Lorsque nous sommes venus pour la première fois, avec Jacques Berès, au Kurdistan syrien, Kobané était assiégée par l’État Islamique. Cent vingt kilomètres plus à l’Est, les mêmes djihadistes harcelaient les positions kurdes aux portes de la petite ville de Sérékaniyé. Jacques y a opéré deux semaines durant les combattants du YPG, hommes et femmes, totalement démunis, isolés par le blocus turc et oubliés des médias et des politiques occidentaux. Septembre 2014 a été le temps de la résistance kurde.

Quatre mois plus tard, nous sommes retournés au Rojava. La ville de Sérékaniyé était apaisée, le front avait reculé de dix kilomètres et Kobané venait d’être libérée du joug islamiste par les forces du YPG, aidées par leurs cousins du PKK turc et les Peshmergas irakiens. Sur ce point, et face à la pression médiatique, les Turcs avaient cédé. Restaient, entre les deux villes, cent dix kilomètres d’un territoire toujours aux mains de Daech.

Et je me souviens, au cours d’une assemblée de commandants à laquelle on nous avait exceptionnellement conviés, avoir entendu l’énoncé d’un projet que j’ai pensé utopique : « d’ici à l’été, nous aurons ouvert la route entre Sérékaniyé et Kobané ».

Eh bien nous y sommes, presque.

Les dernières nouvelles annoncent la prise de Tall Abyad par les YPG. Ce qui signifie qu’ils ont déjà repris les deux tiers de la route. Et surtout qu’ils contrôlent désormais le seul point de passage entre Raqqa, la « capitale » de l’EI, et la Turquie. L’enjeu est décisif. Depuis au moins un an, Tall Abyad est l’un des points d’entrée en Syrie des djihadistes étrangers qui rejoignent les rangs de Daech, avec la complaisance d’Erdogan. Mais c’est aussi, bien plus important encore, le point de passage du pipeline qui permet aux islamistes d’exporter vers les mêmes Turcs complaisants et opportunément cupides le pétrole dont le peuple syrien est spolié. Couper le robinet, c’est mettre fin au double jeu d’Erdogan : d’un côté, l’OTAN, l’Europe, de l’autre, soutenir Daech pour réduire les Kurdes. Si ceux-ci – et ils n’en sont pas loin – parviennent à contrôler d’Est en Ouest la frontière avec la Turquie, c’est un début d’asphyxie pour Daech. Privée de ses ventes de pétrole, de ses sources d’approvisionnement en hommes et en armes, l’organisation ne tiendrait pas longtemps. Ce serait un soulagement pour tous et une grande victoire pour les Kurdes.

© Marc Roussel
© Marc Roussel

Et pourquoi pas alors une grande conciliation nationale entre Kurdes irakiens, syriens et turcs ? Cet État kurde, promis il y a bientôt un siècle, ouvrirait un espace de tolérance, de droit et de progrès social qui fait singulièrement défaut dans la région. (Profitant de la vacuité du pouvoir à Bagdad, les Kurdes irakiens ont déjà montré la voie. Il suffit de voir Erbil). Cet État kurde, dont personne ne peut de bonne foi contester la légitimité, mettrait fin à un siècle de souffrances, d’oppression, de frustrations et de violences (les dernières élections en Turquie ne sont-elles pas un signe ?). Cet État kurde enfin, en dépit des intérêts particuliers qui s’y opposent, j’espère en être témoin un jour prochain.

Mais, à supposer que l’Amérique et l’Europe le veuillent, il faudra d’abord s’entendre, être sage et renoncer aux mauvais démons staliniens. Il faudra du temps et de la patience.

Je sais, c’est improbable. Mais il est permis de rêver, de prier, même :

Puissiez-vous, chers amis kurdes, y parvenir.

2 Commentaires

  1. Je souhaite également de tout coeur la fondation de cet état Kurde plus que légitime, plus que mérité.

    Les nations unis sont témoins de la résistance des kurdes et des valeurs qu’ils portent, nul projet au moyen orient n’est plus proche des valeurs que prône l’ONU, alors pourquoi aucun geste n’est fait?!

    A cause de la Turquie et de leur haine des kurdes! Car également on refuse d’admettre publiquement que les valeurs d’égalité homme-femme, de partage, de solidarité et de justice sociale, de laïcité sont liés au fait que le PYD et le PKK sont marxiste et socialistes/communistes…

    Mais avouer publiquement que les valeurs « démocratiques » et de droits de l’homme que l’on célèbre tant viennent d’un projet de gauche (socialiste/communiste) est impossible pour les pays occidentaux massivement de droite (capitalites : libéraux/conservateurs) d’où le fait que le soutient des états unis aux peshmergas irakiens soit plus appuyés, car les peshmergas portent un projet plus capitaliste et conservateur que le PYD et le PKK…

    Bref vive le rojava libre, et je l’espère bientôt la création d’un état kurde officiel.

  2. Merci pour cette article !

    Les kurdes y arriveront tôt où tard à cette indépendance !