« Je pars demain matin pour Alep, en Syrie, tu viens avec moi ? » Jacques Bérès n’avait pas pour habitude de s’attarder en considérations inutiles ; oui ou non, et de préférence oui, suffisaient à satisfaire un intérêt toujours bienveillant. Il aimait les missions à risque, autant par goût du dépassement et de l’héroïsme que pour être bien certain d’avoir respecté le Serment de sa jeunesse. « Quelqu’un est blessé ? je le soigne, point barre. Peu importe qui il est et ce qu’il a fait. » avait-il déclaré pendant la bataille de Mossoul à un médecin irakien qui s’indignait de le voir accorder la même attention à un combattant de Daech qu’aux victimes civiles.

Il aurait voulu être philosophe, comme ses amis André Glucksmann et Bernard-Henri Lévy, il deviendra chirurgien orthopédiste. L’un des tout meilleurs. Et très vite, comme pour compenser une existence trop bien nantie, il va s’engager dans une médecine bénévole au profit des plus démunis. Ce sera le Viêtnam, le Biafra, avec la Croix Rouge d’abord, puis la création de Médecins Sans Frontières avec une bande de visionnaires. Nous sommes en 1971. Les pères de l’humanitaire sont en marche, il sera le dernier des fondateurs encore debout, sur le terrain, en 2022 quand les Ukrainiens auront besoin de ses conseils.

Le médecin Jacques Bérès, entre une intervention et une autre, dans un hôpital.
Le médecin Jacques Bérès à Hôpital Roj, au Kurdistan syrien. Photo : Marc Roussel.

Entre-temps, Jacques Bérès a suivi Bernard Kouchner pour créer Médecins du Monde. Il enchaîne les missions de guerre et les actes de chirurgie plastique dans le XVIème arrondissement de Paris pour princesses fortunées. Gaza, Libye, Syrie, Bangladesh, Yémen, Soudan, Irak… l’homme qui pensait mourir sous les bombes brûle, comme ses nombreuses cigarettes, la chandelle par les deux bouts. « De toutes façons, je suis déjà mort une première fois » m’avait-il confié un soir de désolation chez les Kurdes. À Saïgon, un peloton d’exécution vietcong le met en joue. Les balles sifflent. À côté. « Je n’ai jamais su exactement pourquoi ils avaient tiré sur le mur. Après ça, je suis resté avec eux, on est devenus amis. » Ainsi pourrait se résumer la philosophie que Jacques Bérès espérait porter de Louis-le-Grand jusqu’à la rue d’Ulm : un fatalisme raisonné, qui l’accompagnera jusqu’au bout. « Pourquoi, sur une route, se précipiter hors de la voiture quand les obus pleuvent ? Il y a statistiquement autant de chances qu’ils tombent à côté que sur le toit. Moi, je préfère rester assis à l’intérieur, c’est plus confortable. » La provocation n’aura pas eu d’effet. Jacques Bérès, ce forcené de l’humanisme, est mort presque comme tout le monde, un 13 novembre.

Le médecin Jacques Bérès arrive au Kurdistan afin de soigner la population locale
Jacques Bérès avec des réfugiés kurdes fuyant les combats contre Daech, sur le Tigre, à la frontière Irak-Syrie. Photo : Marc Roussel.

Un commentaire

  1. Merci Cher Marc pour ces tres beaux mots pour notre compagnon Jacques Beres !