Peut-on parler du cinéma odessite, au même titre que du cinéma hollywoodien, tel qu’il a été façonné au cours des deux premières décennies de son existence, tant au niveau des pratiques que des contenus ? Alors que, structurellement, le cinéma hollywoodien est d’emblée conquis par l’idéologie américaine, le cinéma odessite s’inscrit en premier lieu dans une culture protéiforme, avant même d’être confronté au postulat idéologique.

Sa préhistoire puise dans une société cosmopolite qui jette les fondements d’une industrie ouvertement compétitive face aux grands distributeurs que sont les maisons Gaumont et Pathé de l’époque, présentes sur le territoire du bassin de la mer Noire. Lorsque les opérateurs français du cinématographe Lumière[1] arrivent à Odessa au mois d’août 1896, ils sont stupéfaits de voir leurs concurrents locaux projeter, avec des appareils de fortune, les images animées de L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat, qu’ils s’étaient frauduleusement procurées.

Alors qu’au tournant du XXe siècle, le cinématographe était déconsidéré par les autorités et par l’Église orthodoxe dans tout l’empire russe, les premiers ateliers de cinéma sont apparus à Odessa et se sont progressivement transformés en sociétés de production avec leurs propres locaux. Les sociétés Mirographe et Mizrakh produisaient des adaptations cinématographiques de la littérature yiddish, principalement des mélodrames, comme Les catacombes d’OdessaLa Vie des Juifs en PalestineLa Vie des Juifs en AmériqueLa Guerre et les Juifs. Pouvant compter sur un public numériquement important, l’objectif de la Mizrakh était aussi d’unir les Juifs de la diaspora autour du programme sioniste, avec d’ambitieux projets tournés vers l’exportation. Après la Révolution sont apparus les studios Meduza d’Alexandre Nikitine et Siniaïa Ptitsa d’Alexandre Sibiriakov, ainsi que les studios de Kostiantyn Borissov et de Dimitri Kharitonov. La refonte de ces sociétés, mesure ayant pour effet de supprimer les conflits qui désorganisaient une industrie en restructuration, s’est dès lors traduite par un contrôle plus strict des autorités, avec pour objectif à court terme leur aliénation et leur absorption totale par le nouvel organisme d’État créé à cet effet : la Direction Générale de la photocinématographie d’Ukraine[2] (VOUFKOU). C’est dans ses locaux, situés sur le Frantsouzky boulevard, que s’est érigé, en 1919, puis s’est modernisé en 1923, le Studio d’Odessa. Dès lors, Odessa est devenue la ville du cinéma par excellence, disposant d’un véritable major film studio où seront tournés les grands chefs-d’œuvre du cinéma muet ukrainien.

Dès sa création en mars 1922, la VOUFKOU affirma clairement ses priorités. Elle exerçait un monopole unilatéral en se basant sur les critères de la NEP, parallèlement à la politique de l’indigénisation accordée par Moscou aux républiques allogènes en 1923. Cette stratégie, illustration de la question nationale, fut pareillement appliquée à la résolution lancée par l’Agitprop du PCU qui visait à combattre l’antisémitisme ambiant, revenu avec la crise économique. Les censeurs ukrainiens ayant une approche plus libérale de la judéité, contrairement aux censeurs russes qui redoutaient l’apologie des particularismes ethniques, une commande de films ad hoc fut lancée auprès de la VOUFKOU. De son côté, le magazine cinéphilique Kino encourageait fortement la production de films des minorités nationales, en particulier les adaptations des œuvres de Cholem Aleikhem portant sur la vie des habitants des shtetls avant la Révolution : À travers les larmes (1928) et Les étoiles errantes (1926), signées toutes deux par Grigory Gritcher-Tcherikover. L’écrivain Isaac Babel scénarisait lui-même ses récits, montrant la judaïté dans la réalité soviétique : Le sel (1925), réalisé par Piotr Tchardynine ; Benia Kryk (1926), Les yeux qui ont vu (1928), par Volodymyr Vilner ; L’homme du shtetl (1930), par Grigory Rochal. Une troisième catégorie de films traitait de la dénonciation des opposants politiques − la bourgeoisie juive, les ennemis extérieurs, foyer de l’antisémitisme −, comme Les ombres du Belvédère (1926), mis en scène par Alexandre Anochtchenko, et Les cinq fiancés, d’Alexandre Soloviov (1930). La production de ces films[3] par le Studio d’Odessa prendra fin en 1930, avec la liquidation de la VOUFKOU et les derniers soubresauts de son autonomie.

Tout en prônant une diversité culturelle, la VOUFKOU ne sut cependant pas éviter les clivages et les antagonismes communautaristes entre les cinéastes ukrainiens et les cinéastes russes travaillant au studio d’Odessa. Le clan ukrainien tendait à légitimer une cinématographie nationale par une attitude ethnocentriste, accentuée par les effets immédiats du processus de l’ukrainisation. Moins bien rétribués que leurs collègues russes, les cinéastes et comédiens ukrainiens leur reprochaient de s’attribuer les scénarios de premier choix, leurs dépenses de production excessives et leur mépris de la culture du pays d’accueil. Les réalisateurs Faust Lopatynskyi, Heorhiї Stabovyi et Alexandre Dovjenko furent rangés parmi les réactionnaires nationalistes, en rupture totale avec le lobby moscovite dirigé par le directeur du studio Mikhaïl Kaptchynskyi[4], qui défendait la ligne dure du Parti. Ce bras de fer eut des répercussions négatives dans les relations entre le Sovkino de Moscou et la VOUFKOU, créant des frontières douanières qui entravaient la circulation des films à l’échelle de l’Union, voire même l’interdiction de certains films. Au contraire de cette politique protectionniste, la diffusion internationale des films odessites connut un sort plus enviable, grâce à ses représentations commerciales à Paris, Berlin, Vienne, Londres, New York. Ce fut Mykola Skrypnyk, commissaire à l’Instruction et francophile dans l’âme, qui songea à instaurer des relations culturelles directes entre l’Ukraine et la France, sans l’aval de Moscou[5]. À l’occasion de sa venue à Paris en 1927, il s’intéressa à la distribution des films de production ukrainienne, souvent perçus comme des films russes, en améliorant l’image de la VOUFKOU auprès des distributeurs français. Rien qu’en 1928, treize longs métrages produits par le Studio d’Odessa furent achetés par la société française Pathé-Nord, qui avait par le passé réalisé d’intéressantes coproductions en Russie. Le cinéma odessite était visible dans le circuit de l’Hexagone, complétant la richesse des programmes dans les salles d’art et d’essai, malgré les restrictions imposées aux films soviétiques quant à l’obtention de visas d’exploitation. Tandis que la société russe Ermolieff-Cinéma et la Société des films Albatros d’Alexandre Kamenka, établies à Montreuil, livraient des films avant-gardistes ou de tradition orientale, dans des décors très travaillés par des exilés russes, les films odessites, eux, apportaient la touche exotique, faisant ou non l’unanimité auprès du public et des critiques.

Au milieu des années 1920, près de la moitié des films de production soviétique était réalisée en Ukraine, à tel point que l’importation de films étrangers, notamment français, allemands et américains, constituait à peine 51 % des films distribués dans le circuit ukrainien. Le centre cinématographique de l’Ukraine était le Studio d’Odessa, avec ses propres réalisateurs « maison », et ses stars accourues des quatre coins du pays et des républiques de l’Union. La VOUFKOU engageait à tour de bras ce qu’il y avait de plus créatif en Ukraine, notamment dans le domaine littéraire, ainsi que dans les domaines de la communication et des arts appliqués. L’ukrainisation[6], qui s’opérait davantage en surface qu’en profondeur, était visible sur les écrans, jusque dans les intertitres. Ces intertitres étaient rédigés selon la nouvelle orthographe (dite de Kharkiv) recommandée par l’Académie des Sciences de l’Ukraine. Les autorités avaient bien compris que si l’écran était ukrainisé, le spectateur adhérerait non seulement à l’outil, mais aussi à l’idéologie qui le véhiculait.

Sur le plan pratique, l’ukrainisation était perçue avant tout comme un phénomène de dérussification, notamment dans les villes et les centres industriels, où le nombre de salles de cinéma était plus important qu’en milieu rural. Skrypnyk soutiendra farouchement l’ukrainisation de l’appareil étatique en Ukraine, non pas au nom de la raison nationale, mais pour construire un pouvoir soviétique ukrainien au service du prolétariat. Cette idée trouvera son paradigme cinématographique dans le film d’Alexandre Dovjenko Arsenal (1929), dans l’épisode du recrutement des jeunes Ukrainiens dans l’armée de Petlioura. À la question posée par l’officier recruteur : « Êtes-vous ukrainien ? », le personnage central, Témich, répond qu’il est ouvrier, puis, de façon solennelle lors d’un débat à la Rada : « Nous sommes des ouvriers !… Nous aussi, nous sommes pour l’Ukraine. Mais nous exigeons d’abord des usines, le pouvoir des Soviets ! » Cette pirouette de l’ancien combattant petluriste que fut Alexandre Dovjenko était concomitante à la déclaration du commissaire à l’Instruction publique Alexandre Choumskyi, datant de novembre 1926, selon laquelle « l’ukrainisation forcée de la machine d’État est un non-sens », et rejoignait celle de l’écrivain Mykola Khvylovyi, qui faisait dire à l’un des personnages de son roman Valdchnepy (Les bécasses) que « l’ukrainisation est stupide et c’est un contretemps au développement social ».

Dans cette ambiguïté régnante, écartelé par sa double fonction de dirigeant soviétique agissant sur le plan fédéral et de commissaire du peuple défendant les intérêts de sa République, Skrypnyk misait sur les mesures pratiques de l’utilisation de la langue ukrainienne, d’une part dans l’appareil d’État, de l’autre dans la culture au sens large. Skrypnyk, qui avait jadis été agitateur syndicaliste dans le quartier odessite de la Moldavanka, savait très bien que malgré son esprit cosmopolite, Odessa était entourée par la steppe, et c’est cela qui l’inspira à l’ukrainiser, étant entendu que l’État existait. Il parvint à ukrainiser le journal odessite Izvestia (Одесские Известия), qui devint La Commune de la mer Noire (Чорноморська комуна). Cependant, dans son dogmatisme parfois présomptueux, Skrypnyk n’a jamais su trouver un langage commun avec l’intelligentsia. Le seul consensus, qui les rapprocha, fut que la nouvelle culture devait être, dans son ensemble, ukrainienne, car le Parti risquait de ne pas se maintenir s’il ne soutenait pas une culture nationale.

Parmi les professionnels qui s’attachèrent à accomplir cette tâche, des hommes de lettres, des publicitaires, des affichistes[7], issus des cadres du Parti communiste et ayant pour la plupart participé à la guerre civile dans les rangs des nationalistes, allaient être fusillés pendant la Grande terreur stalinienne de 1937-38. Ce fut le cas d’écrivains promus à des postes de rédacteurs ou de scénaristes, venant de cercles futuristes, de chefs de file de mouvements ou d’organisations littéraires prolétariennes, eux-mêmes regroupés au sein de l’Académie libre de la littérature prolétarienne (VAPLITE) : Mykhal’ Symenko, Youriï Yanovskyi, Dmytro Bouzko, Olès Dosvitniї, Hryhoriї Epik, Mike Yohanssen, Dmytro Falkivskyi, Alexandre Maïskyi, Alexandre Dovjenko. Le rôle que jouèrent les réalisateurs Alexandre Dovjenko et Ivan Kavaleridze dans le cinéma odessite et par là même dans l’avant-garde soviétique, était dû au foisonnement de cette Babel artistique qu’était la cité méridionale de l’Ukraine, où s’étaient retrouvés le metteur en scène de théâtre et de cinéma Les Kourbas, les écrivains Youriï Yanovskyi, Mykola Bajane, Isaac Babel, les décorateurs Vassyl Krytchevskyi et Vadim Meller, ainsi que l’opérateur Danylo Demoutskyi. À elle seule, la prégnance du modèle dovjenkien implanta l’idée d’une cinématographie en quête d’une identité nationale dans sa forme et socialiste dans son contenu, sans laquelle le développement de la culture ukrainienne et l’instauration d’une nation moderne auraient été impossibles.

En vue de former ses cadres nationaux, la VOUFKOU engagea en même temps un certain nombre de techniciens et de réalisateurs étrangers chevronnés. Ainsi, la participation du metteur en scène russe Piotr Tchardynine fut déterminante dans l’édification du cinéma odessite au début des années 1920, bien avant qu’Alexandre Dovjenko n’y insufflât une dynamique nationale. Ses deux films cultes, biographiques et historiques, Taras Chevtchenko (1926) et Taras Triassylo (1927), répondaient au souhait des instances dirigeantes de produire des films tout public parallèlement aux créations plus esthétiques réalisées par ses compatriotes-contributeurs Nikolaï Okhlopkov, Dziga Vertov, Vladimir Maïakovski, Alexandre Soloviov et Grigori Rochal. Le Studio d’Odessa, où le futur réalisateur français Léonide Moguy[8] fit ses premières armes en qualité de monteur, avait aussi pour vocation de promouvoir la production de films de réalisateurs non slaves, comme le Turc Mouskhine-Bei, le Géorgien Ivan Perestiani, l’Allemand Josef Rona, et d’entreprendre la production de fictions adaptées d’œuvres d’écrivains occidentaux, comme les Américains Edgar Poe et Upton Sinclair, le Roumain Panait Istrati, les Français Ferdinand Duchêne et Paul Lafargue. Par ailleurs, l’axiome constructiviste néolefiste et la théorie du ciné-œil, testés et mis en pratique par Dziga Vertov dans ses documentaires expérimentaux, ont été directement appliqués dans certains films de fiction odessites, dont la traçabilité énonciative s’est vérifiée sur les affiches, permettant ainsi de restituer un corpus cohérent. Le cinéma odessite est également intimement lié au thème de la mer, thème récurrent auquel il a souscrit tout au long de son histoire et jusqu’à nos jours. La rade d’Odessa, le port et ses bâtiments de guerre, son embarcadère, ses installations utilitaires, ont servi de décors naturels pour des films d’aventure, d’espionnage, des films historiques ou des drames psychologiques, le lien entre la ville et la mer étant symbolisé par le monumental escalier des Géants, immortalisé par Sergueï Eisenstein dans son film Le Cuirassé Potemkine, et par sa fade et lointaine réplique Le Mirabeau, d’Arnold Kordioum, qui retraçait l’arrivée de la Marine française sur les côtes de Crimée et son occupation de la ville d’Odessa.

Première cité du cinéma en Ukraine, Odessa est connue par le film de production russe de Sergueї Eisenstein, Le Cuirassé Potemkine, qui reconstitue les événements de 1905 en situant la fusillade non pas là où elle s’est déroulée, en pleine ville, mais sur les fameux escaliers reliant le plateau au port. La rapide succession de plans courts montrant la foule qui dévale les marches constitue un morceau d’anthologie inégalé dans l’histoire du cinéma universel[9]. À vrai dire, pour tourner ce magnifique épisode, Eisenstein s’est inspiré des images − non moins superbes − du film ukrainien Ukrasie, de Piotr Tchardynine, où, fuyant les fusillades, une foule immense dévalait les escaliers et se dirigeait vers les quais. Sorti sur les écrans le 24 mars 1925, alors que la première du film d’Eisenstein n’eut lieu que le 5 décembre de la même année, Ukrasie racontait les exploits d’un personnage double, tantôt officier blanc, tantôt agent du contre-espionnage rouge. Critiqué en Ukraine pour son caractère équivoque et son personnage surdimensionné, Ukrasie représenta néanmoins la VOUFKOU à l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris en 1925 et a le mérite d’avoir lancé le portrait-type du détective bolchevique.

Si l’univers du cinéma odessite reste surtout inhérent au topos des fictions Benia Krik de Volodymyr Vilner, Le cocher de nuit (1928) de Tassine, Deux jours de Heorhiї Stabovyi, Le Mirabeau d’Arnold Kordioum et du documentaire L’homme à la caméra de Dziga Vertov, il ne le fut pas moins dans moult autres films dont la réalité filmophanique a contribué à l’acculturation d’un cinéma par essence postrévolutionnaire. Il a trouvé son utilité en s’appliquant à expliquer, à justifier, à exalter et à ukrainiser la Révolution qui n’avait pas pris racine dans la nation toute entière, en la consolidant ainsi auprès de populations passives ou lointaines et contre les minorités hostiles. Bien qu’il ait été l’un des premiers cinémas protopolitiques, le cinéma odessite des années 1920 était un cinéma civique qui visait à faire de la culture prolétarienne, encore à naître, une culture hégémonique : imposer la solidarité de classe, battre en brèche le communautarisme et faire triompher l’internationalisme. À l’inverse du cinéma hollywoodien, gigantesque industrie de l’image, le cinéma odessite, et a fortiori le cinéma ukrainien, se sont contentés d’une production calculée, mais néanmoins maximisée par ses qualités artistiques et ses propres mythes.

C’est à l’écrivain et scénariste Youriï Yanovskyi que revint de dresser un premier état des lieux de cette cinématographie et de lancer, en 1927, l’idée d’un Hollywood odessite (Hollywood sur les bords de la mer Noire), à l’aune du concept de Lounatcharski, qui ne cachait pas sa fascination pour l’efficacité du cinéma hollywoodien et estimait que la manière de filmer des studios pouvait être utile pour servir la Révolution. L’idée d’un Hollywood ukrainien fut reprise, en 1928, lors de l’édification du Studio de Kiev, bien avant que le chef de la cinématographie soviétique Boris Choumiatski ne s’en inspirât pour élaborer un projet particulièrement ambitieux pour le cinéma soviétique : la construction d’une cité du cinéma (kinogorod) sur les bords de la mer Noire, en Crimée. À vrai dire, aucune de ces tentatives n’aboutit, mais chacune fut l’occasion de faire le point sur l’efficacité du parangon californien.


[1] Comme dans plusieurs pays du monde occidental, où les chercheurs s’appliquaient à breveter leurs inventions relatives au cinéma, en Ukraine, l’intérêt pour les projections optiques avait mené l’ingénieur en mécanique Joseph Tymtchenko à des découvertes aussi louables que celles de ses confrères occidentaux. Cependant, l’appareil de projection qu’il avait conçu à l’Université d’Odessa pour le compte du physicien moscovite Nikolaï Lioubimov et présenté à Moscou le 9 janvier 1894 au IXcongrès des naturalistes et des médecins n’intéressa personne.

[2] Organisme d’État composé d’un comité de cinq personnes, dont la nomination était approuvée par le Conseil économique ukrainien, contrôlant toute l’industrie et tout le parc cinématographique situé sur le territoire de l’Ukraine et de la Crimée. Disposant d’un réseau d’environ six cents salles au lendemain de la guerre civile, pour la plupart inutilisables, la VOUFKOU a récupéré les studios Yermoliev et Khanjonkov à Yalta et ceux de Grossman, de Kharitonov et Borissov à Odessa. Il lui aura fallu trois ans pour devenir une grande firme nationale, la seconde de l’URSS après le Sovkino de Moscou.

[3] Dans le cadre des films de production russe réalisés sur le territoire ukrainien, le plus célèbre fut Le bonheur juif(1925) d’Alexandre Granovski, d’après Cholem Aleikhem.

[4] Kaptchynskyi fut directeur de production sur le film Le Cuirassé Potemkine. Il publia aussi un livre sur son travail dans le Studio d’Odessa : Sur la mer Noire (У Черного моря).

[5] Ukrajina, no 4, Paris, 1950, page 257.

[6] L’activité toute entière était centralisée dans la Commission centrale pour l’ukrainisation de l’appareil d’État. À la tête de la Commission se trouvait le président du Conseil des commissaires du peuple, Vlas Tchoubar. Fondée le 16 juillet 1925, elle avait des succursales dans les centres administratifs du pays.

[7] C’est bien l’affiche qui donna au cinéma muet ukrainien ses lettres de noblesse, témoignant de l’engouement des designers pour le septième art. Cependant, les affichistes ukrainiens Kostiantyn Bolotov, Anatoliï Bondarovytch, Alexandre Finogenov et Ibrahim Litynskyi ont très vite été supplantés par leurs collègues russes, lorsque le Sovkino de Moscou a commencé à monopoliser le tirage des affiches, les coûts d’impression étant moins chers en Russie qu’en Ukraine. Les plus belles affiches des films de la VOUFKOU destinés à l’exploitation sur le territoire de la Russie furent réalisées par les frères Gueorgui et Vladimir Stenberg, Mikhaïl Dlougatch, Nikolaï Proussakov. Les frères Stenberg livrèrent les plus célèbres d’entre elles pour les documentaires La onzième année et L’homme à la caméra, de Dziga Vertov, Au printemps, de Mikhaïl Kaufman, les fictions ZvenyhoraArsenalLa terre, d’Alexandre Dovjenko, L’appétit vendu, de Nicolas Okhlopkov, L’homme des bois, de Heorhiї Stabovyi, Jimmy Higgins, de Heorhiї Tassine, Les indomptés, d’Arnold Kordioum, Le ciment, de Volodymyr Vilner. Leurs affiches représentent un jalon important pour la compréhension de leur apport à l’évolution du mouvement constructiviste.

[8] En 1924, Léonide Mohylevskyi (Moguy) et Alexandre Dovjenko créèrent la première filmothèque en URSS, comprenant 143 films d’avant la Révolution, inexploitables tant sur le plan idéologique que sur le plan technique. En 1926, ce chiffre fut porté à 463, dont 123 films de production ukrainienne.

[9] Le thème du landau échappant à la mère de famille et dévalant l’escalier sera repris par Brian de Palma dans Les Incorruptibles, à la différence que dans ce dernier film, la scène est tournée au ralenti et dans une gare. Terry Gillam reprendra lui aussi la scène dans Brazil, mais cette fois c’est un aspirateur qui descend les marches d’un escalier après qu’une femme de ménage a été tuée lors d’un échange de tirs consécutif à la libération de Sam Lowry. Cette scène a également été utilisée de manière parodique par Woody Allen dans Guerre et Amour ainsi que dans Bananas, par David Zucker dans Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood ? (qui parodie en fait Les Incorruptibles), par Ettore Scola dans Nous nous sommes tant aimés, par les Nuls dans La Cité de la peur et par Anno Saul dans Kebab Connection.


Un dossier dirigé par Galia Ackerman et réalisé avec le concours du Forum Européen pour l’Ukraine.
Remerciements : Iryna Dmytrychyn, Eric Tosatti, Constantin Sigov, Leonid Finberg, Gleb Vycheslavsky.

Sommaire

GALIA ACKERMAN Pourquoi ce numéro ?
TIMOTHY SNYDER Une histoire civique
BERNARD-HENRI LÉVY Il faut défendre l’Ukraine
OXANA PACHLOVSKA L’Ukraine, dernière frontière de l’Europe
VOLODYMYR YERMOLENKO Des ours et des hommes. L’Ukraine et la Russie dans la politique mondiale
TARAS VOZNIAK La Galicie aujourd’hui
REFAT TCHOUBAROV Le drame des Tatars de Crimée
CONSTANTIN SIGOV La liberté de l’Ukraine et la musique de Valentin Silvestrov
GLEB VYCHESLAVSKY Une culture dissimulée
DMYTRO HORBATCHOV L’avant-garde ukrainienne
IRINA MELECHKINA Morceaux choisis de l’histoire du théâtre ukrainien
VICTORIA MIRONENKO La photographie ukrainienne de la période de l’indépendance
LUBOMIR HOSEJKO Le cinéma odessite sous la NEP et la politique de l’indigénisation
MYKOLA KHVYLOVY Moi, romantica
MIKHAÏL HEIFETZ Il n’en est pas de plus grand dans la poésie ukrainienne…
VASSYL STOUSS Poésies
LINA KOSTENKO …Je suis tout ce que j’aime
SERHIY JADAN Le Journal de Louhansk et Réfugiés