Soyons honnêtes : il est compliqué de définir avec justesse la Macronie, ce pays flou aux frontières toujours incertaines. Ce que l’on sait : il est plein de promesses, tellement plein qu’il en déborde jusqu’à rendre ivres ses supporters zélés. S’il existe certainement plus de calcul politique et peut-être même une certaine dose de cruauté chez le nouveau locataire de l’Elysée, il n’en reste pas moins que l’enthousiasme suscité par le Président n’avait pas été observé depuis des lustres. Macron et ses neo-députés se fixent des objectifs grandioses : réformer notre pays, le faire entrer dans le XXIème siècle, par la voie du progrès. Une porte s’entre-ouvre. Ces moment sont fragiles : il se pourrait bien que le changement ait lieu maintenant… Ou bien qu’il se fracasse contre le mur du réel ! Pourquoi ? Car la France n’a rien d’une page blanche. Elle constitue une entité complexe construite sur des siècles de conflits et de compromis, de longues phases de renoncements et quelques épisodes révolutionnaires. Tout cela jusqu’au blocage actuel. Ou du moins, jusqu’à ce que nous atteignions cette sensation de ne plus savoir avancer ensemble. Quels sont aujourd’hui les éléments qui nous rassemblent ? Comment peut-on être encore français ? Ce sont les questions justement posées par Thierry Keller et Arnaud Zegierman dans leur essai publié aux éditions Manitoba. A n’en pas douter le livre le plus vivifiant que vous lirez cet été ! Ses auteurs ne sont pas des inconnus. Thierry Keller est directeur de la publication du magazine Usbek & Rica. Accompagné de ses acolytes Jérôme Ruskin et Blaise Mao, il invente aujourd’hui la presse de demain, publiant des numéros semblables à de petits bijoux de prospective. Les résultats sont là : la petite bande est si douée qu’elle empêche de fait le mastodonte U.S. Wired de s’implanter dans l’hexagone ! Co-auteur du livre : Arnaud Zegierman, sociologue, fondateur de l’institut Viavoice et particulièrement impliqué sur les thématiques d’intérêt général. Cela tombe bien. Ce qui nous rassemble poursuit une quête : il cherche à dégager un socle commun au-delà des clivages dévastateurs. Autrement dit : «faire France» dans un pays qui se recroqueville sur ses identités multiples. La chose est évidemment complexe. Un exemple : comment parler d’une voix lorsque la majorité se vit elle-même comme un minorité fragile, comment ré-enchanter un pays où l’on se recroqueville et craint pour l’avenir ? L’enjeu est gigantesque. France des riches contre France des pauvres, France des villes contre France des champs, France de l’Ouest contre France de l’est, tout semble indiquer que notre pays est multi-fracturé, balkanisé. Il est arrivé à se détester, à promouvoir, de lui-même, sans qu’on ne le force, un courant décliniste, zemmouriste, le poussant jusqu’au suicide… Fil rouge de l’essai, la scène finale de Pierrot le fou, le célèbre road-movie de Godard. Pour mémoire, on y voit Jean-Paul Belmondo «s‘apprêtant à mettre fin à ses jours de manière spectaculaire : en s‘enroulant une ceinture de dynamite autour de la tête pour se faire exploser. Il crame un paquet d‘allumettes, enflamme la mèche à l‘aveuglette, mais au dernier moment, il regrette son geste. (…) “Merde, merde…” Trop tard. Dans un plan large ironique, Godard fait réussir à son héros une tentative de suicide dont le but ultime était de se rater. Boom.» Ce kamikaze qui regrette son geste avant d’exploser à contrecœur, ce pourrait-être la parfaite métaphore de notre pays. A force de chômage, de rejet des élites, de scandales et d’abus, de faits-divers montés en épingles et d’un climat de guerre de tous contre tous, notre pays pourrait en finir avec lui-même. Se supprimer stupidement. S’effacer alors même qu’il disposait de toutes les armes pour triompher de l’Histoire. Cela n’a rien d’une fiction ! Il suffit de regarder de l’autre côté de la Manche pour en avoir le cœur net. Déjà les Britanniques regrettent leur Brexit. Eux qui hier jubilaient de leur liberté retrouvée se sont en fait tirés une balle dans le pied. Ils se retrouvent désormais «seuls ensemble», vivant dans un pays où la parole s’est tellement libérée qu’elle en est devenue hystérique. Pas un hasard si, ces dernières semaines, les kamikazes s’y donnent à cœur-joie…
Mais revenons à la France. Que se passe-t-il dans notre pays pour que l’on y consomme autant d’antidépresseurs, pour qu’un spleen nous envahisse sans nous lâcher, pour que l’on regarde sans cesse dans le rétroviseur en quête de cette douce France, cher pays de notre enfance ? Suffirait-il d’en finir avec la crise économique pour résoudre nos problèmes ? Non, répondent catégoriquement les auteurs de l’essai ! «Revenir au plein-emploi – à supposer que cela soit possible – a peu de chance de nous faire collectivement “aller mieux”. Ils poursuivent : chez bon nombre de nos voisins européens, il y a du chômage et de la pauvreté, mais pas de crise existentielle, en tous cas pas de la même ampleur que chez nous. L’Espagne compte 25% de chômeurs et ne se demande pas tous les quatre matins s’il existe un “suicide espagnol”. L’Allemagne compte 9 millions de travailleurs pauvres, et connaît une stabilité politique qui ne doit pas tout à l’habileté de ses chanceliers.» Si l’économie n’est pas, à elle seule, la panacée, il y a donc d’autres pistes. Et plutôt que de proposer des solutions toutes faites et dogmatiques, Ce qui nous rassemble a le mérite de dresser un constat objectif, basé sur un sondage exclusif réalisé à l’occasion de la publication de l’essai. Instructif, ce dernier est prolongé par série de recommandations bien en phase avec le vent nouveau qui souffle en politique. Parmi elles, pêle-mêle : récréer un futur désirable, réactiver l’espérance européenne, refaire de la prospective et domestiquer – enfin – nos querelles de clocher. Tout cela forme un ambitieux programme pour remettre la République, ce «concept ultra-moderne qui vaut la peine d’être défendu à condition d’être mis à jour», au cœur du débat. Voilà un livre qui donne envie d’agir !
Des constructions, je me méfie. Je ne renie pas mon soutien au pire de la démocratie contre la négation de toute démocratie. Et pourtant. Les roueries d’un relativisme qui s’est dangereusement éloigné de l’instinct d’Albert ne trouveront pas grâce à mes yeux pour la seule raison qu’elles auraient arboré les armoiries hypnotiques de l’extrême centre. Le fascisme est le fascisme. Sa progression épimorphique ne nous laisse plus le temps de nous amuser à l’affaiblir ici pour le renforcer là. Ne nous berçons pas d’illusions, nous ne verrons pas la paix surgir d’un Titan reptatif. La vraie paix sera le fruit d’invisibles et non moins intraitables efforts en faveur de l’émersion d’une génération délivrée des chaînes de l’appropriation, une génération qui n’aura pas l’outrecuidance de faire à la vérité le coup tordu que Tonton fit à la transparence. Retroussons-nous les manches et gardons-nous bien d’en rechercher les effets. On ne s’est pas réconcilié avec l’Allemagne en effaçant l’ardoise du Troisième Reich, mais en dénazifiant.
— (Regard à droite) Ah… la dénazification! (Regard à gauche) Bien, bien.
— Quoi? alors, ce serait encore plus grave que je ne l’imaginais…?
Déconstruction : Je crois que je viens de dire une énormité en préconisant la formation d’élites arabes sionistes car attachées à la présence au monde d’un peuple juif souverain, pro-palestiniennes en ce qu’elles rompraient avec la Reconquista islamica et la Grande Expulsion des Juifs qui s’y rapporte. Il faudrait pour cela que cette jeunesse assoiffée de justice aille s’abreuver à nos propres sources, dans ces universités qui déroulent le tapis rouge à Ramadan et entartent Lévy. Au temps pour elle.
Reconstruction : J’entends, de la manière la plus dépassionnée qui me soit intelligible, les arguments de ceux dont je suis le contradicteur. Et j’admire celui ou celle d’entre eux qui me démontrera la supériorité de la raison sur le cœur, ou du cœur sur la raison, pour un enfant du XXe siècle qui s’efforce de dompter les rejetons du Désastre. Je m’étonne toutefois qu’un Président traitant son chef de la diplomatie comme un simple collaborateur prenne autant de soin à ne jamais mentionner les crimes dont lesdites prisonnières algériennes s’étaient rendues coupables pour se retrouver là, derrière les barreaux d’un empire qui ne pouvait décemment pas abandonner ses citoyens à des hordes d’indépendantistes pratiquant les mutilations rituelles sur le cadavre des civils européens tombés au champ d’honneur. Les poseuses de bombes de Yacef Saâdi furent les Bonnie d’un Clyde impérialiste, pro-nazi et pro-palestinien, ayant pour nom Nasser. Et quels qu’aient été les sévices condamnables, trop longtemps occultés avant que de nous être dévoilés depuis maintenant une, deux, trois, ou ce ne serait pas plutôt quatre décennies ? je persiste à penser qu’innocenter par omission des assassins de ce calibre a pour effet de leur dresser des couronnes d’héroïnes du pire et, ce faisant, à justifier leurs méthodes.
Destructivisme : Mon pessimisme est camusien, à savoir que l’optimisme ne m’intéresse pas dès l’instant qu’il nous coupe à jamais de la possibilité de créer les conditions du bonheur. Je ne fais que vous décrire la cellule capitonnée qu’il nous faut humaniser. Si, l’ayant sous les yeux, je l’occultais sagement, préoccupé par le seul impératif d’y incruster l’image d’un lit douillet, alors là, oui, vous pourriez commencer à sérieusement vous inquiéter pour moi.
Intrusion : Pardon d’insister, mais, au lieu de vous embêter à restaurer pour moi la commission d’expertise itinérante de l’Institut Serbski, si vous pouviez vous accorder deux secondes pour rétablir la confiance entre vous et ces quelques lettres qui sont allées se réfugier dans les ratières secrètes de votre bibliothèque, je pense que nous y gagnerions beaucoup en respect, l’un comme l’autre. Les idéologies françaises ne nous ont que trop engloutis, nous hélitreuillant, chacune armée d’une suffisance assourdissante, vers le tombeau d’Oussama Ben Laden. La politique de la France à l’égard de ses Juifs ne peut plus se ponctuer de la gifle annuelle du comte de Toulouse. Eh oui, c’est le principe du chamboule-tout tout chamboulé. Un très vieux jeu dont la règle, à ce que l’on dit, serait encore plus âgée, mais nous savons, vous comme moi, que le monde n’a pas d’âge.
Mettre un être au monde est à la portée de n’importe qui. Faire que la horde des petits dieux blafards ne soit jamais en mesure de le démettre de sa fonction, c’est une autre paire de manches. Oury racontait que sa mère lui avait non seulement donné la vie, mais qu’elle la lui avait sauvée. Cyrulnik pourrait sans doute prononcer les mêmes mots, et tant d’autres enfants dont les parents n’hésitèrent pas à s’en arracher provisoirement, avec l’espoir de les récupérer sitôt que la répétition de la fin des temps prendrait fin. La suppression de la pénalisation de l’IVG a sauvé un nombre incalculable de femmes qu’aucun homme n’aurait pu empêcher de chercher par tous les moyens à se délester d’un fruit qu’on avait introduit dans leurs entrailles sans qu’elles y aient eu jamais consenti. Elle donna à ces survivantes la possibilité d’accoucher d’un nombre incalculable d’enfants, l’esprit libre, le corps libre. Il est donc absolument juste que Simone Veil se voie, aujourd’hui, accordée par la France le titre de Mère de la nation. Ce monument de raffinement qu’était la très longue phrase dans laquelle elle reprenait vie, à voix basse, puis plus haute, d’une vigueur extraordinairement douce, enveloppante bien que lardée de trous noirs imprévus, ne lâchera pas l’Europe. La conscience n’attend pas.
Message laïque : L’Emmanuél de la République ne craindra pas de nommer le nouvel antisémitisme. Au nom des Juifs qui, dès avant la conversion chrétienne de Rome, furent partie intégrante de la préhistoire de France, Il ne tournera pas autour du pot épineux. Nos concitoyens dont les ancêtres furent recensés dans l’optique d’être raflés, puis déportés, gazés et enfin, incinérés dans l’angle mort des civilisations, ces Français bon ou mauvais vivants doivent affronter en bloc, depuis quelques décades, la forme adipeuse et anguillaire que saura toujours prendre l’antisémitisme Nouvelle Génération. Que cette dernière ne soit jamais parvenue à éliminer les formes précédentes et non moins persistantes dont elle s’était inspirée ne Nous embrouillera pas. Ni Nous ni Lui ni aucun de ceux qui En portent le Nom.
Message non liké : Fallait-il vraiment que, quelques heures à peine après l’apparition de la disparue, l’on se souciât de canaliser les réactions d’une portion substantielle du peuple contre la sanctification médiatique d’une rescapée des camps, en faisant d’elle une Gisèle Halimi. Au train où ça va, c’est bientôt l’avocat de Klaus Barbie qui fera son entrée au Panthéon! Pourtant, quand notre Veil est dépêchée en zone sinistrée par le garde des Sceaux de la Ve République pour s’enquérir de la situation des prisonnières d’Alger, elle n’a pas pour mission de s’assurer que son État ne se conduit pas de façon inhumaine avec de pauvres femmes victimes du patriarcat, mais 1) à ce que les cinglés de l’OAS n’aillent pas les tirer hors de leur geôle pour leur régler leur compte à leur façon — ce qui n’eût pas manqué de mettre un coup d’arrêt aux pourparlers officieux entre l’ex-chef de la France libre et le FRONT de libération NATIONALe, négociations visant en priorité le cessez-le-feu, ou plus précisément, l’abandon du minicrime contre l’humanité qu’est l’attentat aveugle à répétition (au bout d’un certain nombre, on franchit le seuil du maxicrime) — et 2) à ce que les assassins ne profitent pas du chaos administratif pour organiser une bonne évasion des familles, de celles qui vous donnent l’occasion d’administrer la mort qui est devenue votre métier. Continuons d’écouter maître Veil. Ces femmes, dont la prisonnière d’Auschwitz veillera, c’est évident, à ce qu’on ne les traite jamais comme elles-mêmes ont dénié toute espèce d’humanité à leurs propres congénères, sont des intellectuelles. Des intellectuelles qui ont perpétré des actes terribles. Qui ont donc prémédité, puis commis ces massacres en parfaite connaissance de cause. Il suffira de relire le témoignage dépourvu de remords de Zohra Drif au moment d’un cinquantième anniversaire de l’indépendance qu’elle fêta dans ses grandes largeurs pour se faire une petite idée des conséquences qu’aurait pu avoir une remise en liberté précoce de ces barbares au féminin. Macron souhaite s’inscrire dans les pas de l’homme du 18 juin. Qu’il se contente alors d’écrire l’Histoire et nous épargne sa réécriture. Ne soufflons pas à Daech son prochain mode opératoire.
Décopiage/Décollage : «à ce que» renvoyait à «veiller», et donc, «s’assurer» 1) «que (…) ne vont pas» et 2) «que (…) ne profiteront pas».
Le cap est désormais fixé.
Message de fin : Les juifs transcendantaux, ce n’ont jamais été les nazis, qu’ils se conjuguent au masculin ou non, qu’ils se dégradent sous forme de nazillon(ne)s ou se conservent dans leur atrabile. S’il y a des victimes de la barbarie quelque part, ce sont celles du fascisme, du nationalisme multi-ethnique, du fondamentalisme religieux qui, en toute logique, n’est pas le dévoiement de ce qu’il s’oppose à réformer. Il y a un monde entre le sort que l’armée des ombres réserva aux salauds qu’elle mit à la question et le traitement que la Gestapo fit subir à tous ceux qu’elle avait décrétés ennemis de l’humanité. Il faudra bien un jour affronter l’impensé. Mais je vous rassure, je suis de ceux qui, à l’instar de W., jugèrent parfaitement superflue la pendaison du tyran de Bagdad.
Message de l’au-delà : Les disciples du SS-Untersturmführer Boerner Wilhelm, alias Ali Ben Keshir, ne renonceront jamais à finir le boulot de leur père adoptif. Ils récidiveront au Grand Soir de leur Libération. Avec l’aide de qui?
Message du néant : La pornographie mémorielle, ce n’est pas comme s’en offusque la dieudosphère, l’entêtement des faits mais à l’inverse, la falsification de l’Histoire telle qu’effectuée par une civilisation de permutants qui, au lieu de s’efforcer de regarder en face la réalité d’un champ pulsionnel qui ne saurait être dominé qu’au terme de son exploration courageuse, en d’autres termes, au carbone 14 de la conscience de soi qui est seule à pouvoir nous donner les moyens de départager le vrai du faux recouvrant notre monde obscènement refoulé, choisissent d’enfiler le réel comme une peau de bête sèchement retournée. Le monde vidé de sa substance nous permettrait de renvoyer dos à dos Daech et le monde libre, de les presser de faire, chacun de leur côté, les efforts nécessaires à la consécration de Jupiter, prix Nobel de quoi, sinon de l’entremêlement des forces élémentaires tournoyant, avec une passion enivrante et communicative, jusque sur la piste étoilée du Nouveau Colisée?