Nicolas Ker mourait souvent mais il revenait toujours, voguant entre tragique naufrage et splendide résurrection. Cette fois, il ne reviendra pas. 

Il y a quelques semaines, il me confiait qu’il n’avait pas peur de la mort. Ce qui l’effrayait, c’était la persistance de l’existence.

La vie lui apparaissait comme une falaise à la paroi lisse sur laquelle il fallait constamment se hisser. Son salut, il le mettait tout entier dans une révolution qui prendrait source dans l’art, dût-il, pour cela, payer le prix fort. Il vivait dans l’urgence, brûlait tout sur son passage, abandonnant un amas de cendres dans son sillage. 

Dès l’enfance, il avait appris à marcher sur les braises : survivant du génocide cambodgien, il errait, depuis, au rythme de sa propre tonalité. Il se mouvait dans l’amour des choses qui demeurent sans jamais revoir ses prétentions à la baisse ou s’accommoder de rôles à contre-emploi. 

Nicolas n’admettait pas le compromis. Incapable de se résoudre à l’ennui et au tiède, il aimait la vie avec une exigence qui le coupait du réel. Il jouissait de l’instant avec ardeur, mais cette transe n’étanchait pas la tristesse qui grondait au fond de son cœur. 

Nicolas embrassait l’humanité comme un tout, dans une étreinte éperdue d’amour et de révolte. Il éprouvait les pires terreurs, ressentait la mort de son vivant, mais n’avait jamais renoncé à sa quête d’absolu.

Nicolas se tenait en marge de la banalité. Sa présence était magnétique ; son humour, extatique. Il évoquait avec la même intensité un poulet rôti et les écrits de Philip K. Dick – textes qu’il connaissait par cœur – mais finissait par admettre, dans un vif éclat de rire : « Oh, rien à foutre de K. Dick, je préfère le poulet rôti ! ». 

Nicolas crachait sur le monde avec la désinvolture, l’élégance et l’intelligence d’un jeune homme qui a lu de nombreux ouvrages.

Nicolas transfigurait le réel. Pour lui, l’essentiel se déroulait un peu plus loin dans le corps du temps, dans la beauté de ce que la vie a de secret. Il magnifiait des objets, souvent invisibles mais qui, pourtant, étaient là. Sous ses yeux, les petits riens se paraient d’atours exquis, d’un air de fête. Chacune de ses théories défiait l’imagination : il discernait le spleen des ventilateurs, célébrait le charme des poubelles et se méfiait de l’autorité des extincteurs.

Nicolas était un enfant de l’underworld, un rejeton de la dévastation qui prêtait vie au rock donné pour mort. Il arpentait le monde comme un funambule, marchait constamment à la lisière de l’Enfer, y tombait, en revenait, y retournait. 

Nicolas était un poète, un vrai, un songwriter qui bravait la souffrance et savait qu’écrire la chute, c’était encore rester debout.

Sa voix hurlait de désir et pleurait de fureur.

Ses vers avaient la vigueur d’une prophétie pleine de lave et de sang. 

Ses mélodies formaient des harmonies gracieuses comme du cristal. 

Ses paroles étincelaient, surtout lors des prêches sur les sujets qui l’exaltaient. Là, c’était l’enthousiasme dans sa forme la plus probe : le soin apporté à se défaire de la langueur du temps. Le regard fixe d’un Prince de Ligne, il se laissait étourdir par un monde où la vie ne s’arrête jamais. Rassuré par les innombrables possibles à portée de main, il creusait, creusait, creusait sans cesse, jusqu’à empoigner de ses doigts les vestiges et embrasser les fantômes : ceux de Jim Morrison, Jeffrey Lee Pierce ou Pier Paolo Pasolini. Des modèles cramés par et pour leur art ; des spectres qui l’avaient nourri, le passionnaient et guidaient sa survie.

Nicolas ressemblait à un personnage de roman dont les valves de l’esprit s’ouvrent et se ferment constamment pour livrer, avec minutie, les petits détails qui mènent aux grands récits. Ses propos s’enfonçaient dans les plus profondes limites de l’être pour émerger sur de brillantes fulgurances, puis, soudain, le champ se rétrécissait et il sombrait, à nouveau, dans d’insondables abysses.

Souvent, il passait des nuits à lire les œuvres d’hommes aux destinées extraordinaires, puisque, finalement, c’est sans doute ce qu’il était : le héros tragique d’une existence attrapée au lasso, un cow-boy promis à une vie de rodéo qui poursuit sa chevauchée au milieu du désert car il sait qu’il n’y a rien d’autre à faire. 

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Un commentaire

  1. Décrire Mr KER n’est pas chose facile mais là c’est du nectar merci 🖤🖤🖤