Pour tous ceux qui, vers 20h30, ne regardent pas Plus Belle la Vie, il est possible d’assister à un curieux spectacle sur les antennes de notre service public audiovisuel.

En effet, juste après le journal de France 2, le téléspectateur assiste au défilé continu d’une demi-douzaine de clips, façon MTV. De Cheminade à Poutou, ils sont tous là, dans des mises en scènes surréalistes ou affreusement ternes, pour nous vendre la France forte, solidaire, unie, libre ou à la conquête de Mars.

Certains sont très drôles : ceux de Philippe Poutou ressemblent à des projets universitaires de situationnistes danois des années 1970, parodiant par l’absurde le système médiatique (ou à des mauvaises parodies d’adolescents geeks, on ne sait pas). Jacques Cheminade veut vous le faire acheter le pont eurasien et le complot maçonnique comme dans une pub pour la lessive, sur fond blanc et sourire patelin. Celui de Nicolas Sarkozy est à l’image de sa campagne : narcissique et un peu terne. Excepté le président-candidat, que l’on voit sur rigoureusement tous les plans, et en dépit d’une musique hollywoodienne digne de Transformers 2, cela tombe un peu à plat. Pour François Bayrou, on devient peu à peu obsédé par le ciel ombragé derrière lui, et on se met à craindre, dans un suspens haletant, qu’il ne va pas soudain se mettre à pleuvoir avant que le centriste n’ait fini d’exposer le produire en France. Quant au clip de Nathalie Arthaud, si j’en étais le réalisateur (qui offre tout de même le plan le plus hideux de l’histoire du procédé cinématographique : une photocopieuse, un calendrier, un aquarium), franchement, je partirais aussitôt en cavale en Argentine.

Le plus intéressant reste cependant celui de François Hollande, pour ce qu’il nous raconte de l’histoire du socialisme français, de la gauche d’aujourd’hui, de ses projets, et de ses valeurs.

Très objectivement, c’est peut-être le plus réussi : du rythme, de l’enthousiasme, un beau discours. Les dernières secondes, où la voix éraillée, François Hollande martèle son texte du Bourget, pourraient facilement retourner un mélenchoniste tiède ou un centriste hésitant (pour faire un beau pléonasme). Mais c’est ici secondaire, car tout dans la forme, comme dans le fond, dénote une discrète mais essentielle révolution culturelle opérée par le candidat socialiste.

François Hollande, qu’on le juge opportuniste ou habile, est diablement efficace. Avec sa tranquille assurance, et son air tout gentil, il vient en moins d’un an et demi de passer du statut de looser politique aux portes de l’Elysée. Discret mais foudroyant, l’air de se tenir tranquille mais en marquant au but, insinuant toujours, ne brusquant jamais : il fait de la politique comme l’Italie joue au foot. C’est sa technique dans ce clip, où sans avoir l’air d’y toucher, il présente de vraies ruptures idéologiques. Sans avoir l’air d’y toucher, et même au contraire, pourrait-on dire, en proclamant qu’il n’y touche pas. En effet, ce qui frappe, ici, c’est d’abord une filiation. Le fantôme de François Mitterrand apparaît inévitablement, dans cette longue mise en images de l’histoire de France. Le clip de campagne du président socialiste, en 1988, présentait une semblable frise chronologique, hachurée et épique. D’apparence, donc, la tradition. Et puis, soudain, la nouveauté. Insidieuse, la rupture est là, dans ce jeu subtil de propagande subliminale. S’inscrire dans un héritage, pour en briser le contenu. Revêtir les habits du Père, pour mieux le tuer. Proclamer le plus fort possible qu’on est comme lui (il est en effet impossible d’avoir une imitation plus fidèle de la campagne mitterandienne), pour mieux faire passer sa différence. Ce spot nous dit : je suis exactement à son image, écoutez alors sans-y prêter garde mon message subversif. Répétition bancale, hiatus du même. Schizophrénie fond-forme, bipolarité signifiante. Jeu de masques, masques du jeu. Larvatus prodeo : François Hollande invente le clip Roland Barthes.

En effet, il faut comparer, pour comprendre. Saisir les différences derrière les ressemblances. A travers l’image de ce même, comprendre leur altérité radicale, comme deux variations de Monet ne nous disent rien de semblable. Chez Mitterrand, la frise chronologique inclut Bonaparte et Chateaubriand. Chez Hollande, on se contente des grandes figures du mouvement social et révolutionnaire. Mitterrand : une essence nationale. Hollande : les progrès d’un combat. 1988 : une Histoire à prolonger. 2012 : une bataille à mener. Mitterrand est égotique, monarchique (se mettant sans excès de conscience au même rang que Hugo, Blum, Napoléon). Hollande se présente comme le fils d’anonymes, de foules industrieuses. Ce que nous dit la voix éraillée du Bourget redouble le message : ce qui constitue l’identité de ces images superposées et diverses (la Commune, la Bastille, Jules Ferry), la trame de ce fil décousu, c’est une « âme », celle de la France. Cette âme est une idée, et c’est l’égalité. A l’inverse chez Mitterrand, aucune voix off pour nous aider à trouver la cohérence de cette frise à bâtons rompus : on la devine. Nous l’avons reconnu, mais oui c’est elle, la France Éternelle. Mitterrand est légitimiste, fils d’une Histoire ; Hollande, se veut le porteur d’une idée.

On ne mesure peut-être pas assez quelle révolution copernicienne le candidat socialiste fait effectuer à la gauche française, au pays, même. Depuis bien des années, à présent, l’égalité était devenue un gros mot. Égalité, ah oui, on vous voit venir : égalitariste, niveleur, tuant le mérite, l’effort, le travail, l’assistanat, merci bien. La révolution libérale avait remisé cette idée aux oubliettes de l’Histoire, juste à côté de l’idée de progrès. Affirmer comme le fait Hollande sur toutes les télés de France que l’ « âme de la France, c’est l’égalité », ça, c’est, maintenant, un vrai changement. Un retour aux sources, plutôt, car aux fondements du socialisme, il y a la croyance profonde de l’égale dignité en raison de chaque être humain, venu au monde pour exercer au mieux les plus nobles capacités de son esprit qui le distingue de l’animal. C’est à dire : la justice et sa faculté de jugement. La Raison est notre but dans la vie, car cultiver ce qui nous est propre paraît la seule chose sensée, dans un monde sans Dieu. Or, la Raison est universelle, elle émet des jugements moraux objectifs, donc valables pour tous. Le socialisme considère l’unité profonde du genre humain, être raisonnable, et fait donc fi des particularismes (races, nationalités). Le hollandisme est un humanisme.

Avec ce postulat, la doctrine socialiste, a, depuis le XIXème siècle, l’égalité chevillée au cœur. Depuis les années 1980, avec Mitterrand donc, la notion fut passée par pertes et profits, en faveur de sa sœur ennemie, la liberté. En 2007, encore, Nicolas Sarkozy, et une majorité de Français avec lui, plaçait la liberté au centre. La gauche, s’étant consacrée à la défense de certaines libertés, sur le plan sociétal, notamment, ne parlait plus beaucoup de fraternité universelle du genre humain. Or, la liberté en tant que pure volonté libre, façon droite bling-bling, produit une société de l’injustice ; le hollandisme nous rappelle que la liberté promise par la devise de notre République est plutôt à comprendre comme à une intellection des déterminismes, pour mieux s’en échapper. La vraie liberté ce n’est pas de laisser chacun choisir librement ses études, c’est plutôt saisir comment des facteurs sociaux minent l’école, et font passer des milliers d’enfants à côté de leurs destins. Pour être libre, encore faut-il que la condition de ses parents, sa couleur de peau, sa sexualité, son salaire, n’entravent pas les mouvements du citoyen.

Il faut donc redistribuer, aider, compenser les handicaps, les accidents de la vie et les héritages. C’est par le don de cette liberté, par cette croyance en la fraternité universelle, que la France s’est rendue grande, nous dit Hollande : Révolution Française, impôt sur le revenu, Sécurité Sociale, congés payés, CMU… La France, c’est cette communauté d’êtres raisonnables décidant de devenir égaux, donc libres. Mais François Hollande n’est pas Jean-Luc Mélenchon : la seconde partie du clip le prouve. Pas de marxisme ici : la fraternité absolue nie le Progrès. Il faut de la rivalité, pour de l’innovation. De la cupidité, pour l’invention. Un artiste, un entrepreneur, un ingénieur ne prennent des risques si et seulement si, ils ont l’espoir d’un profit. Dans le domaine économique, le hollandisme est donc pour « le travail, le mérite, l’effort, de l’initiative, de l’entreprise ».

Au final, c’est donc, mine de rien, à un profond renouveau de la social-démocratie que nous convie le candidat socialiste. L’égalité des chances (via par exemple la priorité mise sur l’Ecole) pour la liberté véritable, et le progrès économique, dans la justice.

Alors oui, c’est un peu moins drôle que les parodies de Questions pour un Champion par Philippe Poutou, mais ça fait du bien, vraiment, un clip qui redonne l’espoir de voter socialiste.

http://www.dailymotion.com/video/x2ql77

2 Commentaires

  1. c’est ton analyse qui nous donne espoir!
    Pourquoi ne pas la publier dans un média?