Face à la plaie que sont en Syrie les enlèvements de civils, en particulier de journalistes étrangers, le Dr. Jacques Bérès vient de jeter un pavé dans la mare des djihadistes, devenus les principaux preneurs d’otages, spécialité criminelle réservée auparavant aux troupes du régime Assad et aux gangs de voyous (1). Dans une tribune publiée dans Le Monde daté de jeudi 17 octobre, le médecin français s’adresse au groupe qui s’est emparé, le 22 juin dernier dans la région de Raqqa, du reporter Nicolas Hénin et du photographe Pierre Torrès. Précisant qu’il intervient en tant qu’«ami de longue date de Nicolas», de président de l’association France Syrie Démocratie et, enfin, de «chirurgien de guerre ayant déjà effectué trois missions humanitaires auprès des victimes de Bachar al-Assad», il propose aux ravisseurs un marché : il s’agit de leur «offrir, en contrepartie de la libération des deux journalistes, des soins chirurgicaux pour les blessés de la zone de Raqqa où la prise d’otages a eu lieu, pour une période d’environ deux mois, correspondant à près de 500 interventions, à raison d’une moyenne de huit blessés par jour.»
L’idée a été longuement mûrie, soupesée, réfléchie. Sachant que les deux hommes étaient aux mains de djihadistes, sachant aussi que cette mouvance radicale est largement pourvue en moyens financiers et en armes par des sponsors saoudiens ou qataris, Jacques Bérès s’est demandé ce dont les fous furieux d’Allah pouvaient avoir besoin. Il en a conclu que ce qui leur faisait sans doute défaut était «une meilleure image et, sur un autre plan, les soins médicaux et chirurgicaux indispensables», ainsi qu’il l’écrit dans Le Monde.
Avant de se lancer, Jacques a soumis son idée à plusieurs proches. Les uns ont d’emblée saisi l’utilité du deal proposé, y voyant à juste titre l’un des meilleurs moyens d’obtenir la libération des deux otages. D’autres ont objecté que les djihadistes vivent dans un univers mental auquel nos catégories de pensée sont absolument étrangères. Un journaliste qui les a rencontrés sur le terrain assurait ainsi que «pour ces types, tout non-musulman, tout Occidental est un ennemi, ils n’en ont rien à foutre de libérer Hénin et Torrès». Si ce jugement correspond en effet à l’état d’esprit des plus fanatiques combattants pour l’émirat islamique, on peut néanmoins penser que les chefs – et leurs bailleurs de fonds – se soucient cependant quelque peu de la réputation catastrophique que leurs forces ont acquise, tant à l’intérieur de la Syrie que dans le monde arabe – sans parler de l’Occident.
Il n’est pas nécessaire d’être sorti major de l’ENA pour comprendre que les djihadistes constituent l’obstacle principal à la solidarité internationale avec la révolution syrienne qu’ils parasitent de plus en plus. Pire encore, ils fournissent un parfait prétexte aux démocraties occidentales pour ne pas s’engager concrètement aux côtés des insurgés.
La proposition de notre chirurgien les met au pied du mur. Que cherchent-ils en enlevant des journalistes ou des humanitaires ? Transformer la Syrie en pays fermé aux observateurs, comme le régime a tenté de le faire ? Sinon quoi ? Prouver qu’ils sont des brutes tout aussi sanguinaires et totalitaires que dans le camp Assad ? Dans ce cas ils déclineront ou ignoreront l’offre de Jacques Bérès, ce qui, est-on en droit d’espérer, diminuerait leur prestige parmi les rebelles tentés de les rejoindre. Ce sera toujours ça de pris. Si en revanche ils acceptent le marché, eh bien ça permettra à Nicolas Hénin et Pierre Torrès de retrouver la liberté, ce qui est primordial. Le chirurgien, fidèle à son engagement, ira donc en échange soigner les blessés : des vies humaines seront sauvées, et une nouvelle preuve sera donnée qu’il existe des Occidentaux pour qui la solidarité avec les victimes de la mafia assadienne n’est pas que paroles.
Reste à savoir, au cas où mon ami Jacques irait remplir sa mission, s’il ne deviendrait pas otage à son tour. Ce à quoi il répond dans sa tribune : «Si le groupe qui détient Nicolas et Pierre accepte mon offre, j’ose espérer que leur parole vaudra celle de Saladin, l’anti-croisés par excellence.» Et de conclure : «Ne pas s’en tenir à leur parole […] discréditerait [les djihadistes] auprès de l’ensemble du monde arabo-musulman. Ma démarche aura eu au moins ce mérite… Inch’Allah.» Bien vu, docteur Bérès.
(1) Selon Reporters sans frontières (RSF), au moins 32 journalistes étrangers (dont Didier François et Edouard Elias capturés le 6 juin) ou syriens sont portés disparus ou ont été enlevés en Syrie. En outre ce sont au moins 25 journalistes et 71 citoyens-journalistes qui ont ont été tués depuis mars 2011 alors qu’ils couvraient le conflit syrien.

Un commentaire

  1. Cette proposition est faite, nul besoin de la justifier, car après tout, à l’impossible nul n’est tenu, et surtout pas le Dr Bérès!
    Pour preuve la force d’intention dans sa proposition inattendue portée on le sent par sa vocation toujours réalisée jusqu’à ce jour, d’aider et de sauver les plus faibles. C’est dit.

    Aussi je me permets d’ajouter ceci au hasard: si tant est que ces charmants et aimables djihadistes aient vent de cette merveilleuse opportunité, subsiste tout de même un élément à ne pas mettre de côté, à savoir que le Dr Bérès est juif (je sais que lui n’y pense même pas), je crains qe cela puisse engendrer de leur part 2 manières de raisonner:
    1- Nos petits camarades ne trouveraient pas ça trop drôle, au point de se sentir un tant soit peu tenter à l’avoir près d’eux à leur service, et pourquoi pas à le garder au chaud?
    2- Ou alors ne feraient-ils pas la sourde oreille à cette tentante proposition qui écorcherait trop à vif leur égo, et qui ne leur laisserait même plus de voix pour hurler au complot? Ne me demandez pas lequel.