Aujourd’hui, 11 mai 2015, c’est l’anniversaire de Nadia Savtchenko et elle a 34 ans.
Aujourd’hui, jour de ses 34 ans, La Règle du Jeu publie – en même temps que le Kyiv Post et, aux États-Unis, le Huffington Post – le début d’un texte qu’elle a réussi à nous faire parvenir, via sa sœur, depuis son lieu de détention.
Rappelons, pour mémoire, qu’elle a été arrêtée, le 18 juin dernier, en infraction à toutes les lois et règles de la guerre.
Rappelons, pour mémoire, qu’elle a été victime, depuis, d’un procès absurde, mensonger et truqué, basé sur des « témoignages » fabriqués de toutes pièces et parfaitement inconsistants.
Et rappelons, pour mémoire, les six mois de grève de la faim qu’elle a endurés, au péril de sa vie, pour protester contre l’injustice dont elle est l’objet et dénoncer, au-delà d’elle-même, la violence qui accable son pays.
Cette patriote, héroïne de guerre depuis le 2 mars dernier, cette Jeanne d’Arc détenue en dépit de l’immunité diplomatique dont elle jouit depuis qu’elle a été élue députée à la Rada et représentante de l’Ukraine à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, est devenue le symbole de l’arbitraire poutinien – mais aussi de l’esprit de résistance ukrainien.
A l’heure où la Russie fête en grande pompe le soixante-dixième anniversaire de la victoire sur le nazisme, on pouvait espérer que Poutine fît un geste.
Mais non.
La clémence et l’élargissement des prisonniers politiques que tous les gouvernements civilisés pratiquent en ces occasions symboliques est restée lettre morte de la part de l’ancien kagébiste.
Les dirigeants du monde entier, Angela Merkel et François Hollande en tête, se sont mobilisés pour lui faire entendre raison. Mais rien n’y a fait. Nadia Savtchenko reste un otage politique ou, plutôt, géopolitique entre les mains du maître du Kremlin.
Alors, depuis quelques semaines, Nadia Savtchenko a commencé un nouveau combat, à l’image de tant de ses compatriotes, illustres ou anonymes, du passé russe et soviétique : des écrits de prison.
Et ce nouveau combat ce sont ces textes, peut-être ce livre, sortis de sa prison et dont nous avons donc l’honneur de publier ce premier fragment – et d’autres qui, très vite, suivront.
Nous invitons le geôlier en chef, Vladimir Poutine, à lire ces lignes.
Nous l’invitons à se souvenir de tous les prisonniers des régimes totalitaires qui sont devenus, par leur combat et leurs écrits, un symbole de l’infamie des régimes qui les tourmentaient.
Ils finissent toujours, ces prisonniers, par coûter cher à leurs geôliers.
Sakharov, Vaclav Havel, Lech Walesa, Padilla ont, pour ne citer qu’eux, fait vaciller depuis leur cellule des pouvoirs non moins sûrs d’eux-mêmes et arrogants que le néo-tsarisme en place à Moscou.
Vladimir Poutine n’a pas fini d’entendre parler de Nadia Savtchenko.
Et nous demandons, quant à nous, sa libération inconditionnelle et immédiate.


La Guerre, la captivité, la prison, la faim en prison et après
(ou le feu, l’eau et les tuyaux en cuivre)

par Nadia SAVTCHENKO

Chers lecteurs,
pardonnez-moi
le style pas trop élevé
avec lequel ce texte a été écrit.
Mais « on ne supprime pas les paroles d’une chanson »…

J’ai écrit en langue simple, en langue parlée.

Je te raconterai comme à un ami…
Je ne sais pas si j’en aurai le temps…
Je t’écrirai comme à un ami,
peut-être auras-tu le temps de lire

Je n’ai jamais voulu être écrivain ni même écrire un livre malgré tous les encouragements. On ne pourra jamais raconter la vie vécue : et qui en aurait besoin à part la personne elle-même ?
En prison, j’ai lu dans un livre que l’homme commence à écrire un livre lorsqu’il a touché le fond et veut se tirer une balle dans la tête. Mais le courage lui manque… Je n’ai pas encore touché le fond ; mais si je l’avais fait, j’aurais mieux fait de me tirer une balle dans la tête.
Quand j’ai pensé à toutes ces questions auxquelles je devrais répondre longuement, et fastidieusement, si je survivais et retrouvais la liberté, le souffle m’a manqué…
Je me suis dit : il vaut mieux écrire d’un coup, une bonne fois pour toutes, tant que j’ai du temps, plutôt que de répéter cent fois les choses… Il faut se mettre au travail ! Сela fait trois mois qu’on écrit « absente » à côté de mon nom à la Rada. Mais les Ukrainiens qui m’ont donné leur confiance et leurs voix attendent de moi des actes !
J’ai donc décidé de barbouiller du papier en prison ! Ici, le temps ne manque pas…
On dit qu’après avoir passé un an en prison tout le monde se met à écrire, les uns composent de la poésie, les autres écrivent la prose… Je n’ai jamais pensé en arriver à une telle banalité ! Dieu merci cela ne fait pas un an que je suis en prison et j’espère que cela ne durera pas un an !!! Il ne faut pas s’habituer ! Il est temps de s’échapper. Il y a tant à faire !
Et pour l’instant écrire – il faut écrire car le papier peut tout supporter.

Traduit de l’ukrainien par Natalia Fedossova.

2 Commentaires

  1. I was not aware murder of journalists was not considered a crime worthy of investigation in France. As far as I know there several Russian citizens imprisoned abroad some considered wrongly imprisoned by Russian Federation, for example Viktor But. Do you think if we grant him diplomatic status he will be released.

    I would think French would have more respect for their historic figures then comparing them to Nazi murderers..

  2. Chère Nadia Savtchenko,

    Vous êtes cette Amelia Earhart de l’ancien archipel qui, à deux ans d’un Désastre annoncé, disparaît des radars. Vous appuyez là où ça fait le mal, et, en cela, vous n’êtes pas sans me rappeler l’envie pressante que certains peuvent avoir d’en découdre avec ce tissu d’emmerdes qu’accompagne un bouc émissaire. Et si, par le plus grand des hasards, on découvrait que celui ou celle qui nous éclaboussait de huées chaque fois que, sous la pression, nous prenions sa défense, n’avait jamais été cette perle rare dont le doigt shelomique nous vantait les mérites…
    «Comment?
    — Savtchenko?
    — Une fieffée menteuse?
    — HHHah!»
    L’occasion rêvée pour se débarrasser, vite fait, bien fait, de ce petit caillou dans notre chaussure. Sauf que…
    «Trop tard.»
    On ne lâche pas une grenade dégoupillée sans l’envoyer sur d’autres récepteurs.
    «Nadia… Nadia… Nadia… il suffit de lire trois mots de vous pour avoir la sensation Nadia… Nadia… Nadia… Nadia… Nadia… Nadia… que vous Nadia… Nadia… seriez bien incapable Nadia… de trafiquer un moteur Nadia… de fabriquer un mobile Nadia… de quelque manière que ce soit Nadia… aux dépens de quelque innocent que ce soit Nadia Savtchenko… Nadia Savtchenk… Ia Chen… Ad Ten… Nada… NASA Enko…»
    De savoir que l’on nous prive de toute latitude pour mettre en pièces l’échafaudage branlant de votre faux procès, cela aussi, ça suffit! En tout vas, à nous convaincre que l’on nous cache un vice de forme obscène. Que l’on perce, de toutes parts, la chaloupe d’un navire dont on cherche à nous persuader qu’il s’est coulé lui-même. Que l’on voudrait, quelque part, ensevelir une évidence comme le feraient deux spitz dépêchés en zone occupée par le ministère de la propagande.
    Preuve que l’Ukraine existe, ma chère compagne de route! Ukraine la Grande. La vraie de vraie. Une Ukraine qui, vous le savez mieux que moi, n’a jamais existé car, morbleu ou morrouge, l’Ukraine dont vous rêvez se conjugue au futur.
    Et oui, ce sera bien là une grande nation que vous aurez, à mains nues, projetée hors du néant.
    Et non pas une esclave, menottée au bout de la laisse d’un propriétaire russe.
    Votre panukrainisme aura été l’antonyme du pan-nationalisme de Moscou, un nationalisme de réconciliation, où se sera imposée la reconnaissance des diverses composantes de l’histoire d’un pays singulier à plus d’un titre. Un lieu où, comme partout ailleurs, tout est face, rien ne s’efface.
    Madame Savtchenko, sachez-le. Nous ne laisserons pas Vladimir Poutine vous faire disparaître.