Introduction de Pascal Bacqué

Je propose ici aux lecteurs de La Règle du jeu un texte extraordinaire du grand peintre Christian Bonnefoi, qui pourrait constituer en quelque sorte, parmi d’autres textes-clés, son art poétique. Que cette iknogonie inventée pour son usage « domestique », pour reprendre le mot de Montaigne, que ce récit mythique d’une Genèse des images soit un hymne au Paysage, n’est pas un petit paradoxe, chez un peintre qu’on dira (quand on voudra, comme on veut toujours le faire avec les vivants, le classer, tandis qu’aux morts, autorisés à être inclassables, on vouera l’adoration) un peintre abstrait.

Second paradoxe : ce Paysage premier, né de la rencontre des eaux lumineuses et des particules sombres, est un serpent. Il reste au lecteur à comprendre, dans ce texte, comment ce « serpent primordial », découvert au cours des promenades nombreuses de notre peintre dans la mythologie tantrique (y a-t-il une curiosité, intellectuelle ou esthétique, dont Bonnefoi serait dépourvu ? Il suffit de lire son Traité de Peinture pour répondre à cette question) est bien, dans son monde intérieur, l’âme et le principe du Paysage.

Car il ne s’agit pas, dans ce texte, de culture, de cette culture qui remplissait jadis le vide des journées oisives (elles ont trouvé mieux, désormais, en manière de mobilisation) ; il s’agit, à côté de l’immense puissance créatrice que Bonnefoi déploie avec ses pinceaux, ses ciseaux et ses couleurs, d’un de ces voyages intimes dans les mots où le peintre retrempe son désir, comme un pinceau dans le verre d’eau. Ce poème en prose, cette rêverie étincelante ne sont rien d’autre que ce maintien, jusque dans les mots, d’un travail inlassable dans les matières et les formes, et en-deçà – et au-delà. Je reprends ici, dans ces mots en italique, les idées du philosophe Pierre Caye dans le livre qui vient de sortir, Seul le temps nous appartient, dont les dernières pages rendent un hommage majeur à Bonnefoi et au sens de son habitation du Temps.

De Pierre Caye, il vous sera parlé très prochainement.

Un mot, néanmoins, pour ne pas laisser en suspens cette question du serpent.

Le geste pictural de Bonnefoi consiste à aller constamment du fond à la surface, de l’arrière à l’avant et de l’avant à l’arrière, comme si toute son œuvre s’acharnait à ouvrir le tableau à l’espace et au temps.

Œuvre dansante, non pas seulement dans les lignes, mais aussi dans le temps ; œuvre qui ondule dans l’apparente fixité du cadre : serpent, donc, que ce pinceau qui serpente de l’origine de l’art à sa fin, et, dans l’espace, du lieu au non-lieu et retour ; serpent pour sa grâce longiligne, et pour celle, qui sait ? de son venin salvateur. Qu’il remonte, donc, par courbes et souplesses, jusqu’à un lieu qui précède l’origine, et qu’il appelle déjà ce lieu un paysage, et ce paysage un serpent, il ne faut pas y voir une afféterie, une coquetterie littéraire, un arbitraire poétique – mais, au contraire, l’extraordinaire vocation d’un homme qui peint, pense le visible, la peinture dans toute son histoire, et fait de ses tableaux le vaste et inlassable Poème, comme un Mahabharata, d’une fréquentation du monde, c’est-à-dire de l’espace et du temps. Tout l’espace, même l’arrière, même le fond, même le « sans-fond ». Et tout le temps.

L’œuvre de Bonnefoi, qu’on pourrait s’épuiser à ranger successivement parmi les peintres modernes et les peintres contemporains sans savoir où il se trouve, accomplit, dans son mouvement incessant et si vivace, si vif, une pure libération à l’égard des réquisits, des impératifs, bref, des engoncements de l’histoire de l’art ; il rouvre la peinture ; à ce titre, il est un contemporain essentiel, c’est-à-dire substantiel ; tout le contraire de ces roses qui ne durent que « ce que durent les roses, l’espace d’un matin ».

Le lecteur lira attentivement les derniers mots du texte – où Bonnefoi, avec une grâce inespérée, rend hommage à l’autre côté de la culture, au peuple à qui les lettres de ses livres, finis et infinis ensemble, suffisent.

Un petit glossaire, après le texte, proposera quelques repères au lecteur.

Pour découvrir l’œuvre de Bonnefoi, n’hésitez pas à contacter la galerie Poggi, rue Saint Martin, en face de Beaubourg.

Pascal Bacqué

Iknogonie par Christian Bonnefoi

« Faisons un rêve » (Sacha Guitry)
à Norbert Hillaire

Avant le commencement il y a un Mythe qui rassemble tout, ce qui précède et ce qui succède, ce qui est probable et ce qui n’a aucune raison d’être, ce qui fut et sera sans jamais se montrer, sans dire, car il est muet.

Il est l’infinie réserve de la magie et du savoir que Toth recueillera, un jour lointain, le jour où il incisera Ses lèvres collées afin que le souffle porteur des mots puisse s’évader et parcourir les mondes.

Alors, mais seulement après, apparaissent les mythes qui sont comme des hoquets, des excroissances de récits, des fragments de légendes, quand la voix jamais née arrive à la gorge puis (soit nécessité morale, soit volonté de la matière incoercible) se retourne comme un gant le long du pharynx, aux pentes de l’œsophage et tombe dans le grand chaudron où bouillent toutes les choses à venir et celles du passé ; alors, dans ce sas entre luette et palais, surgissent en Inde, Amérique, Europe, Afrique, Asie des histoires innombrables qui sont d’abord des théogonies, puis des filiations, des engendrements qui commencent à peupler le ciel et les gouffres avant de retomber, étoiles à figures multiples, sur la terre, à la rencontre de celles qui, du fond, montent comme des eaux résurgentes, des fontaines jaillissantes, ou de grands jets sveltes parmi les marbres.

De leur rencontre qui produit la boue de création (mélange d’eau et de particules lumineuses), naissent les êtres de la surface, qui rampent, glissent ou courent.

A ce moment de naissance, le Mythe abandonne ses rejetons, peut-être non désirés, se retire du jeu et retourne à son séjour obscur, dans les entrailles qui sont une matrice concave, creusant vers l’intérieur où pousse lentement, au fond, le Secret vivant.

C’est pourquoi celui-là, le Mythe, je le nomme Absconditus, le Caché, le dieu introuvable et sans lieu des gnostiques. D’autres, parce que son travail d’excavation et de creusement de labyrinthes souterrains est immense, l’appelèrent la Bête du Terrier.

Les rejetons vont prospérer à leur façon sauvage pour inventer, ou simplement raconter des récits innombrables à partir de quelques figures simples, empruntées à la naissance et à la mort, à la vie et au sommeil.

Ils iront parfois jusqu’au blasphème, poussés à se fondre dans la réalité simple des hommes, en fondant le mythe dans les légendes ou les épopées, sans toutefois le dégrader, parce qu’alors ceux qui vont raconter, simples individus, ont la puissance de fondateurs de langues. Martin Fierro, la navaja à la main, danse la milonga ; il n’aime pas qu’on lui marche sur les pieds ; Sturlusson maquille les pillages et les tueries en combat de dieux, hommes flamboyants travestis à la lueur rosie du choc des épées et du dernier éclat dans l’œil du mourant. Le Poverello traîne les foules hors des usines ennuyeuses, suivi par Charlot, SDF lui aussi ; il agite le petit drapeau rouge sans un regard pour qui le suit, tandis que Rimbaud marche, d’estaminet en estaminet, de mazagran en mazagran, et tout cela fume.

Ainsi mourut Achille, un souffle de lumière expirant lentement à la pupille au jour naissant de Troie massacrée.

Il y a aussi l’histoire du Ring and the book où l’on apprend que la fiction, dès lors qu’elle devient poème, est plus réelle que la réalité.

Et puis, surtout, il y a Robert Graves qui réunit les variations infinies des mythes grecs pour en faire un art poétique, nouant avec le Mythe d’origine (sa réalité profonde) l’infinie réserve du chant.

Mais Geb, l’un des noms temporaires d’Absconditus, demeure, au plan médian, un mi-lieu, entre l’obscur et la lumière. Elle est la Matrice : faim insatiable de création et de destruction qu’elle a tôt fait de lier en boucle, car « vient la nuit, aussi le jour ».

Pour le plaisir des hommes, son dernier avatar, et pour que ce fût plus simple, elle posa le soleil dans la barque de Jean-Jacques, afin que, du cœur de sa rêverie, le rêveur s’y réchauffât, éventé par les ailes d’Hypnos, avant de plonger dans le gouffre céleste de la nuit où vient le sommeil.

Au commencement, il y avait donc la matière, c’est-à-dire les images, comme l’écrit Bergson : « J’appelle matière l’ensemble des images. » Une matière non encore formée, et des images ni tracées ni peintes. Planaient-elles sur les eaux ? Mais les eaux n’étaient pas ! Elles brûlaient, l’une et les autres, ou bouillonnaient dans la marmite de l’ensemble, en fusion, magma compact et se mouvant sur lui-même, indiscernables et non-divisées, dans le ventre de Geb, la parcimonieuse qui ne laisse rien aller gratuitement à l’errance.

Ainsi commença la grande fermentation, qui ne cesse de s’engendrer, un bouillon de particules portées par le mouvement ondulatoire qui précède mais déjà accomplit le désir ; et c’est pourquoi l’image est indécise, et le restera, car d’un même mouvement elle se retourne en arrière, éternellement désireuse de l’obscur séjour, et se projette en avant pour trouer la membrane de terre qui l’enserre, et tendre au soleil, loin encore d’une possibilité de forme ou d’un épanouissement, pourtant, déjà, un arbre.

Cela est le Mythe originaire, et ses rejetons en gésine, condition de tous les mythes à venir : éternellement caché, densité pleine sans forme ni figure, mutique (les mots n’existent pas), sans légendes ni actions (les dieux ni les hommes n’existent), énergie pure sans destination ; Il rassemble des puissances et des forces, en attente de leur formation, puis de leur nomination ; un temps hors du temps tel que nous l’entendons, le temps du grand barattage du mythe indien de la création, Vishnu allongé, endormi sur l’Océan primordial que pourtant il contient : le monde, alors, tient en un point.

Puis sous la pression du vouloir-montrer-dire, qui sont les torsions et contractions de la matrice précédant la parturition, le monde s’ouvre de part et d’autre du plan médian, au verso et au recto, symétriquement, et les images se déversent, flots de nuit et de lumière, mais selon des processus de formation différents, l’un gravant les énigmes dans les entrailles de la matrice que l’autre reprendra au recto en allégories, fables, mystères, icônes…

Puis Geb-Deux-Fois-Parturiente, au terme d’un long enfantement laissa filer ses entrailles au jour, comme un tapis qu’on déroule ou une nappe où l’on va ordonner les ustensiles de la Cène, le premier né, Paysage, la première créature, ni poisson, amphibien ou reptile, ni mammifère mais tous à la fois, ce par quoi tout commence et où tout retourne, posé entre les deux eaux, se nourrissant de lui-même, autarcique et muet, s’étendant : fleuves s’habillant de plaines (ou les plaines de fleuves), ciels se chargeant en Ruysdaël, puis (Van Gogh fit cela) se redressant sous les coups des blés mûrs, teignant leur envol à ce noir de corbeau.

Paysage fut le premier animal d’une espèce unique, le fond manifeste sur lequel se déploient toutes les actions, les cycles et les récits que l’homme désœuvré, la nuit, traçait de son seul regard, d’une étoile à l’autre, tendant les chaînes d’or de la géométrie et du dessin, et dansant. Ainsi naquit l’antique alliance du Paysage, fils de la Matrice, et de la peinture, avant même que les dieux en vinssent à peindre les saisons (dit Philostrate) pour leur donner les couleurs qui les distinguent – mais aussi pour leur plaisir – et donnassent des couleurs à leurs saisons (dit Philostrate), successivement vert d’herbe, or des floraisons, cuivre et ocre de la terre mouillée, enfin lapis-lazulis en gelée de ciel.

La beauté fut le fruit de l’union de ces rencontres sur fond de Paysage, car il sera dit :

beau comme un beau paysage,

et cette assertion tautologique sera la règle de l’absence de règles, pour les jours et pour les nuits.

Ainsi vint le serpent – car Paysage est un serpent, qui ne cesse de parcourir le monde de sa démarche d’accordéon, lente et souple, qu’imitera un jour la peinture pour donner le mouvement à l’image fixe, jusqu’à ce que l’Ange des Scrovegni, par lassitude ou parce que c’était sa fonction de garder le Secret, le roulât à nouveau, ciel par-dessus eau, et le restituât aux entrailles, cachées en je ne sais quelle grotte étrangement vivace, et palpitante.

J’ai imaginé ces événements de matière exactement comme le récit qui se déroule devant moi et sous mes mains quand je peins ; la peinture est elle aussi le moment où tous ces matériaux s’étendent, pareillement au Paysage originaire qui est le moment où le Mythe prend corps.

Peu importent les forêts, les plaines ou les montagnes qui ne viendront pas sous mon pinceau, aujourd’hui. Le pigment conduit par la main est aussi une rivière, avec ses méandres troubles et ses coudes limpides, et les rochers qui la dévient de son cours pour la reconduire à la profondeur de son lit ou, au contraire, à la dresser, plus altière que les pics, dans les hauteurs de la rêverie, et même plus loin encore, dans le monde gazeux et coloré de l’imagination qu’éclairent les étoiles. Là, très haut, il fait bon résider et voir pleinement se dérouler le fil du récit mythique qui est le même que celui du paysage ou de la peinture. Il s’adapte à toutes les formes, à l’épopée ou la tragédie, ou au drame baroque. Il aime aussi le rire et la farce.

Je ne sais pas exactement ce qu’est un mythe, comme peuvent le savoir les philosophes et les archéologues. Mais je sais que le mythe parfois produit des originaux ou des avatars telle la guerre, à la fin des temps, où Les animaux derrière le miroir entament la guerre contre les hommes guidés par l’Empereur Jaune.

Odradek, d’abord créature de carton, de fils et de bois, poupée bamiléké ou marionnette pour Félix Klee, passe sur le paysage de peinture comme un daïmôn redresseur de forme, comme le mannequin d’osier du Déluge d’Uccello le poil.

Christian Bonnefoi, « Odradek »
Christian Bonnefoi, « Odradek ». Photo : Camille Bonnefoi

Ah ! Je m’aperçus que le mythe était déjà venu sous mes mains scribales, dans un Diagramme que je construis depuis 1994.

Tout en haut du diagramme sont les fonctions et les actions, ou les modes picturaux proprement dits : Collage, Tableau, Machine, Remake. Tout en bas les notions ou mots qui déplacent les termes picturaux sur le terrain des idées : Migration, Condensation, Maturation. Entre les deux : le long et profond labyrinthe de la chronologie, qui me suffit largement en guise de biographie.

Les termes du bas, symétriques à ceux du haut, étaient insuffisants, car il leur manquait leur origine d’image, celle qui sous-tend toutes les idées ; alors je les doublai de leur raison profonde dont, seul, dispose le mythe. Ainsi Migration recourut à Osiris le démembré, aux membres dispersés, appelant à la réparation, c’est-à-dire au collage ; puis Condensation se prolongea dans la figure de Janus, le bien-aimé de Saturne, maître des directions qu’il sut conjuguer entre elles : c’est le tableau ; enfin Mnémosyne, celle qui entasse les plans et les tient sous le coude, ainsi qu’Isis l’aimante, le grande ravaudeuse et maîtresse du fil à coudre qui parcourt les temps à son gré, dans un sens ou dans un autre – et voici Remake.

J’agissais là comme l’homme désœuvré qui, la nuit, s’absorbe aux étoiles : je dessinais des lignes, des flèches et des traits pour indiquer le mouvement permanent, irrégulier et fantasque, qui passe d’une série à l’autre. Le diagramme devint la cible de l’archer céleste, qui le cribla de points de suspension, de désastres de phrases, de citations. Une géométrie sur laquelle s’abat une tempête, agitée au vent du Tsirouf, de la permutation.

Alors à nouveau comme l’homme sur la montagne, et sans doute à l’aide du Moine Citrouille-Amère (le peintre Shitao) qui sut estomper et faire vibrer les lignes à l’aide du battement d’ailes de papillons, des rides, disait-il (« la méthode sans os », ajoutait-il) qui sont des ondes escaladant les montagnes, où, sans doute à cause du mouvement en accordéon du serpent-paysage, je vis se fendre les lignes d’où s’échappèrent des nuages et des brumes. Je regardai cette agitation et comme lui je vis apparaître, annoncé par les réseaux du dessin, des figures fantastiques, des animaux monstrueux qui n’ont jamais touché terre, des scorpions menaçants, des chevaux à tête d’homme, des géants terribles, Orion suivi de Cassiopée. La géométrie entrait en mutation. Foin de métamorphoses : elle allait au zodiaque.

Alors les images affluèrent, débordant le cadre du Diagramme, de l’Egypte et de la Grèce et du Latium, s’ouvrant aux enfantements lointains de Geb, aux métamorphoses du serpent Kundalinî, escaladant les parois du corps, multiples méandres, enroulement, repos de lotus en lotus (il y en a six), puis élan, puis encore repos (où je me tiens maintenant), encore loin du but, en Mûlâdhâra Chakra, en bas dans l’axe central de mon diagramme. Et comme une autre théogonie appelle une autre iknogonie, voici de nouvelles images organisées diagrammatiquement, les quatrepétales avec leurs lettres peintes en or, le feu grossier, l’éléphant Airâvata au centre, porteur du La, conscience de Brahma, le « triangle féminin » ou Yoni ; puis les couleurs, attributs des déités ou des formes ou des lettres : jaune, rouge, blanc, plus l’éclair lumineux, quantificateur chromatique, de la Devi Kundalinî[1].

Christian Bonnefoi, « Le Théâtre du rêve sans fond »
Christian Bonnefoi, « Le Théâtre du rêve sans fond ». Photo : Camille Bonnefoi

Alors je peignis une composition que j’appelais le Théâtre du rêve sans fond parce que sur le papier ou sur la toile, au bout du pinceau, convergeait une multitude de formes et de mots, brisés, tronqués comme les membres dispersés d’Osiris, et qu’il leur fallait s’arrêter un moment pour se reposer dans cette autre matrice qu’est le Rêve, ou la Nuée, dont Vénus enveloppe Énée.

Dans ce Théâtre, comme au ciel des zodiaques, je posais vingt-quatre figures, chacune ayant son nom : Bottom, Sublime unité, Dactyles, Métacarpes, Larme de Guernica, Ixodes Ricinus, Yolande de Soissons, Modérateur spatial, Puck, Fil d’argent, Ductus, Division aux pieds légers, L’auteur dans la posture de Sacha Guitry, Maturation posthume, Nu bleu n° 4, Trismégiste, Skopos, Main, Zouave, « Équation d’un Dieu Janus, total, se prouvant », Brushstroke, Asperge solitaire, Lumière, Obscur, Quatre, etc.

Puis je fis une Iknogonie, qu’Hésiode me pardonne, incluse dans cette composition, qui est la suivante :

Au commencement Harmonie régnait seule
au centre du carré blanc sur fond blanc

puis vint Division qui instaura Ligne et Couleur
et troubla l’eau sans ride d’Harmonie

Alors celle-ci
virgo sed bellatrix
créa par sa seule volonté
Métacarpe et Puck
les poussant à s’unir

De leur union naquirent
Article et Conjonction
puis Epaisseur et Profondeur
Ainsi Division fut elle-même divisée
Ses rejetons innombrables peuplèrent Surface et Plan

De l’un naquit Confusion et Bouche d’Enfer
Connu sous le nom d’Ixodes Ricinus :
« qui avale le temps »

De l’autre les Gémeaux ennemis
Obscur et Lumière

L’un économe et gardien de Densité
(chacune de ses paroles obstrue la gorge de qui les répète)

L’autre dispensateur de Louanges
(chacune de ses phrases commence par Laudate)
Zouave et Modérateur Spatial furent les fruits de leur union contre-nature

Aidés d’Auteur et de Fil d’Argent
ils détruisirent la descendance de Division,
jusqu’au dernier dit Trismégiste
« pour la plus grande gloire d’Harmonie »

Alors l’Ange
du coin du ciel
estimant que le temps avait suffisamment œuvré
enroula à nouveau les merveilleuses images
et les confia
pour un temps indéterminé
au sans-fond de Matrice,
la Gardienne de l’endroit et de l’envers.

Christian Bonnefoi, « Constellation du cheval de bois »
Christian Bonnefoi, « Constellation du cheval de bois ». Photo : Camille Bonnefoi

Plus tard, je fis d’autres compositions, la plupart comme des Zodiaques, que je suspendis au-dessus de Ginza ou dans le ciel noir de Busan. Une aussi au-dessus des Flandres ; je les peuplai de constellations inédites, celle du Cheval de Bois, qui rappelle la « tromperie du cheval », l’inganno, puis celle de La providence s’abreuvant au sein de la Métaphysique où s’entrevoit une Scienzia Nuova.

Je continue, insouciant de la fureur du visible.

Mais un peuple, un seul, ignore toutes ces fictions ; la lecture de l’essaim des Lettres en mouvement, dans le volume épais et jamais refermé du Livre, lui suffit.

Une autre histoire.

Remarques de Pascal Bacqué pour une aide à la lecture

— Toth : dieu de l’Egypte ancienne, inventeur de l’écriture.

— La bête du terrier : nouvelle majeure de Kafka.

— Martin Fierro : poème épique composé en 1872 par José Hernandez.

—  Poverello : François d’Assise. 

— Ring and the Book : poème épique de Robert Browning.

—  Geb : déesse de la terre dans l’Egypte ancienne. 

— Ange des Scrovegni : fresque de Giotto. 

—  Drame baroque : allusion à la thèse (refusée) de Walter Benjamin.


[1] Je reprends en détail cet aperçu sur le Tantrisme dans un ouvrage à venir intitulé Traité du paysage intérieurintérieur au sens strict : à l’intérieur du corps, soit à l’intérieur de la matrice de Geb.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*