Barcelone, avril 2019. Manuel Valls se déplace dans la cité catalane pour y recevoir une récompense décernée par une association locale. Face à un parterre de journalistes et une assistance lui prêtant de nouvelles ambitions politiques, l’ex-locataire de Matignon cite un proverbe héritée de la tradition barcelonaise. Celui-ci ne laisse plus beaucoup de place au doute : «Fais le tour du monde et reviens chez toi»… Quelques mois plus tard, Manuel Valls mettra cette maxime en application. Il officialisera une candidature à la mairie de Barcelone bousculant la pratique politique en deçà et au-delà des Pyrénées. Amplifiée par la caisse de résonance des réseaux sociaux, l’annonce suscitera, sans grande surprise, son cortège d’emballements et de critiques. L’ancien maire d’Évry devra manœuvrer finement, sans se faire enfermer. Il décide alors de surfer sur l’attente des éditorialistes, dévoile sans tarder un logo et une équipe de campagne, part en quête de soutien et obtient rapidement l’appui des progressistes de Ciudadanos, parti de centre droit libéral et pro-européen. Sur le papier, l’affaire semble alors bien engagée. Demeure pourtant une question centrale, capitale : à l’heure des replis identitaires et de la fermeture des frontières, quel sort les barcelonais réserveront-ils à cette intrigante aventure ? Réponse ferme et définitive ce dimanche, dans les urnes…
La promesse d’un nouvel eldorado
On a tout lu, tout dit sur les raisons qui ont poussé l’enfant du quartier de Horta à renouer avec son passé. Celui qui jadis gravit un à un les échelons de la vie politique française, a t-il été déçu, fatigué par les incessantes guerres au sein de sa première famille socialiste ? Lui-même reconnaissait récemment dans l’Obs que depuis longtemps déjà «le PS est mort» et qu’il aurait fallu «tout péter, tout casser»… Par la suite candidat malheureux aux primaires socialistes, Valls est reparti faire ce qu’il entreprend depuis toujours : combattre. Au terme d’une campagne victorieuse (mais de son propre aveu «horrible») en Essonne, il a obtenu le poste de député. A l’Assemblée Nationale, il fut malmené par un pouvoir macroniste soucieux d’en finir avec le passé. Le vent avait tourné. La conjoncture se révélait hostile… Parfois évoquée, la tentation de Barcelone, pareille à l’appel romantique de la ville de Venise, finissait immanquablement par refaire surface. Elle constituait une aubaine d’un exil doré, l’occasion d’un retour aux sources salvateur, la possibilité d’une renaissance… Valls l’avoue d’ailleurs d’ailleurs sans détour, dans l’Obs toujours : «J’avais envie d’autre chose, de partir. J’ai retrouvé de l’air.» Barcelone constitue désormais, pour lui, la promesse d’un nouvel eldorado. Un nouvel espoir, loin de ses terres d’élections mais au plus près de son identité familiale. On connaît désormais bien l’histoire. Né d’un père catalan et d’une mère suisse, c’est à Barcelone que Manuel Valls nait en 1962. Un ancrage local et des racines assumées, magnifiées par l’ancien Premier ministre français : «On a toujours parlé catalan dans ma famille, je sais ce qu’est cette culture, le catalanisme (…) Je me suis toujours senti fier d’être né à Barcelone, d’être Catalan, Espagnol, Français et Européen. Ce kaléidoscope est le même que celui que j’ai trouvé dans la banlieue parisienne, mais c’est avant tout pour moi la meilleure définition de Barcelone, ville ouverte, généreuse, méditerranéenne, espagnole, européenne. Une ville-monde» explique celui qui ratisse désormais les soixante-treize barrios de la ville au fil de la campagne. Autour de lui, sa sœur Giovanna, un nouveau cercle amical ainsi qu’un laboratoire politique en gestation, celui d’une «gauche barcelonaise», expurgée du dogme socialiste, réformatrice et s’imposant par sa droiture morale…
Itinéraire d’un «left disturber»
«Candidat à l’alcaldia de Barcelona»… Il y a dans ce projet transnational grisant et un peu fou, les bases d’une aventure intime et politique qui ne laisse personne de marbre. Il s’agit là d’une grande première à l’échelle de la construction européenne : la possibilité, cette fois non plus théorique mais bien concrète, de voir un ancien Premier ministre français présider aux destinées d’une ville-monde, Barcelone. On retrouve, là, la signature Valls. Ce goût de la conquête, cette tentative perpétuelle de confronter son idéal au réel, qu’importent les embuches. En cela, Manuel Valls ne change pas… Il reste fidèle au jeune militant rocardien minoritaire qu’il était au sein du Parti Socialiste de François Mitterrand. A ce réformiste promis à un grand avenir et bien décidé à faire entrer sa famille de cœur, la gauche, dans le XXIème siècle, quitte à en bouleverser quelques vieilles habitudes tenaces, quitte à y réclamer à corps et à cri des changements sémantiques et de révolutions dans la méthode. Voilà pourquoi Valls clive et pourquoi il hérisse. Mais il y a autre chose… Dans un océan de calculs stratégiques et de petites mesquineries tactiques, l’homme s’illustre par un indéniable courage politique. Profondément marqué par son expérience des plus hautes fonctions, logiquement bouleversé par la gestion des attentats terroristes, Manuel Valls demeure intraitable sur quelques valeurs cardinales, en particulier la défense d’une laïcité devenue, avec le temps, son principal cheval de bataille. Une idée fixe. Raconter Manuel Valls en 2019 revient ainsi à dresser le portrait de ce que les Anglo-saxons appellent un left disturber. «Non un homme qui veut effacer les frontières de la gauche, mais un homme qui a relevé de l’oubli, pire de la déréliction, quelques principes cardinaux de l’action : la défense de la laïcité, l’opposition courageuse et intraitable à l’islamisme, la lutte sans faiblesse contre le néo-antisémitisme, la réaffirmation du républicanisme civique» explique Alexis Lacroix, directeur de la rédaction de l’Express.
Face à la gauche de Sanchez et de Colau
Outsider familier du contexte barcelonais, challenger dans une campagne complexe et incertaine, Manuel Valls, héraut du camp pro-européen se présentant sous l’étiquette de Ciudadanos, aura la lourde tâche de réconcilier des pans inconciliables de la société catalane. Son projet s’articule autour de la défense de l’unité espagnole et de la restauration de l’aura de Barcelone sur le plan international. La tâche s’annonce ardue. Depuis plusieurs mois, une rude concurrence fait face à l’ancien député-maire. Favorite des sondages, Ada Caulau, mairesse sortante, se présente sous la puissante et mobilisatrice bannière de Podemos et porte la voix de gauche radicale. Du coté des indépendantistes du camp Puidgemont, Neus Munté, jouera son va-tout en surfant sur les manifestations spectaculaires des derniers mois. C’est dans ce contexte que Manuel Valls tentera de trouver son chemin pour capter les électeurs. Le Français ne part pas favori. Selon les derniers sondages, il se situerait à la troisième ou quatrième place et n’aurait que de maigres chances d’être élu maire de la ville. Mais il peut récupérer les voix de déçus, estime, dans le journal La Croix, Jordi Alberich, chef d’entreprise et ancien dirigeant pendant vingt ans du think tank Cercle D’Economia. «Il peut espérer prendre des électeurs à l’actuelle maire, Ada Colau, la candidate la plus à gauche, les votes de certains quartiers de Barcelone où la population a le sentiment d’avoir une qualité de vie moins bonne et que l’insécurité augmente. Il pourrait attirer aussi des voix du parti socialiste et aussi un peu de ceux des nationalistes modérés.»
Avancer malgré l’ombre de Vox
Les observateurs oscillent entre optimisme et pessimisme. Évidemment, Valls a du savoir-faire. Son expérience attire, son CV ainsi que sa double nationalité constituent des respirations bienvenues dans une élection qui s’embourbe, elle, dans un localisme ahurissant. Malgré cela, le candidat du centre paie les pots cassés de curieuses alliances nouées avant son arrivée. En Andalousie, Ciudadanos et la droite ont ainsi été élus grâce au soutien actif de l’extrême-droite. Valls avait pourtant exhorté son camp à ne pas «franchir la ligne rouge » en s’associant à Vox. Peine perdue… Le voilà aujourd’hui pris en étau. Tandis qu’il s’élève contre la politique menée par le socialiste Pedro Sanchez et la volonté de ce dernier de dialoguer avec les indépendantistes catalans, Ciudadanos migre à droite. Un mouvement qui n’est pas sans conséquence… En février dernier, Manuel Valls défilait dans les rues de Madrid, «en défense de la Constitution et de l’unité de l’Espagne». Les principaux leaders de la droite espagnole étaient présents. «Mais aussi ceux de formations ultras comme Vox», remarque le correspondant Daryl Ramadier, le correspondant de Slate. Ce dernier précise : «Manuel Valls a évité de s’afficher avec les membres de l’extrême droite espagnole. “Il y a des gens avec qui je n’ai pas à être”, s’était-il justifié auprès de La Sexta». Certains supporters du franco-espagnol saluent ce choix. D’autres s’avèrent plus sceptiques. L’un de ses soutiens, Joaquim Coll, n’a pas fait le déplacement à Madrid, rapporte ainsi Ramadier. «Ma critique envers Sánchez ne me pousse pas à assister à la manifestation. Je considère que c’est une convocation qui servira uniquement à alimenter la crispation politique et la division de la société espagnole, explique-t-il. Ce n’est pas ce dont nous avons besoin.» D’un revers de la main, le candidat balaie les critiques et avance malgré tout. «J’ai des sensations qui reviennent», «quoi qu’il arrive ma vie est ici» clamait-il dans les colonnes du Parisien. Avant de poursuivre : «Je ne suis pas venu ici pour faire une deuxième carrière. J’ai un projet, c’est Barcelone. J’assumerai mes responsabilités comme maire ou comme conseiller municipal. Est-ce que je participerai au débat national ? Je l’ai déjà fait. J’ai envie de vivre, j’ai envie d’une vie équilibrée.» Débute ici une aventure politique rare. Un «challenge excitant et inédit» de l’aveu même du principal intéressé. La tentative d’un rebond ailleurs après avoir conquis à force de persévérance et de volonté les plus hautes fonctions ici. Et plus encore : la possibilité d’une renaissance. Au-delà des ambitions personnelles, le défi s’avère immense pour Manuel Valls : Barcelone ne constitue-t-elle pas une ville au rayonnement international, un laboratoire où fourmillent mille idées et influences contraires (de l’indépendantisme au nationalisme espagnol, de l’ouverture au monde et aux nouvelles technologies jusqu’au repli autarcique) ? La diriger signifierait influer concrètement et directement sur le quotidien de millions de personnes. Et se reconnecter à son histoire familiale…
Le fait que l’extrême droite joue le jeu de la Révolution sociale et libérale ne nous garantit pas qu’elle en respecterait les règles dans l’hypothèse glaçante où elle pulvériserait le plafond de verre de l’entre-deux-tours, avec l’aide de ses idiots utiles. Lorsqu’on cherchait à les coincer sur l’incompatibilité entre certains aspects de leur programme et la Constitution, se redressant sur leurs ergots, les gaullificateurs de Maréchal-Le Pen et de (sa tan)te nous forçaient à les visualiser, raflant la mise aux législatives dans le vent d’une magistrale torgnole présidentielle et, forts de leur majorité parlementaire, détricotant la loi avant de la retricoter aux couleurs d’une Révolution nationale qui, après une longue période d’hypnotisation de la communauté internationale, aurait toute latitude pour parfaire sa mutation erdoganienne dès lors qu’elle ne serait plus forcée de vivre dans la crainte que son masque ne tombe. En pleins préparatifs avant l’ouverture d’Autarkic Park, l’ADN des gaullistes historiques est sommé de ne pas s’éteindre. La République n’aura jamais trop d’alliés pour stopper l(es meutes) du nationalisme. Aussi indéniable que soit le déni de réalité que nous infligent les trouillards de la République, celui-ci ne nous autorise pas à couler l’État de progrès en invoquant le droit de notre éblouissante civilisation, sous prétexte qu’elle serait posée en équilibre sur l’aiguille judéo-chrétienne des Lumières, à riposter par une croisade suicidaire aux atteintes que portent à son intégrité méritoriale les langues fendues qui voient en elle un périmètre d’effritement culturel islamisable. La Nouvelle Renaissance européenne mérite mieux qu’un double glissement progressif du plaisir, sadique et masochiste. Le droit de nos États à disposer de leur corps devrait suffire à protéger l’État de droit.
Fuir comme la peste une gauche bien trop docile face à la reptation djihadique pour ne pas saturer son ardoise collective d’un crime de collaboration relevant de cette Cour pénale internationale de dernière génération qui percutera un jour ou l’autre nos esprits fossiles, dénote un instinct de vie qu’aucune conscience omniverselle ne reprochera au meilleur de ce que la République fut capable de produire à partir d’une nation ouverte à cette manne que constitue pour elle Homo universalis. Or le meilleur s’identifie souvent dans sa capacité à étouffer les prétentions du pire, lequel ne souffrira jamais de ne point l’égaler. Manuel Valls, chef du gouvernement français duquel émergea le Nouveau Monde, appartient à la France, aussi la France, dans une certaine mesure, lui appartient. Que sa métécité ne lui fasse jamais perdre de vue la place qu’il sut conquérir dans cette Histoire irréfutable et contredite par ce conglomérat étatique, supra-étatique, infra-étatique et anti-étatique dont elle sera toujours pétrie ; aucun de ses prédécesseurs à Matignon n’autoriserait une telle supercherie ; aucun de leurs fidèles bras droits ne manquerait de reprendre le glaive avec une même ardeur ; aucun de ses dynamiteurs ne laisserait quiconque leur arracher la croix de guerre, fût-elle factice, qui avait immortalisé ce face-à-face entre leur étrange coalition et un bélier noir contre lequel ils se ligueraient non seulement catégoriquement, mais catégoriellement, lors d’une guerre fratricide, et donc existentielle, au cours de laquelle ils se forgeraient un destin, voire une identité. Il est indispensable que l’Ennemi n° 1 de l’Ancien Monde qui parmi nous s’attarde, puisse défendre, non pas son bilan, mais une ligne politique ayant fait l’objet d’une procédure d’impeachment typique des intrigues moliéresques dont est truffée la tartufferie d’État, procédure qui le traquera jusque sur ces terres ancestrales où il s’était reconnu des affinités de principe avec les vrais européistes, ceux qui s’engagent contre ce petit nationalisme qu’est le régionalisme, cousin du communautarisme, vis-à-vis duquel Manuel Carlos Valls Galfetti montre l’exemple en refusant de déliter l’unité de ces États sans l’unification desquels il serait difficile d’imaginer un passage à la vitesse supérieure car impossible de penser la fédéralité d’une supranation européenne qui se montra capable de transcender, de par la libéralité de ses forces démocratiques, la diversité des régimes qui la constituent, et ce, qu’ils fussent républicains ou monarchiques, en se fondant sur un système civilisationnel observant les mêmes valeurs fondamentales dont l’évidence avait frappé les rescapés du siècle des Ténèbres.
Le désamour pour Manuel de Gaulle-Clemenceau — personnalité politique la plus détestée des Français devant Marine de Gaulle-Pétain et Jean-Luc de Gaulle-Khrouchtchev — aurait pour cause son utilisation répétée du 49.3 au moment où les frondeurs, effondreurs d’un Parti socialiste dont le salut valait bien qu’on lui fît risquer un savonnage de planche, l’avaient poussé à faire passer en force une loi Travail dont l’inspirateur, après qu’il eut quitté le navire éventré de la drauche, serait couronné de succès au second tour des Olympiades de 2017. Il est vrai qu’à l’époque, le futur best-seller 2018 était contre, mais voilà ! son obsession anguillaire du compromis confinait à l’impuissance crasse… non ? c’est pas ça ? Ah bon ! bon, bon. Mais alors, ha ! ça m’a tout l’air de confirmer la thèse du complot sioniste insinuée par l’avocat du Tordu… Hein ? cette finance mondiale face à laquelle une république et son président démocratiquement élu n’ont pas d’autre choix que de ramper en souillant leurs terroirs s’ils ne veulent pas qu’on en retire la dernière molécule d’oxygène. Non plus ? Hhhrrrrrr, vous me faites marcher, là !
Manuel Valls est, dans l’effet, l’homme d’État le plus européen que notre continent ait jamais nommé à la tête d’un gouvernement. Par sa naissance, mais aussi son essence. Trop adroit pour la gauche du Parti socialiste, sa conception de la laïcité paraissait offensive, j’allais dire obsessive aux oléophobes d’une France libre et nue, crépitant d’arrogance et de honte. Après un cuisant échec aux municipales de Barcelone qui aura dépassé les espérances de ses vieux camarades en ce qu’il avait résonné chez eux comme le coup de fusil qu’ils n’auraient plus à tirer dans la tête de leur cheval blessé, l’ancien Premier ministre peut être considéré comme politiquement mort à l’Ancien Monde. Il est de fait que sa défaite est la dernière qu’il ait eu à subir avant qu’il ne se rétablisse, au terme d’un triple salto arrière, sur l’échiquier démocratique de notre Union en phase de recomposition. Héritier d’une résistance républicaine à toute épreuve, celle d’un antifascisme non partiellement antitotalitaire, ce qui ne fut et ne demeure pas si fréquent chez ces antifranquistes qui portèrent le premier des combats sur la scène internationaliste, Valls est vacciné à vie contre le risque d’instauration d’un Saint-Office de l’Inquisition de France. La noble bataille pour le droit des femmes à disposer de leur corps trouvera en lui un successeur digne de celui qui, depuis Matignon, avait encouragé Simone Veil à rester impassible face aux cracheurs de haine voyant en elle un genre de bénitier qui excitait grandement les glandes salivaires. Si les Républicains se demandent où est passée leur boussole, qu’ils se tournent vers Barcelone ; ils y apercevront un homme issu de cette deuxième gauche dont le fondateur tapait sur l’épaule de Jacques Chirac dans les couloirs de l’Assemblée, un globe-trotter des droits sociaux ayant fait sa mue mondialiste, un féru de liberté, d’égalité et de fraternité politique ayant la responsabilité individuelle chevillée au corps, un homme de gauche plébiscité par l’électorat de droite pendant tout le temps où il tint sans vaciller le gouvernail de la nation.
Vous venez d’un rêve ancien, ma mémoire n’est pas toujours bonne
Mais je crains d’être en retard
…
Il a toujours un carillon qui résonne dans le port de Barcelone
Il ne peut pas sonner pour personne
(J.P. Capdeville, Barcelone)