Zoom sur l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Ces territoires, reconnus comme faisant pleinement partie de la république de Géorgie ont été depuis 1990 le théâtre sanglant des velléités indépendantistes attisées par un voisin russe désireux de rétablir son empire.
Les guerres ayant éclaté entre séparatistes abkhazes et ossètes épaulés par l’armée russe contre le pouvoir géorgien en 1990 et 1992 n’ont pas manqué d’être accompagnées de leurs lots d’exactions. On estime aujourd’hui à 400 000 le nombre de réfugiés, victimes silencieuses d’un nettoyage ethnique orchestré en coulisses par la Russie.C’est pour toucher du doigt cette réalité, celle d’un délire purificateur s’étalant sur près de 20 ans aux portes de l’Europe, que début mars 2010 je me rendais donc pour la première fois en Géorgie sur l’invitation de l’ONG Coalition for justice, dont la mission est d’œuvrer pour la reconnaissance du sort de ces réfugiés sur le plan international.
Pendant 5 jours, c’est au sein d’une délégation composée de personnalités et de représentants de l’UEJF, de SOS racisme et d’Urgence Darfour que je partais à la découverte de ce petit pays courageux.

Premières sensations étranges : la Géorgie semble loin des clichés et des fantasmes que la guerre d’août 2008 a distillé dans nos esprits. Ici, la démocratisation est un chemin abrupt dans lequel les dirigeants, le plus souvent des quadras à l’allure occidentalisée, se sont résolument engagés. La presse géorgienne semble libre. Les manifestations anti-gouvernementales, vigoureuses. Par hasard, j’assiste durant mon séjour à un défilé de l’opposition. Un cortège de berlines majestueuses au volant desquelles des déchus de la nomenklatura défilent en klaxonnant, bloque l’avenue principale de Tblissi, la capitale du pays. Ils accusent le gouvernement de l’augmentation du prix de l’essence. En Géorgie, toute opposition politique porte en elle les germes d’une contestation radicale. L’essence trop chère est la conséquence de l’embargo russe. Manifester contre le prix de l’essence c’est en quelque sorte réclamer le retour de la Géorgie dans le giron des états-satellites du gargantuesque voisin.

Durant ces quelques jours passés dans la capitale de la petite République caucasienne, j’emprunte des chemins de traverse. Rien de mieux pour prendre le pouls d’une nation. Ballades au hasard des rues; j’engage la conversation avec d’anonymes badauds. Comme dans n’importe quelle capitale européenne, ils me parlent librement de la vitalité politique de leur pays ou de leurs critiques à Saakachvili. Certains énoncent leurs craintes de voir leur pays de nouveau envahi, puis vassalisé. En dépit des divergences, tous s’accordent à dire qu’un vent jusqu’alors inconnu, celui de la liberté, souffle sur leur jeune nation. Le vendredi soir, je me rends dans l’une des synagogues de la ville; Les fidèles sont formels; les Juifs se promènent sans crainte avec une kippa sur la tête dans les rues de leurs quartiers « Pas comme à Paris » osent-ils me dire non sans une pointe de malice.

Ces constats s’accordent bien avec les rencontres officielles que nous avons faites depuis notre arrivée. Quelques jours auparavant, nous avons en effet eu l’occasion de rencontrer le ministre en charge des réfugiés. Nous discutons avec lui de la situation des personnes déplacées qui, par myriades, ont dû déserter des pans entiers de leur fragile nation pour s’installer au cœur du pays à l’abri des menaces dans des villages reconstitués avec l’aide internationale. L’un des membres de notre délégation ose: « Nous avons constaté que les réfugiés vivent dans des constructions en dur. Dans l’hypothèse où la Géorgie retrouverait son intégrité territoriale, cela ne vous facilitera pas la tâche pour provoquer leur retour dans leur anciens villages ! » s’exclame-t-il hardiment. Le ministre opine du chef. Son conseiller prend alors la parole : « Vous avez raison, mais le droit de vivre en sécurité est un droit fondamental, prévu par notre Constitution. La récupération des territoires perdus reste une option politique. Entre ces deux volontés incompatibles, un choix clair s’impose à tout dirigeant responsable et soucieux du bien-être collectif ». Ce discours empreint de force et de clairvoyance, combien de dirigeants de nations aussi fragiles que la Géorgie en seraient capables ?

Démocratisation et respect des libertés individuelles. Mais nous ne sommes pas au bout de notre étonnement. Nous rencontrons durant notre séjour les anciens leaders séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du sud. Après la proclamation de l’autonomie de leurs provinces, ils ont été évincé par les Russes au profit de leaders fantoches plus acquis à Poutine. Ceux-là mêmes qui, 15 ans auparavant, ont combattu contre les Géorgiens pour leur indépendance, sont aujourd’hui protégés par Saakachvili !

Il est de notre devoir d’encourager les Géorgiens dans leur difficile cheminement vers la démocratie. La tâche nous est facilitée par la vitalité de cette jeune nation et par le fait qu’elle n’ait jamais versée dans le terrorisme. Mais comme trop souvent, c’est contre nos propres dirigeants que le combat reste le plus âpre. En effet, l’année 2010 est particulière. Elle a été placée sous le signe de l’amitié France-Russie. Et les désaveux à la Géorgie se multiplient. La vente de navires de guerre Mistral à la Russie tout d’abord. Poutine ne cache pas le formidable levier d’intimidation envers tous les états voisins que l’acquisition de ces navires représente. Revirement, dans les relations entre grandes entreprises également; dans un précédent article, je relatais ainsi la censure russe dont Eutelsat s’était fait le relais. Mais durant ces journées passées au pied des monts du Caucase, j’ai eu l’occasion de prendre acte d’une énième compromission de notre cher Président. Nous rencontrions à Gori, les représentants de l’Union européenne chargés de veiller à l’application du traité de paix signé fin août 2008 entre Russes et Géorgiens par l’entremise de la France. Les fonctionnaires envoyés par Bruxelles reconnaissaient timidement ne pouvoir veiller qu’à l’application de 50% du traité : « Nous ne pouvons en effet nous rendre de l’autre côté de la ligne de démarcation, les Russes nous en empêchent », avouaient-ils, impuissants. Au même moment, l’invraisemblable se produisait; Medvedev était reçu en grandes pompes à Paris et Nicolas Sarkozy louait l’engagement du leader russe « pour l’état de droit, pour le respect de la parole donnée et pour les droits de l’Homme ! » ». Respect de la parole donnée. Les mots étaient choisis. Relèvent-ils d’une sinistre ironie ? J’ai peine à le croire. Quoiqu’il en soit, ils nous indiquent que notre silence ne fera que conforter nos dirigeants qui chaque jour sacrifie un peu plus la Géorgie sur l’autel de la realpolitik.

C’est pour cela que j’ai choisi de donner à mon tour de la voix dans le cortège encore clairsemé de citoyens européens soucieux de faire connaître la situation de ce petit pays épris de démocratie et d’Occident. Et c’est aux défenseurs des droits de l’Homme, que revient une fois de plus la mission d’endosser les vêtements de trouble-fête.

Raphaël Haddah inaugurera prochainement un nouveau blog : « Blogue à part ».

Un commentaire

  1. Merci pour cet article qui révèle un peu la réalité en Géorgie aujourd’hui.

    Merci !