J’ai rencontré pour la première fois Nicolas il y a presque sept ans, en septembre 2014, au Cirque d’Hiver, à l’issue d’un concert.
Arielle et moi, alors, cherchions un musicien pour un projet de film. Mais comme parallèlement j’écrivais un livre sur Proust, nous avons surtout parlé de Proust ce soir-là. Nicolas connaissait bien À la recherche du temps perdu et il aimait beaucoup en parler.
Or Proust croyait à la métempsychose, c’est-à-dire à la transmigration de l’âme d’un corps à un autre après la mort, une idée que Proust empruntait à la Cabale, mais qui s’apparente à la mystique bouddhiste par certains de ses aspects, toutes choses que Nicolas connaissait bien également.
Mais comment en parler ? Ce genre de choses échappe à l’intelligence, du moins à une certaine forme d’intelligence. Ce genre de choses, il n’y a que la poésie qui puisse en rendre compte. Et qu’est-ce que la poésie ? Sinon la résultante d’une espèce de sixième sens dont Nicolas témoignait mieux que personne.
Poète au sens traditionnel du terme, c’était un professionnel de la poésie, doté d’une culture admirable dans ce domaine. Mais, poète, il l’était également au sens le plus actuel du terme. La poésie, forcément morte, forcément oubliée, forcément anéantie, la poésie, il lui fallait la réinventer, il lui fallait la ressusciter, il lui fallait la faire passer, précisément, d’un corps à un autre, et il le faisait comme on respire, avec la pleine conscience de sa vocation, quitte à prendre des risques considérables.
Nicolas vivait nécessairement au jour le jour, avec également la pleine conscience qu’il pouvait disparaître d’un jour à l’autre, comme par un claquement de doigts.
Et alors ? Qu’est-ce que ça pouvait faire ?
Le plus dur, ce n’est pas ça. Le plus dur, c’est la souffrance dont dépend la poésie, la souffrance dont il n’a cessé de payer le prix pour pouvoir accomplir sa vocation, et effectivement il l’a enfin accomplie.
« Certes », écrivait Nicolas, « mais je parcours également l’astral, je devine les portraits interdimensionnels, le temps parcouru comme un territoire, notre infinie ubiquité, les geôles du réel, le baccalauréat de l’éthique, les passions, les sentiers aux chemins qui bifurquent, l’Explication à venir, la fluidité de la mathématique du chaos. Il existe une harmonie prise comme une biche dans les phares d’une Bentley.
« Ce que je veux signifier fait toujours sens, mais au bord du précipice. Je vois en aveugle, ce n’est rien.
« Je n’ai plus d’âge ni d’énergie, mais c’est là d’où je viens. Et j’écoutais autant Leonard Cohen à la même époque, lisait autant Burroughs, Rimbaud, ces fous cloués au ciel, que Borges, ce bibliothécaire vaguement fasciste, ou Proust, ce délicatissime asthmatique.
« J’ai toujours été comme Janus, à posséder deux figures.
« La plupart des gens que je connais sont entiers. Moi, je suis fracturé.
« Quand la comédie et le fatum se percutent en soi, naît la tragédie.
« En même temps, c’est très surfait, la tragédie. Relativement limité.
« Moi, je sais parfois l’illimité de notre être, infiniment plus vaste que notre facette humaine, qu’il faut malgré tout chérir, car elle est précieuse et fragile, ce que je ne fais certes pas assez.
« And lost amongst the subway crowd, I try to catch your eyes.
« On en revient toujours au même : Let us compare mythologies.
« Netflixworld est tellement rasoir… Ça ne génèrera que des dieux imbéciles et leurs maladies mentales. Clap clap clap.
« Au moins le livre ultime sur le rock’n’roll par Peallaert (BD) et Nick Cohn (sociologue bullshit) s’appelle Bye bye baby, bye bye, bye. Et ce sont des collages, et des pastels, et des mots fous. Il y en aura d’autres dans le futur. Pour l’instant, je les attends. Plus tard, je verrai crever la finance à coup de cryptomonnaie par des gamins coréens de 13 ans. Millions of bills under the bed.
« Tant qu’on ausculte l’absurde, il s’érige en toi. J’en suis absolument incapable. Dépendant, je conçois la fluidité, mais ai été asservi trop jeune aux jeux vidéo, trop tard pour moi. C’est ma sœur qui a récupéré l’informatique, ensuite a fait fortune, tandis que je m’écrasais dans la misère, moi le surdoué.
« Et nous en sommes au même point : no more social life.
« Plus ou moins les mêmes ressources, elle avec son compagnon, moi… outward.
« Ça va, je suis heureusement entouré, je ne vais pas me plaindre en plus ! Je n’en veux qu’à l’hôpital. J’aime les gens qui tentent de me sortir de mon isolement.
« Une chanson par jour, check your mailbox.
« The High Way.
« Bof. Celle-ci est nulle, celle d’hier était mortelle. Je m’en fous. J’en fais au moins une par jour. Le miroir de l’astral me l’a ordonné. »