S’il y avait vraiment, dans l’Histoire réelle des hommes, des personnages shakespeariens, Robert Mugabe figure parmi ceux qui pourraient prétendre au rôle.
Le Président du Zimbabwe, qui aurait dû être un autre Mandela adulé, a fini en vieux Roi Lear, honni, terriblement seul, à la tête d’un pays largement ravagé par la corruption, où l’inflation se comptait et se compte encore en centaines de millions de pour-cent, mis au ban de la communauté internationale, et mort à Singapour loin d’un pays qu’il avait libéré.
Il avait été ce militant des années 1950, dans le soleil rouge des indépendances (Ahmadou Kourouma), sophistiqué, parti de rien et sur-diplômé, étrangement ami avec Thatcher, à qui Bob Marley dédiait une chanson, tel un duc de Gloucester séduisant et léonin.
Il fut un Richard III redoutable et machiavélique, étouffant ses rivaux, manipulant les uns et trahissant les autres, pardonnant un jour aux anciens ministres de l’apartheid, et réprimant le lendemain ses opposants, jaloux de Mandela auréolé de sa sainteté dont Mugabe, hérissé et amer, Othello au crépuscule, ne pouvait supporter cet air légende qui, lui, lui échappait.
Il fut, aussi, un Hamlet tragique, celui qui, emprisonné, ne peut aller à l’enterrement de son fils de trois ans ; sincèrement désemparé face à une impossible réforme agraire, d’abord bienveillant, puis cruel, puis insensé, perdu dans le vertige presque métaphysique de la réconciliation.
Il fut un prince sinistre, avec sa seconde épouse qui voulut, telle Lady Macbeth, devenir reine d’Harare et dilapidait les caisses de l’Etat en chaussures italiennes. Mugabe-Macbeth anesthésiant le naïf, et presque malgré lui, dévoué, Morgan Tsvangirai, son éternel jeune opposant, figure admirable et désemparante de naïveté, et dont Mugabe vit la fin avant la sienne.
Il avait, parcheminées, comme ces ruines du Zimbabwe dit-on construites par les Egyptiens et ballotées par les millénaires, toutes les contradictions du siècle : l’héroïque et le déplorable, maoïsme et corruption, icône embastillée et potentat impopulaire renversé par les révolutions de palais.
Mugabe était, finalement, un chef d’Etat coupable de tous ses crimes, et comptable de toutes ses erreurs, et qui, peut-être, n’était pas si shakespearien, mais simplement un politicien rusé et sans scrupules, hors de mesure avec les défis colossaux représentés par le relèvement d’un pays exsangue et déchiré.
Il était devenu ce tyran fou et sanguinaire, qu’on aurait dit sorti du grand livre de Kapuscinski, Le Négus, ce reportage comme une pièce de théâtre avec ses milliers de didascalies où dans le babillage des courtisans et l’absurdité des usages royaux se lit le caractère grotesque et psychopathe du Roi d’Ethiopie.
Reste que le Zimbabwe, lui n’est pas mort à 95 ans dans un relatif confort et dans l’impunité des exils ; qu’un peuple souffre ; et que les Chinois sont trop heureux de faire main basse sur Harare ; et que Tsvangirai, qui aurait pu recoudre une société et réparer une économie, est mort ; et qu’un nouveau Président galonné et impénétrable joue le sort de ce pays entre quatre murs.
Il faut espérer qu’ainsi une page sombre du continent se referme, et que le Zimbabwe, comme ces anciens soleils de l’indépendance, le Ghana en tête, puisse enfin conjuguer bonheur privé et fortune publique.