arabes israéliens durement touchée par la précarité, tous, d’une manière ou d’une autre, sont les récipiendaires de l’aide de notre organisation. C’est l’ensemble des citoyens israéliens en situation de pauvreté que nous visons, peu importe qui ils sont, ou les raisons qui les ont amené à vivre dans une telle situation.

Israël a récemment été admis à l’OCDE ce qui est un résultat remarquable. Le pays est en pointe dans les nouvelles technologies. Les scientifiques, les médecins, les artistes israéliens sont reconnus internationalement. Mais la cohésion nationale est menacée par le niveau de pauvreté. Et si une certaine prise de conscience opère dernièrement, nous attendons toujours que les autorités de l’Etat prennent la mesure réelle du problème.

Vous êtes dans la substitution à une carence sociétale, ce qu’on appelle le « shadow state »…

G. D. : Exact. Mais nous avons un programme qui nous tient à cœur. En effet, en plus de notre action d’urgence d’assistance alimentaire, nous cherchons à mettre en place de véritables outils de sortie de pauvreté. C’est ce qui nous a poussé à mettre en place un programme de microcrédit à destination des femmes en situation de pauvreté, largement inspiré de la Grameen Bank créée par le Prix Nobel de la paix, Mohammeed Younus, au Bangladesh.

Nous offrons depuis trois ans un micro-crédit et un accompagnement entrepreneurial permanent à des femmes afin qu’elles constituent une micro-entreprise leur permettant de sortir de leur condition précaire. Plus de 350 personnes ont bénéficié de ce programme. Et nous sommes particulièrement fiers de certaines réussites…

LATET intervient-elle aussi auprès des rescapés de la Shoah ?

G. D. :  C’est un devoir moral absolu.

Nous apportons un soutien aux rescapés de la Shoah notamment grâce à l’aide de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Leur nombre est estimé à près de 180 000, dont 35 000 en situation de pauvreté et qui ne survivent que grâce à une maigre aide sociale. Concrètement, il s’agit d’aide alimentaire mais plus globalement d’une aide de vie. Grâce à nos volontaires, c’est quasiment une nouvelle famille que nous reconstituons autour des rescapés vivant dans une solitude bien souvent totale. Par ailleurs LATET a créé un fonds d’urgence pour les prothèses auditives, les lunettes, mais aussi pour changer la tuyauterie qui fuit, réparer un plafond qui s’écroule…

La question du lien social est une autre dimension essentielle pour ces personnes souvent isolées. C’est pourquoi nous organisons leur participation à des évènements sociaux et nous nous attachons à garder les mêmes volontaires auprès de chacune de ces personnes. Ce programme concerne 1 200 rescapés repartis sur 14 villes et mobilise plus de 1 700 volontaires permanents.

Vous définissez-vous comme une association caritative ou une ONG humanitaire ?

G. D. : Résolument comme une ONG humanitaire.

Nous agissons et nous témoignons. LATET entend intervenir comme un instrument au service des plus pauvres, pas pour faire l’aumône et apaiser sa bonne conscience, mais pour faire changer leur condition de vie. Notre objectif est de trouver des solutions et pas de laisser perdurer une situation inacceptable.

De plus en plus le monde humanitaire est travaillé par la dimension religieuse. Un des plus importants acteurs sur le champ international est World Vision, ONG chrétienne évangéliste, et on voit la montée en puissance d’organisations musulmanes comme Islamic Relief. Comment se situe LATET ?

G. D. : LATET est une ONG laïque et nous tenons à le rester. Israël compte de nombreuses associations religieuses. Nous sommes la plus importante ONG du secteur social, laïque et indépendante, du pays.

Nous avons beaucoup appris de l’expérience des « french doctors ». Et nous sommes particulièrement reconnaissants au Dr Jacques Lebas et à Roland Guénoun, qui ont été respectivement président et trésorier de Médecins du monde et qui, dans le cadre de l’Institut de l’Humanitaire, ont contribué à clarifier notre positionnement.

J’insiste sur le caractère indépendant de toute chapelle politique de notre action. Dans notre « board », ce que vous appelez en France le Conseil d’Administration, nous comptons des personnes de toutes sensibilités politiques. Certaines ont depuis exercé des responsabilités au plus haut sommet de l’Etat. Nous en sommes fiers, mais nous ne dépendons de personne…

 Justement la corruption est un mal qui atteint tous les pays développés. Israël n’y échappe pas…

G. D. :  La règle de transparence est sacrée à LATET.

C’est un devoir éthique et un marqueur de modernité. Nous publions sur notre site tous les rapports financiers, et même notre budget prévisionnel. Les 5 plus gros salaires de l’organisation sont accessibles au public. En tant que président je suis strictement bénévole… et je n’ai pas de notes de frais.

Le financement des ONG est un sujet brûlant en Israël. Il fait l’objet d’un débat parlementaire tendu et la presse en fait un large écho.

G. D. : Le budget annuel de LATET est de 20 millions d’euros. La moitié vient d’entreprises privées, ¼ de dons particuliers, ¼ de Fondations. Les subventions gouvernementales représentent moins de 5% de nos rentrées.

La Loi en discussion en ce moment vise à obliger les ONG israéliennes qui sont financées à plus de 50% par des bailleurs étrangers étatiques à le préciser dans leur communication publique et à être clairement identifiées comme lobbyistes quand elles sont en contact avec des élus. Elle cible des ONG comme Breaking The Silence ou B’Tselem qui contestent l’action de l’armée et du gouvernement. Cette loi ne représente pas un changement qualitatif pour leur action.

Le souci vient qu’elle contribue à instaurer un climat de défiance par rapport aux secteurs critiques des autorités. Une démocratie a besoin de voix discordantes pour se vivifier. Mais par ailleurs les dirigeants de ces associations gagneraient aussi à revisiter le vieux débat entre éthique de la conviction et éthique de la responsabilité. Ceci concerne tous ceux qui entendent s’engager dans l’action au service des autres. Que l’on soit membre de la société civile ou politicien. 

7 Commentaires

  1. Gilles, tu dirige une OING, une Oeuvre d’Intérêt National Général.
    Hazak veematz

  2. Retraites sur TLV nous sommes prêts à donner de notre temps et de nos capacités pour vous aider bénévolement. À qui s adresser. ?,,,

  3. C’est un beau projet qui permet de se remettre en question et de pointer les urgences

  4. Les citoyens doivent intervenir quand la politique se dérobe. Bravo pour votre engagement et votre dévouement.