L’homme à la mobylette jaune qui apporte le courrier. Cet été, au bout d’un Cap Corse. Je le voyais venir de loin. Du départ du chemin de terre caillouteux et poussiéreux, il trottinait à la vitesse d’un poney sous valium évitant les crevasses, les nid de poules et les branchages de ronces que le vent avait projeté en travers de sa route…

A dix heures pétantes, il s’annonçait, précédé par les toussements de son moteur pour se signaler enfin, à proximité, d’un coup d’avertisseur. Je prenais mon café sur la terrasse de cette bergerie restaurée, la seule, unique et ultime bâtisse de ce bout du monde, de cette fin de piste que clôturait un ruban de mer turquoise.
Sous l’ombre du toit tressé de paille, j’étais ce parisien, presque nu, qui avait eu l’idée saugrenue de faire suivre son courrier sans imaginer que ce serait une première pour le facteur de Piantarella. Ce n’est qu’au troisième voyage, devant un verre d’anisette qu’il a lâché le morceau :

– Je n’étais jamais venu par ici et ça fait quarante ans que j’habite la région !

Plage de Piantarella
Plage de Piantarella

J’ai culpabilisé façon colissimo : Solliciter ce brave gars pour des services de presse, des livres, des dvd, des journaux qui n’avaient rien d’urgent… J’imaginais le périple : les paquets, fruits de mon caprice, quittaient Paris en train, embarquaient sur le ferry à Marseille… Livrés à Bastia, ils étaient transférés dans une estafette jaune qui traverserait l’île du nord au sud jusqu’à la succursale de Bonifacio… 1600 km…

Toute cette odyssée pour qu’Amélie Nothomb, Patrick Grainville ou Michel Quint parviennent jusqu’à ma table de nuit… La littérature a du souffle. Il est des marathons moins contraignants… Aller à la librairie du port justement…
Mais on sait bien qu’il y a des livres qu’on n’achètera jamais…

Je contemplais la mobylette de mon postier, perchée sur sa béquille.
Une vieille série Motobécane de 1987 :

– Vous n’avez pas de camionnette, lui avais-je demandé.

– Oh si ! Mais je ne l’utilise que pour les grandes occasions… Ma famille ou les colis qui prennent de la place… Sinon, j’ai un scooter aussi, mais il est neuf alors je le garde pour mes livraisons en village ou les visites à de jolies dames… Parfois, je suis fatigué, c’est mon neveu qui m’emmène, il a une grosse jiip ( Jeep)… Il va là où je lui dis d’aller… Il m’est arrivé de m’endormir pendant ma tournée … Il est gentil, il ne m’a pas réveillé…

Mon livreur au teint mat suait sous sa moustache de grenadier :

– Je m’appelle Angelo… lâcha-t-il entre deux gorgées de pastis mêlé de glaçons qui n’étaient plus que des flocons de neige…

La chaleur nous enveloppant peu à peu ou, peut-être, sa lassitude devenait contagieuse mais je me vis bédouin sous une tente recevant la visite d’un Lawrence d’Arabie, version Tartarin de Tarascon…

– Et si on allait se baigner ? J’ai dit…

– Pouah ! J’aime pas l’eau… Sauf en glaçons…

En l’écoutant, avec son accent corse qui roulait comme les cailloux dans la rivière, j’ai adoré cet homme et sa poésie en uniforme bleu et jaune…

 

4 Commentaires

  1. J’ai également connu un postier comme ça… En Italie.
    Il donnait rendez-vous aux habitants au bistrot à 17hs. Ceux qui n’y passaient pas n’étaient pas dignes de recevoir son courrier….

  2. C’est rare quand ça se produit aussi nettement, le théâtre et son double. Imaginez assis au premier rang, deux salopards venus mater un western de Fuller au Kodak Kinomir. Songez que ce qui vous avait décidé à entrer au Jardin Zoologique de Berlin, c’était seulement l’envie de vous faire peur mais que Nosferatu, assis juste derrière vous, a décidé que ce ne serait pas à vous de le faire. C’était la fin de l’année scolaire et dans le film et dans la salle. Nous étions de sortie avec toute la classe. J’avais à peu près l’âge de Patrick Desmouceaux et je me souviens de vous comme si c’était hier. Vous aviez cinq ans de plus que moi, l’âge d’un frère aîné que je n’avais pas. Les frères aînés manquent aux frères aînés. Quand ils en trouvent un, de quel côté qu’il soit du miroir ils l’inspectent comme un chien est prêt à mordre une main vide après qu’elle lui a tendu un os de poulet. Grâce à vous j’ai compris par quels préliminaires on amenait une fille à dire oui à un baiser. Pour commencer, on ne va pas en solo à la pêche. 1, les deux garçons doivent se trouver deux filles dans la rue. 2, ils doivent les attirer dans un cinéma. 3, il faut céder la place à une première fille, puis se jeter l’un derrière l’autre sur les fauteuils suivants avant que la seconde fille n’ait eu le temps de faire ouf, bouchant de la sorte l’inévitable tunnel de papotage. 4, le garçon passe un bras autour du cou de la fille située à son flanc. 5, il enfourne un paquet entier de Dentyne mints. 6, le garçon et la fille vissent l’une dans l’autre leurs bouches de poissons rouges et vont ainsi se répartir les hémisphères de boule de gomme impossibles à mâcher tout seul. Monsieur de Stabenrath, respect! Pour ça et puis, deux ans après, cette scène inoubliable où Anne Parillaud pied au plancher vous entraîne en décapotable dans une sortie de route à la Virginia Woolf. Une scène devenue prémonitoire quand on pense à la terre où à présent vous évoluez comme dans un océan. Vous avez déjà observé le temps que met un être humain pour traverser les clous? Nous sommes vraiment une race d’empotés. Comparez ça au déplacement d’un aigle ou d’un requin sur la même distance… Non! Dans la scène du baiser… le chewing-gum, il roulait dans les bouches du G.I. et de la Parisienne et c’est vous qui les regardiez, enfin, nous, qui vous regardions les regarder avant la séance de cinéma, la vôtre, et ils roulaient dans un bosquet à l’intérieur d’un film d’actualité à la Libération! c’est ça? Tout se télescope à la lumière du jour. Je crois même que ces images d’août 1944 diffusées par France Libre Actualités furent tournées par Truffaut en 1976. Une façon de se montrer à lui-même ce qu’il avait vu de ses yeux vu autant que chaque nouveau premier spectateur de Rosemary’s Baby pourra vous dessiner de mémoire le visage du bébé qu’a eu Satan avec Sexy Sadie jusqu’à ce qu’il réalise, comme les autres avant lui, que Polanski ne l’avait jamais filmé qu’à travers ceux auxquels il se montrait. Les baleines de Piantarella n’ont jamais éprouvé le désir de voler, elles ressemblent à des zeppelins.

  3. Joli, nous avons tous un petit coin de Corse dans notre coeur. Le mien de « bout du monde » est à la pointe du Cap Corse face à un magnifique petit îlot. Amicalement, Grace

  4. Il n’y a rien de plus agréable que de tenir un carnet de voyage sur le web. Celui qui s’y essaie trouvera une compensation à ses efforts par un retour de messages en provenance d’inconnus. Cette page est bien agréable à lire.