Nicolas, our beloved friend…

Je me souviens de son rire dionysiaque tellement contagieux et qui nous éclaboussait de ses rayons d’intense intelligence.

Je me souviens du vol Paris/Bangkok avec Laurent, Agnès et les Poni où les stewards ont dit neuf fois pendant le vol que Monsieur Nicolas Ker était prié de rejoindre sa place.

Je me souviens du tournage en bateau dans la baie de Tanger, à l’endroit exact ou l’Atlantique rejoint la Méditerranée et où tout le monde était au fond de la cale, malade, terrassé par la houle, sauf lui sur le pont. Il avait tellement l’habitude de tanguer.

Je me souviens de son éternelle moquerie envers les végans et leur gelée verte insipide. Il clamait que, lui, il était un « viandard », qu’il respectait l’animal jusqu’à le manger tout entier – avec de la sauce Maggi, dont il ne se départissait jamais.

Je me souviens de sa science alchimique envers l’alcool et tous les stupéfiants du monde qu’il croyait toujours tenir en laisse, il est vrai qu’il resurgissait toujours de ses plus tragiques déboires, tel un génial Phoenix. Un miraculé.

Je me souviens des nombreux trains ratés et des cigarettes éternellement interdites qu’il fumait absolument n’importe où, même en avion…

Je me souviens des pauvres vigiles et autres douaniers qui recevaient systématiquement une engueulade transcendantale qui le menait vers beaucoup d’ennuis.

Je me souviens de lui, sur scène, de ses transes de rock-star absolue, de ses sauts, de ses hurlements vers le ciel d’anti-Christ fou – et de ses plaintes, cette voix de velours déchirée…

Je me souviens de son attention à toutes les petites créatures du monde, et des chiens croisés, dans la rue, à qui il disait « Bonjour Monsieur ».

Je me souviens des centaines d’heures que nous passions sur YouTube. Bowie, les Stooges, Morrissey, Joy Division, le Velvet, The Cure, Nick Cave over and over et nous pleurions ensemble.

Je me souviens, chez lui, de son éternel chaos qui m’a obligée à apprendre à faire la vaisselle.

Je me souviens qu’il m’expliquait la physique quantique, les particules élémentaires et les nanotechnologies de pointe et qu’il me disait « laissez tomber, vous êtes trop sotte ! »

Je me souviens qu’il disait : « Vous ne comprenez pas que seul l’alcool me permet de dormir. Je suis obligé de boire. »

Je me souviens de Mario de Devil May Cry, Metroid Prime, de Séphiroth, de Kratos, de Dante, de Blacklight, de Bayonetta, Resident Evil, Starcraft et Final Fantasy et la sublime Lightning contre les zombies et les forces obscures. Les jeux vidéo auxquels il jouait comme un geek suprême et secret, de sa science du dark web. Et de Kanika, sa petite sœur, reine du web absolue.

Il disait « J’ai tout deviné d’avance, fuck, la vie n’a aucune imagination. »

Je me souviens qu’il disait « J’aime toujours l’envers du Paradis. »

Je me souviens qu’il disait : « Je n’aime que les lesbiennes. Je suis une lesbienne moi-même. »

Je me souviens de ses manteaux et de ses vestes aux poches trouées et de l’éternelle perte de ses clés, carte Vitale, passeport, porte-monnaie.

Je me souviens : « Je suis d’une lucidité hors du commun. Je suis hélas un héros tragique, méfiez-vous. »

Je me souviens de Mina, sa petite chatte trouvée sous la pluie léchant un misérable pot de yaourt, sauvée, et qui a vécu 20 ans avec lui. « Je suis défoncé, peut-être, mais elle est là… » Il était fier. Elle le regardait comme son Dieu vivant.

Je me souviens qu’il disait : « Il faut bâtir sa maison au pied des volcans. »

Je me souviens qu’il disait dans une de ses violentes et légendaires révoltes : « Dès que la grâce et le bonheur m’effleurent, je suis foudroyé par les dieux. »

Il me disait « Je me connais, c’est ce verre de whisky qui me permet de me lever le matin, vous ne comprenez rien ! »

Je me souviens qu’il disait « Je suis mort sous les bombes à Phnom Penh et je survis en enfant triste… »

Il me disait « J’ai écrit 1000 chansons, tout le monde s’en fout ! Maintenant, il est temps d’en écrire une par jour. Le miroir de l’astral me l’a ordonné. » C’est ce qu’il avait commencé à faire.

Il disait de tout ce milieu médiatique qu’il détestait : « Moi, on ne me traite pas comme ça, j’ai une dague sacerdotale entre les dents ! »

« Rien à foutre, il disait d’une Brillo Box, même recréée par Warhol. Après ma mort, longtemps après, je sais qu’il y aura des gamins de 13 ans qui chialeront sur mes chansons. »

Quelques jours avant sa mort, il m’avait écrit : « Je parcours le temps comme un territoire. Je parcours également l’astral, les portails interdimensionnels, notre infinie ubiquité, les geôles du réel, le baccalauréat de l’éthique, les passions, l’explication à venir, la fluidité de la mathématique. La vérité prise comme une biche entre les phares d’une Bentley. »

Il a toujours su qu’il y avait des cités radieuses qui l’attendaient. « I am going home. »

Nicolas, l’écorché vif, Nicolas l’incandescent.

Nicolas, l’homme aux semelles de vent, Nicolas le tendre, l’inconsolé, qui nous a tous emporté dans un long voyage infini. Nous ne le perdrons pas, sa fureur de vivre fut contagieuse.

Il va rejoindre ses spectres aimés, Pasolini, Warhol, Burroughs, Philip K. Dick, Rimbaud, Mishima, Nerval, Cocteau.

Une fois, je lui ai cité cette dernière phrase de Cocteau : « Mes amis, faites semblant de pleurer car je fais semblant de mourir. » Il me répondit : « Oh Arielle… Arrêtez vos conneries ! » dans un immense éclat de rire. 

Nicolas will never die.

2 Commentaires

  1. Très bel hommage, très beau texte… constellé des fulgurances humoristiques où déchirantes d’un personnage plus grand que la vie « Je suis mort sous les bombes à Phnom Penh et je survis en enfant triste… »