Le 16 février, quelque part entre Jaipur et Alwar:
Une vieille dame surgit de nulle part, emmitouflée d’un châle et flanquée d’un chien chic. Le chien, normalement, est jaune à poil ras, assez près de son état sauvage et mal considéré : ce bouffeur de chairs restant sur les bûchers de crémation serait la réincarnation de l’âme d’un voleur, tout juste bon à recevoir des coups de pieds. Il en était ainsi jusqu’à l’apparition de la très singulière ministre de l’environnement Maneka Gandhi, qui, par haine de feue sa belle-mère Indira Gandhi et de sa belle-sœur Sonia, s’était rangée dans l’opposition au vieux parti de Nehru, le parti du Congrès. Outre l’interdiction radicale des plus beaux châles de l’Inde, les shatoosh chers à Indira, la ministre Maneka choisit de protéger les chiens, promus à la dignité d’animaux domestiques éminents. On vit fleurir les chiens chics, et les chiens jaunes furent moins maltraités. Le chien de la vieille dame cheminant sur une route de campagne entre des champs de moutarde en fleurs était une sorte de bâtard de husky et de chow chow, avec des poils touffus et blancs.
Ce petit changement des mœurs me rappelle le très grand changement de l’individualisme, souligné aujourd’hui dans le Times of India par la jeune romancière Abha Dawesar : « Nos désirs individuels sont venus au premier plan », dit-elle dans les coulisses du festival de littérature de Jaipur où je me rends.
L’amour, toujours nommé en Inde « Romantic love », est enfin arrivé, et il va faire bientôt sauter les verrous des lois d’airain de la famille élargie.