Il y a quelques mois, de retour d’Israël à New York, j’écrivis un message à Hersh Goldberg-Polin, le jeune otage assassiné samedi par le Hamas, sur le panneau arborant sa photo à l’aéroport. « Hersh, j’ai rencontré ta mère et elle m’a dit que tu devais rester fort et survivre ». 

Il ne me connaissait évidemment pas, mais j’avais l’impression de le connaître, après ces neuf mois interminables de détention entre les mains du Hamas dans les tunnels de Gaza. Je savais qu’il aimait la musique, qu’il collectionnait les numéros du National Geographic et qu’il aimait la bière, comme mon frère. Je savais qu’il était courageux et qu’il avait sauvé d’autres participants à la rave party lors du massacre du 7 octobre, relançant sur les assaillants, depuis l’abri où il s’était réfugié avec son ami Aner Shapira, les grenades qu’eux-mêmes lançaient. Et je savais que Hersh se comportait avec un sens inné de la dignité, qui lui avait sûrement été transmis par ses parents, Rachel et Jon Goldberg-Polin, lorsqu’il a été forcé par les monstres sauvages du Hamas à monter dans cette camionnette infernale, en soignant ce qui restait de son bras. Son avant-bras gauche venait d’être arraché.

Plus tard, bien plus tard, Je crois qu’une part de lui a entendu le cri perçant et la prière de Rachel, qui, il y a trois jours, a hurlé dans un mégaphone à la frontière de Gaza : « C’est maman, Hersh, c’est le 328ème jour, nous sommes tous ici, toutes les familles des 107 otages restants. Hersh, nous travaillons jour et nuit et nous ne nous arrêterons jamais. Il faut que tu saches que je te bénis chaque matin, et que je prie pour toi chaque vendredi soir…» 

Je me demande ce que Hersh savait et ce qu’il ressentait.  

Savait-il que, dans les rues de New York, Chicago et Los Angeles, sa photo était affichée partout ? Que des autocollants recouvraient les réverbères des quartiers où j’emmenais ma fille à l’école ? Qu’en Amérique, qui est aussi sa patrie, les gens commandaient leur café en utilisant son nom pour que le « barista » le crie dans les salles bondées ? 

Certains d’entre nous se réveillaient et avaient le sentiment que Hersh était parmi nous, d’une manière ou d’une autre. D’autres ne savaient pas qui il était, ni ce que son nom avait fini par signifier. D’autres encore s’en fichaient. 

Je me demande comment nous en sommes arrivés à ce que tout le monde en Amérique n’ait pas appris le nom de Hersh au bout de ces onze mois en enfer. Après tout, il était notre compatriote, un Américain…

Je n’étais pas née lorsque plus que cinquante Américains ont été pris en otage en Iran en 1979 et détenus pendant 444 jours. Nos compatriotes américains connaissaient-ils leurs noms à l’époque ?

En tout cas, moi non. Et, honteuse de mon ignorance, j’ai cherché à connaître leurs noms et leurs visages. En cherchant sur Google, je suis tombée sur un article de Time Magazine datant de 1980. C’était il y a quarante-quatre ans et les paramètres étaient différents – mais je ne veux pas oublier que c’était le même monstre qu’aujourd’hui qui tirait les ficelles. Comment notre réaction nationale avait-elle pu changer aussi radicalement quarante années plus tard ? J’ai lu attentivement l’article :

« Khomeini impose aux États-Unis un test suprême de volonté et de stratégie. Jusqu’à présent, son chantage aux otages a produit un résultat qu’il n’avait certainement pas prévu : un élan de patriotisme, qui a rendu le peuple américain plus uni qu’il ne l’avait jamais été sur aucune question depuis deux décennies. Le choc de voir le drapeau américain brûlé dans les rues de Téhéran ou utilisé par les assaillants de l’ambassade pour transporter des ordures a sorti la nation de son “syndrome du Viêt Nam” qui la faisait douter d’elle-même. Les inquiétudes concernant la capacité de l’Amérique à peser sur les événements à l’étranger cèdent la place à la colère face à l’impuissance ; le pays semble désormais disposé à exercer son pouvoir. Mais comment cette puissance peut-elle s’exercer contre un adversaire insensible aux formes habituelles de pression diplomatique, économique et même militaire, et comment peut-elle être affinée pour faire face à d’autres extrémistes du tiers-monde qui pourraient suivre l’exemple de Khomeini ? C’est peut-être là le problème central de la politique étrangère américaine tout au long des années 80 ».

Je me demande où est passé ce « sursaut de patriotisme » ? où, cette « unité » du peuple américain ?

Où est le « choc de voir le drapeau américain brûlé » ? Et, cette fois, ce n’est pas à Téhéran, mais sur nos campus universitaires…

Où est la « secousse » permettant à notre nation de se réveiller de son sommeil et de son « doute » ? 

Où est notre « colère collective face à l’impuissance » et pourquoi la volonté de ne pas reprendre l’intiative n’est-elle pas réapparue dans notre administration ou dans l’opinion publique ?

Fatigués que nous sommes par le Vietnam, puis par l’Afghanistan et l’Irak, où est notre sens collectif de la responsabilité vis-à-vis des idéaux américains ?

Pourquoi n’avons-nous pas appris à combattre un adversaire « immunisé contre les formes habituelles de pression diplomatique, économique et même militaire » ? Ou bien savons-nous le faire mais préférons-nous ne pas le faire ?

Pourquoi sommes-nous devenus des professionnels de la lâcheté ?

J’ajouterai une chose qui, j’en suis certaine, ne s’appliquait pas en 1980 : comment est-il devenu « acceptable » de déchirer la photo de Hersh ?

Pourquoi sommes-nous confrontés dans les rues de nos villes à l’acte dégoûtant, malveillant et maladivement joyeux de ceux qui arrachent le visage de Hersh – un outrage, pour paraphraser Douglas Murray, que même un chien perdu n’aurait pas à subir ?

Dans ma tête, je ne cesse de me répéter les paroles de Rachel lors de la récente convention nationale du Parti démocrate : « Dans la tradition juive, chaque personne est un univers entier ».

Si chaque Américain(e) avait écouté ce message, avait embrassé l’univers d’Hersh, avait appris son nom, respecté sa photo, fait pression sur les autorités et l’avait gardé, ainsi que la centaine d’autres otages, au premier plan de la conscience collective, peut-être qu’ensemble, nous aurions pu ramener Hersh à la maison. 

Au lieu de cela, aujourd’hui, nous pleurons.


Traduit de l’anglais par Gilles Hertzog