Nouvelle Ève, mais Ruggieri, notre ministre mélomane, entends-je ce matin, signe une pétition (ne voyez là nulle schizophrénie de l’homme-femme de pouvoir.e.s – l’ai-je bien déroulé ?), pour faire rentrer Arthur Rimbaud et Paul Verlaine au Panthéon. Puisque, sur France Culture, cette extraordinaire annonce n’a pas, à elle seule, fait éclater d’un rire dévastateur le plateau du fin Erner, et puisque la nouvelle bourgeoisie charlevilloise fait tellement ronfler ses schakos dans ses kiosques à flonflons outragés qu’elle n’entend plus les abominables couacs qu’elle opère, faisons entendre à notre tour nos accents outragés.
Car nous vivons un temps toutalitaire, et non pas totalitaire. Le totalitarisme avait de bon qu’on y vivait la dictature d’une idéologie totale. Ce qui veut dire que des gens intelligents y avaient programmé avec une science redoutable le malheur de chacun. Il restait au moins à admirer la clarté de l’édifice.
Dans le toutalitarisme, soit le régime politique de nous tous, régime où nous tous persécutons nous tous, puisque nous tous sommes outragés par nous tous (les hommes par les femmes, les femmes par les hommes, les homos par les hétéros et les neutres par les autres et inversement, jusqu’au féminin grammatical, ainsi que l’inénarrable Camille Laurens, nouveau jury Goncourt qui promet de flamboyantes étincelles chez Drouant, l’avait annoncé(.e?) à la même antenne, puisque le masculin grammatical l’emporte sur lui, pardon, elle) – dans le toutalitarisme donc, au lieu de l’intelligence totalitaire, règne la bêtise de flaque (la flache, en fait) que nous formons ensemble, croyant faire océan et, que sais-je, anthropocène.
Car sous le kiosque de Charleville-sur-Radio-France, il y a des minutes de l’union sacrée. C’est un peu la même chose que la minute de Goldstein dans 1984, mais c’est une minute d’amour. En France, l’union sacrée se produit toujours à coups de présidents et de ministres, et requiert un lieu unique, église moche transformée non en mosquée, mais en kiosque (décidément) post-laïc, qu’on appelle le Panthéon. La fanfare de la Garde républicaine va donc bientôt accompagner Rimboverlaine au Panthéon. « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Quand va-t-on effacer cette inscription infâme ? Pour l’occasion ?
Il y a deux choses tout de même qu’il faudrait dire à notre Brunehilde. Tout d’abord, « Rimbaud et Verlaine » au Panthéon, c’est faire la plus décisive injure à l’œuvre de Rimbaud d’une part, et de Verlaine de l’autre ; c’est littéralement les réduire à leur jeu de la bête à deux dos, puisque c’est leur couple, et non l’un ou l’autre de ses membres, qu’on veut fourguer dans l’Eden des tombes sinistres. C’est les condamner, comme telle cinéaste de Vanity Fair, à jouer pour l’éternité leur numéro de « vierge folle et d’époux infernal » ; c’est arracher à Rimbaud son Bateau ivre et son Génie, et sa Saison en enfer, pour l’enfermer dans l’enfer définitif, cette fois, de la tombe de Rimboverlaine. C’est arracher à Verlaine ses masques et bergamasques, ses jadis et naguère et ses parallèlement, pour l’hypostasier dans le Colloque sentimental où deux âmes sont à jamais enfermées, damnées par l’admiration haineuse des toutalitaires qui ne voient en eux qu’un symbole de leur lutte en forme de suicide collectif, et passeront par profits et pertes, sinon dans le discours présidentiel écrit par quelque normalien pointu, l’ouvrage de ces deux immenses artistes qui n’ont strictement rien à voir l’un avec l’autre.
Trop bête pour comprendre, la nouvelle Eve ? Tant pis pour nous tous, c’est-à-dire pour personne.
Un dernier point cependant.
J’énonce, en parfaite irresponsabilité poétique, ce théorème : il n’y a pas de plus grande injure, de plus grande profanation du poète de Charleville que de déterrer ses pauvres ossements, et de le fourguer dans ce temple infect de l’auto-satisfaction française. C’est le ramener, en somme, dans le kiosque qu’il conspuait dans A la musique, et l’y enfermer à double tour. Car voilà ce que nous sommes, sous nos dehors progressistes : de haineux bourgeois, qui n’aspirent qu’à la mort, définitive, du génie, de la liberté et de la création.
Vive la République.
Vive la France, Vénus anadyomène, c’est à dire, pour reprendre le vers immortel de celui qu’on peut panthéoniser, cette idole « belle hideusement d’un ulcère à l’anus. »
Et bien organisons – je ne sais pas organiser, seulement participer – le jour J de la Panthéonisation du « couple », au Panthéon même, une grande manifestation de LIBERATION de Verlaine et de Rimbaud, avec lecture de leurs plus subversifs poèmes.