Le cœur palpitant, je saisis ma radio et monte le volume. Les chiffres glaçants du dernier sondage Levada résonnent : près de 4 Russes sur 10 jugent « justifié » l’emploi de l’arme atomique contre l’Ukraine.

Un frisson glacial me parcourt. Comment en est-on arrivé là ? J’entends sur France Info que 11% des sondés estiment même que cette utilisation est « tout à fait justifiée », tandis que 28% la trouvent « plutôt justifiée ».

Alexey Levinson, de l’institut Levada, livre une analyse glaçante : « Les discours effrayants sur l’utilisation des armes nucléaires, que les dirigeants russes répètent, conduisent à une augmentation de la part de ceux qui pensent que c’est acceptable et moralement justifié ».

La propagande du Kremlin aurait-elle réussi à éroder les inhibitions face à l’apocalypse nucléaire ? « Les craintes qui précèdent l’utilisation de l’arme nucléaire se sont érodées sous l’influence de la propagande, et l’idée qu’il n’y a rien de mal à cela approche déjà les 40% », poursuit le chercheur.

Abasourdi, j’éteins brusquement la radio. L’épouvantail nucléaire, agité sans relâche par le Kremlin, semble avoir empoisonné les esprits en Russie.

Pour autant, les impacts psychologiques de la propagande en Russie ont été étudiés. En Russie, comme ailleurs, la propagande façonne une vision du monde parallèle, déconnectée de la réalité géopolitique, à laquelle de nombreux citoyens adhèrent aveuglément. Certains psychologues russes évoquent même une « adaptation névrotique forcée » de la population, confrontée à des conditions de vie précaires, menant à une forme d’aliénation et d’identification perverse à l’agresseur.

Ainsi, la rhétorique nucléaire, assénée quotidiennement par les organes du pouvoir, conduit inexorablement à une acceptation croissante de cette option terrifiante qu’est l’utilisation de l’arme nucléaire par une partie significative de la population[i].

Un pas de plus vers l’abîme ?

De vos lambeaux de chair déchiquetés, de vos peaux brûlées, de vos yeux calcinés, de vos mains pulvérisées, de vos têtes explosées, de vos hurlements oubliés, de vos vies écartelées, de vos pleurs enterrés, de vos souffrances crucifiées, il ne reste au Musée du Mémorial de la Paix à Hiroshima que quelques objets tordus, jaunis, décomposés. Ces vestiges silencieux ont été récupérés après l’explosion du 6 août 1945, lorsque la bombe atomique « Little Boy » a été larguée sur Hiroshima par les États-Unis, tuant immédiatement environ 78.150 personnes et laissant 13.982 disparus. À la fin de l’année, le nombre total de victimes, incluant ceux décédés des suites des radiations, est estimé entre 90.000 et 140.000. Les effets à long terme des radiations ont également causé de nombreuses maladies, augmentant le bilan à plus de 200.000 morts au fil des années.

Cette visite laisse une empreinte indélébile. Pour en saisir toute la portée, il faut s’y rendre. Entre les différentes salles et les photographies géantes exposées, l’horreur se révèle dans toute son ampleur.

Les enfants qui jouaient et riaient avant que l’odeur putride et la décomposition ne transforment leur monde en l’enfer sur terre.

Hiroshima, mon amour – ville-poème, ville-cicatrice – tes rues estivales murmurent encore les fantômes de ceux qui ont disparu, tandis que nous, témoins lointains, continuons d’oublier.

Et, en Russie, l’oubli s’est installé

Il faut croire que les masses sont hélas lobotomisées, que le peuple est enivré de slogans véreux et de démonstrations guerrières pseudo-patriotiques, pour qu’il succombe ainsi aux vociférations intempestives et aux gesticulations de ce fasciste qu’est Poutine. Et, dans cette atmosphère putride et d’allures spartiates, 40% des Russes en viennent à considérer « justifié » l’emploi de l’arme atomique contre l’Ukraine.

Dans la chair vive de l’humanité meurtrie, les lambeaux de souffrance orchestrent une funeste symphonie. En silence, dans l’indifférence, se forge la prochaine génération, promise à l’anéantissement. Pourtant, comme le souligne Bernard-Henri Lévy, une lueur d’espoir subsiste : « Il n’y a qu’une façon d’enrayer l’escalade. C’est de dissuader Poutine et de lui faire comprendre l’impossibilité de sa victoire ».


[i]  Voir à ce sujet : https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/dossiersduceri/le-soutien-de-la-societe-russe-la-guerre-en-ukraine-sur-les-traces-de-l-homo-sovieticus

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