Ainsi donc la guerre est déclarée.

Pas seulement la guerre du Hamas, lancée le 7 octobre 2023.

Pas seulement la guerre du Hezbollah, le lendemain, le 8, avec ses frappes quotidiennes partant du Liban.

Pas seulement la guerre des houthis du Yémen qui, guidés par un navire espion des Gardiens de la révolution, se sont lancés dans la mêlée en tirant leurs missiles sur Eilat et en bloquant, quand bon leur chante, le détroit de Bab el-Mandeb.

Pas celle des milices pro-iraniennes qui opèrent depuis l’Irak et tuent, depuis la prise de Kirkouk, en 2016, mes amis kurdes.

Et pas celle des éléments pro-iraniens qui colonisent la Syrie de Bachar el-Assad et harcèlent tantôt le Golan, tantôt les localités du nord d’Israël.

Non.

La guerre, la vraie, la mère de toutes ces batailles, celle qui excellait à coordonner, d’un théâtre l’autre, tous ces proxys et où c’est l’Iran lui-même qui, maintenant, monte en ligne et se découvre.

Pourquoi les mollahs ont-ils commis cette imprudence ?

Pourquoi être sortis de l’ambiguïté qui laissait croire, jusqu’à présent, à une série de guerres asymétriques opposant une armée de Robocops israéliens surarmés à des organisations apparemment lilliputiennes ?

Pourquoi avoir choisi de montrer au monde qu’Israël n’est pas l’État « génocidaire » et « massacreur d’ enfants » que l’on nous présentait jusqu’ici, mais une petite nation attaquée par une puissance impériale qui a juré de l’annihiler et qui, après l’avoir fait encercler, du nord au sud et à l’est, par ses escadrons de mercenaires, décide de passer à l’action et de porter le coup fatal en la submergeant, selon un scénario tactique presque aussi inédit que celui du 7 Octobre, sous une nuée de drones et de missiles ?

Et pourquoi, d’un autre côté, ce déluge de feu à la fois terrible et dérisoire, puisque 99% des tirs ont été, soit stoppés par les Patriot israéliens et américains, soit si mal ajustés qu’ils sont tombés en territoire iranien ? pourquoi cette erreur de calcul qui n’a fait que souligner la solidité, et des défenses d’Israël, et de ses alliances ? et quel intérêt avait Téhéran à offrir aux pays arabes ce visage qui ne pouvait que ressouder, par contrecoup, les accords abrahamiques scellés il y a quatre ans et qui paraissaient, ces temps derniers, battre de l’aile ?

L’avenir le dira.

Mais, en vérité, peu importe.

Et l’on pourra, sans dommage, laisser cette mollarchie au mystère de ses stratégies retorses et, peut-être, tout simplement absurdes.

Car une chose, aujourd’hui, compte.

La République islamique d’Iran n’est pas seulement ce régime failli, économiquement ruiné, désavoué par la jeunesse, les femmes, les forces vives du pays et dont la force semble celle d’un tigre de papier.

C’est aussi un pays qui, comme l’URSS des derniers temps où coexistaient un pays réel dévasté par la misère et, découplé de lui, un appareil militaro-industriel ultramoderne capable de faire jeu égal avec les Etats-Unis, s’est doté d’une industrie nucléaire secrète mais performante. C’est un pays dont les programmes n’ont fait, dans ce domaine, que croître et prospérer au gré des changements de cap d’une Amérique oscillant, depuis quinze ans, entre la naïveté façon Obama et, avec Trump, les rodomontades sans effet.

Et, quant à ces programmes, leurs sites ont été, au fil des ans, déplacés et souvent enterrés ; leurs centrifugeuses sont devenues capables d’enrichir l’uranium 25 fois plus que le seuil autorisé ; les inspecteurs de l’AIEA n’y ont plus véritablement accès ; en sorte que les sites sont devenus un gigantesque trou noir, sortis de tous les radars et dont le monde pourrait, dans six mois, dans un an, brusquement découvrir qu’ils ont permis à l’Iran de rejoindre la Corée du Nord et la Russie dans le club des dictatures capables de mettre le feu à la planète…

J’ajoute que les mêmes drones qui ont, à l’exception d’une fillette dans le sud du pays, systématiquement manqué leurs cibles sont tout de même ceux dont Poutine fait usage, depuis deux ans, pour ravager l’Ukraine.

Et j’ajoute que cet Iran dont on moque le pathétique échec face à la solidité du Dôme de fer vient de se livrer, dans le golfe Persique, à des manœuvres navales conjointes, passées étrangement inaperçues, avec les marines de guerre russe et chinoise. 

Imaginons, dès lors, que le régime sorte indemne de cette aventure.

Imaginons qu’il la voie, cette aventure, non comme une faillite lamentable, mais comme une répétition générale.

Et supposons qu’il la répète, dans six mois, dans un an, lorsqu’il lui sera techniquement possible d’équiper ses drones et missiles de charges nucléaires devenues opérationnelles.

Il y a là, pour Israël et, au-delà, pour la région, une perspective terrifiante et une menace existentielle.

Et c’est pourquoi me semble déraisonnable le sentiment de « lâche soulagement » qui règne chez les alliés d’Israël et dicte, partout, la même recommandation de « désescalade » et de « retenue ».

L’Iran a déclaré la guerre.

Il n’y a pas d’autre choix, hélas, que de riposter.

5 Commentaires

  1. Bien entendu, personne, on a bien dit personne, n’interdit à quiconque de clamer sa vibrante compassion à l’égard des civils de Gaza victimes d’une guerre de (re)conquête pan-nationaliste, islamique, mondiale, palestiniste et palestinienne. Ce qui, en revanche, poserait un foutu problème aux défenseurs des droits ou, plus inclusivement, d’un droit international(ement violé par les États de non-droit), serait que ledit soutien aux victimes du faux génocide négativement négationniste des Palestiniens, implique la destruction de l’État génocidaire (sic) que projette de rayer de nos cartes le nébuleux royaume du bon Dieu, dualiste en diable. Contre cela, nul ne conteste la nécessité d’instaurer des protocoles de déradicalisation sociétale, après que l’on aura eu le courage de condamner a minima les agents objectifs du Jihâd pour intelligence avec l’ennemi.
    À Gaza, à Ramallah, à l’intérieur des frontières amovibles de la Palestine parallèle, l’affaiblissement du soutien des populations civiles à leur leadership transcendantal n’a jamais procédé d’un désir de démocratisation mais, à l’inverse, d’un rejet de la normalisation apparente des organisations terroristes Fatah, puis Hamas, lequel changement de braquet allait être perçu comme une soumission aux normes occidentales telles que propagées aux quatre points cardinaux par feues les Nations unies. À ce compte-là, force est de constater que les masses auto-assommantes, ces mordeuses de poussière que l’on dit assoiffées de droits fondamentaux, s’étaient peu à peu détournées d’un establishment corrompu que les partisans de la solution à deux États n’auraient de cesse que de convaincre de jouer la carte onusienne, pour miser sur des forces subétatiques plus libres de leurs mouvements, plus révolutionnaires, plus radicales, comme le Jihad islamique palestinien auquel le gouvernement de Gaza et, si j’ose dire, les nôtres, attribueraient le rôle du méchant, afin que la transformation politique de Gaza en État démocratique pût s’opérer dans le tumulte irrésorbable d’une lutte à mort contenue par Iron Dome.
    Et puis, le 7-Octobre.
    « Damned ! »
    Quels que soient les effets d’annonce des gouvernements progressistes, l’islamisation du continent européen progresse. Il y en a un qui doit se frotter les mains, c’est le Reuf de l’OTAN. Sachant que la coexistence pacifique des incompatibles mugit telle une insulte à l’intelligence, laquelle des deux Europe triomphera-t-elle de l’autre : l’Europe Charlie ou l’Europe Kouachi ? laquelle d’entre ces deux conceptions de l’Esprit guidant le peuple est-elle désormais contrainte, sous le couvercle sifflant du ciel, de respirer à l’air libre sous protection policière ?
    Nous sommes en guerre, et nous avons face à nous une entité beaucoup plus difficile à nommer, affronter ou combattre qu’un nano-empereur dépourvu de conscience, inconscient de son propre programme et par là même irresponsable de ses actes, comme pouvait l’être Coronavirus.
    « Mettons de l’eau dans notre vin », diraient les pas-de-vaguistes. On leur donne notre accord pour en verser une dose létale à l’Assassin dont l’absorption ne causerait aucun dommage irréversible dans le fût des principes fondateurs de l’Europe des Lumières. Si cela a pour effet de sauver l’essentiel d’une fragile Loi des hommes entre les articles de laquelle a trouvé le moyen de se réintroduire le ver de l’intégrisme, prenons-en le risque.

  2. Monsieur Levy
    Bien sur qu’il faut soutenir Israël dans cette guerre
    Mais dans cette guerre Israël s’est perdu et nous avec

    Le Hamas l’a entrainé dans cette haine aveugle, cette inhumanité

    Plus jamais nous ne serons crédibles lorsque nous condamnerons un état lorsqu’il commet un
    crime de guerre en affamant une population et en la privant des soins les plus vitaux
    Votre silence et donc le notre est assourdissant sur les agissements de ce gouvernement d’extrême droite qui
    mène une guerre légitime et nécessaire mais en commettant des crimes que nous aurions condamnés pour tout autre état.

  3. Je vous lis régulièrement, cher Bernard-Henri Lévy. J’ai lu comme je m’y étais engagé ‘Solitude d’Israël’, et me voilà de nouveau au rendez-vous, car c’est un peu ainsi que m’apparaît chaque livraison de ‘La Règle du Jeu’, un rendez-vous qui m’oblige à constater que vous ne suscitez rien d’autre chez moi, par vos textes clairs et précis, qu’approbation ; aucun désaccord. Est-ce à dire que je devrais m’interroger sur cet étrange phénomène, puisque mes lectures, par ailleurs, ne manquent pas d’éveiller mon goût de la contradiction, ainsi que sa nécessité si on veut éviter l’adhésion, que je n’aime guère ? Pourtant c’est ainsi. Et une fois encore, je ne vois rien à vous opposer. En revanche, je vous interrogerais volontiers sur la nature de la riposte que vous préconisez : consisterait-elle à viser des sites stratégiques ? Supposerait-elle qu’on fît le pari qu’elle achevât de ruiner un régime réputé moribond ? Mon inquiétude se porterait alors sur ce terrible moment de l’Histoire, telle que j’ai l’outrecuidance de la voir – moment dont m’effraie le caractère abominablement crépusculaire. Si je conversais avec vous, je vous demanderais si vous attendez encore de l’Histoire autre chose qu’une fin tragique que je ne tiens pas quant à moi pour imminente, mais pour directement dépendante de notre démesure, et par conséquent hautement envisageable dans un avenir à notre échelle.

  4. Nous vivons dans une ambiance munichoise.
    Tout est parti de la décision des Américains d’abandonner l’Afghanistan. Ils ont quitté Kaboul avec une précipitation qui a pu faire croire qu’ils avaient un besoin pressant à satisfaire. Biden eut beau dire que cette fuite était formidable, comme tout ce que faisaient les Américains, c’est après cela que la Russie s’est montrée agressive, la Chine menaçante et l’Iran arrogant.
    Quel beau spectacle donne l’Occident aujourd’hui:
    – un président américain au cerveau à éclipses qui a comme adversaire un vieux pitre qui n’a à offrir aux électeurs américains que sa grande gueule, un congrès qui retarde pendant des mois l’aide militaire à l’Ukraine et à Israël pour des chicaneries de politique intérieure,
    – un président français qui volette, papillonne sans se poser nulle part, qui a perdu toute crédibilité en politique internationale, dans un pays bientôt aussi irréformable que la France de Louis XVI,
    – une Allemagne qui demande à ce qu’on la laisse brouter et ruminer tranquillement dans son pré comme une bonne grosse vache,
    – une Angleterre qui, après nous avoir infligé le chauvinisme anti-européen le plus stupide, donne le spectacle d’une société en état de décomposition avancée,
    – une Italie qui, au vu de sa démographie, sera dans quelques années une EHPAD géante (comme le Japon, d’ailleurs).
    Allons-nous, dans ces conditions, faire peur aux états prédateurs ? J’ai des doutes.
    C’est malheureux à dire, mais, dans cette atmosphère munichoise, le seul dirigeant qui tient ferme le rôle qu’on attend d’un homme d’état en temps de guerre, c’est Netanyahou. Le bonhomme est d’une probité douteuse, on ne lui achèterait pas une voiture d’occasion, mais il fait le job. Après tout, Churchill, quand il est entré à Downing Street, c’était un vieux politicien réactionnaire et alcoolique. Mais il avait des convictions et il avait du caractère (j’aurais pu aussi citer Clemenceau qui, lui, n’était pas alcoolique).