Sixième lettre de prison, à ma sœur.

Je voulais te raconter un truc drôle sur ma grève de la faim. Pendant mes 37 jours de grève de la faim. Je n’ai mangé que deux fois. La première fois, c’était un bonbon « Duchess ». Dans la courette où on m’emmène me promener, les taulards foutent, s’ils en ont, dans les cachettes entre les briques, des cigarettes, des allumettes, des bonbons pour ceux qui sont dans les cachots, car on leur confisque tout et ils ne peuvent pas fumer. C’est pourquoi la courette est le point de contrebande. Moi aussi j’y mets des trucs quand j’en ai. Et, comme je n’ai pas de cigarettes en ce moment, j’en prends dans les cachettes. Un jour, j’y ai trouvé six bonbons et j’en ai mangé un. Je n’ai pas voulu en manger plus parce que je me suis dit que ça resterait pour quelqu’un d’autre. Les flics, pour la plupart, connaissent ces cachettes. Mais il y a, parmi eux, des types normaux qui ne les vident pas. Par contre, il y a des salopards qui, avant d’emmener à la promenade les prisonniers de la cellule suivante, enlèvent des cachettes tout ce que ceux de la cellule précédente y ont laissé. Une ordure reste une ordure !

La deuxième fois que j’ai mangé, c’est aujourd’hui. J’ai nettoyé à fond ma cellule avant la bénédiction de l’eau [fête religieuse, NDT]. Dans ma cellule, il y a une étagère assez profonde où, avant, je mettais des aliments. Comme je n’ai plus de produits alimentaires depuis longtemps,  je n’y regardais plus, et voilà que j’y ai jeté un coup d’œil et ai senti l’odeur du poisson fumé. Avant, je commandais pour la semaine, au magasin, 200 grammes de saumon fumé. La veille du Nouvel An, j’ai commandé 150 grammes de caviar rouge (des œufs de saumon) que j’espérais manger pendant les fêtes, mais comme on a installé dans ma cellule une voisine, nous avons mangé chacune une tartine avec du caviar. Et puis j’ai commencé ma grève de la faim. Et on lui a rendu le caviar. Donc, sur l’étagère d’où venait l’odeur, je n’ai évidemment pas trouvé de poisson, mais j’ai trouvé une poignée de miettes de pain que j’ai écrasées pour les donner aux moineaux et j’ai trouvé aussi un œuf de saumon séché. Oh j’ai dévoré les miettes ! Je me suis rappelée ma mère parlant de la famine de 1933 et je les ai mangées avec un grand plaisir. Et puis j’ai posé l’œuf de saumon sur ma langue, et je l’ai savouré et j’ai pris mon pied. Ce n’est pas que j’avais faim. La faim ne me torture plus depuis longtemps. Tout simplement, ma main n’a pas fait le mouvement de jeter la nourriture… Ne dis pas tout cela à maman car cela la fera pleurer. Et ce n’est pas la peine d’achever son système nerveux déjà très éprouvé. Et ne l’imprime nulle part car tu trahiras les secrets de la prison – d’accord ?

Traduit de l’ukrainien par Natalia Fedossova.