Dans sa nouvelle livrée Charlie Hebdo frappe encore plus fort. La Une dépeint à la fois le (faux) Sultan et une fausse Prophète ; le premier, hilare, verre d’alcool à la main, dévoile le postérieur et l’anatomie de la seconde. Un dessin qui accomplit deux figures: l’outrage et le blasphème.
La réplique d’Ankara n’a pas tardé. Elle assimile par la voie officielle la publication satyrique pourtant fortement anti-gouvernementale, à l’action d’Emmanuel Macron.
Le pouvoir turc qui ne reconnait ni la liberté ni l’indépendance de la presse, qui ferme les journaux et emprisonne les journalistes ; ce régime qui subventionne la terreur et l’exporte partout du Moyen-Orient à l’Europe en passant bien sûr par le Caucase, n’a peut-être pas complètement tort en voyant dans cette Une, une forme de vérité française.
D’abord parce que le Président Erdogan, qui se paie de gros mots et injurie le chef de l’Etat pendant que son pays s’enfonce dans la crise et que son propre pouvoir s’érode, est en réalité tel qu’il est dessiné, ridicule.
Et surtout, l’irrévérence de Charlie, sa volonté de rire encore face à la terreur, de rire encore alors que l’on juge en ce moment même la décapitation de sa rédaction pour des dessins pourtant plus inoffensifs (et qui ne venaient pas du journal lui-même mais d’un confrère Danois), est une manière de hisser le drapeau tricolore et de célébrer ce que la France a offert de meilleur au monde, après le vin, l’esprit! Charlie Hebdo vit (survit ?) sous protection de l’Etat mais c’est ce journal qui protège la France en proclamant sa liberté de manière radicale, en se fichant et en s’affranchissant de toute prudence, de la moindre peur comme de tout accommodement.
Que l’on ne nous demande pas de relativiser nos propos, de renoncer à nos gauloiseries qui pourraient blesser dès lors qu’elles sont diffusées hors de France. La France et la Turquie ne sont pas des civilisations antagonistes. Elles appartiennent au même espace de droit, celui du Conseil de l’Europe. Elles ont pour juge suprême la Cour Européenne des Droits de l’Homme. C’est cette Cour, dans une décision restée fameuse (Handyside c. Royaume-Uni, 1976), qui a définit la liberté d’expression dans des considérations qui s’imposent à la France, à la Turquie et à 45 autres États membres :
« La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées, notamment dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique ».
Revenons à Charlie.
Il faut à la fin choisir ce qui est le plus dangereux de l’humour ou de la terreur, car c’est la seule question qui vaille. Cela doit nous amener à protéger l’un et à nous protéger de l’autre. Mais tant que tel groupe, État, église, organisation ou communauté aura plus peur de l’humour que nous de la terreur, alors nous serons libres. #JeSuisCharlie
Nous avons eu notre blasphémateur inouï et sans convenances ni pour le roi, ni pour les moines ; François Rabelais.
Une petite phrase de lui qui tombe bien et qui fait réfléchir : « Si les signes vous faschent, ô quant vous fascheront les choses signifiées. »