Enseigner l’arabe ? Chiche !
Mais, comme d’ailleurs pour quelque langue que ce soit, pas à n’importe quelle condition.
Il existe un moyen terme entre la position de la députée du Doubs qui a qualifié la langue d’Averroès et des Mille et Une Nuits de « langue communautaire », et celle de Najat Vallaud-Belkacem qui promeut, à raison, son enseignement, mais après avoir de facto éliminé des programmes le latin et le grec. Ce moyen terme résiderait précisément dans la reconnaissance préalable, pour reprendre les mots de la députée, « des langues anciennes qui sont nos racines ou des langues européennes comme l’allemand », dont on pourrait ajouter qu’elles sont nos racines aussi. Et peut-être même, avant cela, du français, de notre langue dont la pratique baisse à tous les échelons.
Allumez la télévision et écoutez parler nos hommes politiques : jamais, je crois, dans l’histoire d’un pays, on n’a vu une élite à ce point méconnaître le fondement, non seulement de sa culture, mais de son être, et en l’espèce de toute communication correcte et intelligible. J’avoue en effet ne pas toujours comprendre, oui, comprendre, déchiffrer simplement, les propos emberlificotés, énoncés dans un français inexact, bancal, tordu, de ceux qui aspirent à mon suffrage. Comment en est-on arrivé à ce que, en gros, la génération aujourd’hui au pouvoir ou à la veille de l’être, celle qui militait sous Mitterrand – dont on peut tout dire, à part qu’il ne fût pas lettré –, maîtrise à ce point mal et les règles de l’éloquence et celles de la langue, je l’ignore. Même aujourd’hui, dans l’ensemble du monde démocratique, un tel cas est à peu près unique.
J’inclinerais à penser que cela a quelque rapport avec la haine que se porte la France, haine pour son histoire et pour sa culture. Haine pour ce qui la distingue. Quoi qu’il en soit et par conséquent, on n’a pas à attendre beaucoup des « jeunes », de ceux qui passeront bientôt leur baccalauréat ou leur brevet des collèges, étant donné le piètre niveau rhétorique de ceux qui devraient les inspirer. Quant à cette culture qui leur manque, elle n’est évidemment pas juste une quantité de savoirs défectueuse, mais bien une certaine qualité, autrement dit une vision. Un homme politique qui n’a pas lu, qui ne s’inscrit pas, consciemment, dans une certaine histoire, qui ne reconnaît pas ce qui le dépasse et le précède, qui ne connaît de l’homme que l’horizontalité d’une réunion de section ou d’un cabinet de préfecture, ne saura jamais, selon moi, être autre chose qu’un comptable ou un mauvais publicitaire.
Avant d’enseigner l’arabe, il convient de se retrouver. Mais quand je dis « avant », je ne parle pas d’un avant chronologique, je parle d’une priorité ontologique. La France doit s’aimer, se connaître à nouveau. Quand un homme politique de premier plan affirme que la victoire, heureuse, de Sadiq Khan à la mairie de Londres prouve que l’Europe n’a pas de racines chrétiennes, on est forcé, à la fois de déplorer le sophisme, volontaire ou non, qui sous-tend son propos, l’ignorance extrême dont il témoigne ou feint de témoigner, et l’idéologie qui le motive. Il est merveilleux que Sadiq Khan ait pu être élu mais, et je l’ai déjà écrit, cette élection signe justement l’une des spécificités de notre civilisation qui est le produit, qu’on le veuille ou non, d’une rencontre entre le vieux sol européen, la Grèce et le christianisme. Si chaque village de France et d’Europe a en son centre une église, une église et non une mosquée ou une synagogue, une église et non un stade de foot, une église, pas même une école, une église et non une usine, une église et non une prison ou un bureau de poste, il y a non seulement une raison à cela, mais encore un impératif qui en découle, pour nous, qui que nous soyons : celui d’admettre ce passé et ce présent. Et c’est d’ailleurs dans ce passé que s’enracinent nos libertés, notre révolte et jusqu’à notre laïcité.
Il n’y a aucun problème, en soi, à ce que l’arabe s’enseigne en France. Mais il faut savoir ce que l’on veut faire de ce pays, et le dire honnêtement.
Soit l’on veut une France qui ne soit « que » la France. Une France identique à elle-même : France = France. Identique à elle-même, enfin à quelque image figée et forcément partielle d’elle-même. Car la France a une histoire, et une histoire, cela signifie des tensions, des contradictions, des changements, un manque à être. La France identique, « éternelle », de Le Pen et de ses amis, est une vignette. Enfin, oui, vignette ou non, il est tout à fait possible de vouloir cela et certains, hélas, n’y manquent pas.
Une autre possibilité, à l’opposé, est de constater que les peuples, les nations, les Etats disparaissent, se recomposent, se forment et se déforment, et que le moment est venu pour la France d’apprendre à mourir. D’admettre qu’elle a fait son temps. Ceux qui le disent franchement ont tort mais ils sont au moins honnêtes, plus à vrai dire que les apôtres du kitsch pétainiste. En revanche, ceux qui nous expliquent que la France n’est grande que de ce qu’on en fait, que la France est la somme de tous nos rêves, de toutes nos envies, de tous nos fantasmes, de toutes nos revendications, de toutes nos identités si fécondes, mais sous-entendent qu’elle n’est rien par elle-même sans aller au bout de leur raisonnement qui consisterait à tirer de cette non-substantialité de la France l’urgence de sa fin, ceux-là sont hypocrites ou ne pensent pas correctement les questions auxquelles ils prétendent se consacrer. Ils disent ce qui leur passe par la tête sans saisir le sens et les conséquences de leurs mots.
Reste, entre cette pure substantialité et cette pure accidentalité, une troisième voie. Oui, les peuples, les civilisations changent, se déforment et se reforment, se survivent parfois en se transformant, disparaissent. Mais cela n’implique pas que la France ait fait son temps. Cela n’implique pas, au contraire même, qu’il revienne à une administration de légiférer sur l’évolution de l’entité spirituelle dont elle émane et qu’elle est censée représenter et protéger. Un peuple est une entité spirituelle. La diversité des nations possède, soyons-en sûrs, une nécessité métaphysique, celle de l’altérité justement, qui marque l’homme universel de son sceau. Et tant que les peuples, par l’exercice d’une force spontanée, n’ont pas disparu, il ne revient pas à ceux qui les gouvernent, d’activer artificiellement cette disparition, mais au contraire, de porter le souffle qui les anime.
La France a encore, plus que jamais, en tant que France, un rôle à jouer. Et pour longtemps, je crois. La France dit au monde, en cette époque d’insignifiance, l’importance du passé, de la beauté, du temps que l’on prend pour cultiver l’homme en toutes ses dimensions, de la diversité aussi : comparez les villages de notre pays, chacun détenteur d’une tradition ancienne, subreptice, incongrue – à l’uniformité des villes et des suburbs américains ! Il n’est pas jusqu’aux tuiles de leurs toits qui ne soient de formes et de couleurs différentes, quand rien ne ressemble plus à un toit de maison américaine qu’un autre. Les interminables briques rouges d’Angleterre ne valent au reste pas mieux !
Mais si la France dit le passé, elle dit aussi l’audace et la liberté. La révolte métaphysique est, comme l’a si bien montré Hugo, « la vieille âme de la Gaule ». Dans le monde qui vient, tout cela compte, tout cela doit s’apprendre. Cette substance doit persévérer en elle-même. Tant que nous savons d’où nous venons, et cela doit passer par le fait de renouer avec nos racines antiques (que seraient les facéties et l’espièglerie théologique de Rabelais sans Lucien de Samosate ? les larmes de Racine sans celles d’Euripide ? l’égotisme romantique sans les Confessions d’Augustin ? et que serait toute la culture occidentale sans la Bible, Platon et quelques autres ?), rien ne s’oppose à ce que notre identité se fasse le sol de toutes les adventices qu’on voudra.
L’arabe n’est pas une « langue communautaire », d’ailleurs ce mot ne veut rien dire. Et s’il doit s’enseigner plus largement, que cela passe par ce que cette langue a apporté de plus élevé à la Civilisation, à la France et à l’Europe en particulier : Balzac et Proust rêvèrent à Shéhérazade et à ses génies, Gide emprunta le titre de ses Nourritures terrestres au Coran, et ses thèmes à l’esthétique de l’Orient arabe ; il n’est pas un philosophe depuis le Moyen Age qui ne doive quelque chose à la tradition arabo-persane : c’est cela qu’il faut apprendre. C’est la langue d’Abu Nuwas, qui du temps des Abbassides, chanta les amours viriles et les plaisirs du vin en dépit de l’orthodoxie islamique : « Je suis un grand buveur de vin / qui chevauche les sveltes faons, / et j’aime les hôtes gracieux : / ceux des bois et celles des cieux. / Frère buveur, lève ton verre / à la santé des beaux garçons… » C’est en un sens d’abord en tant qu’il participe de notre substance que l’arabe doit s’apprendre.
C’est à ce prix d’ailleurs qu’il peut aussi, si j’ose dire, la corriger, ou au moins la compléter. Vivre aux Etats-Unis et parler, écrire en anglais, me fait mieux mesurer les limites, et de cette France que j’aime mais qui ne saurait à elle seule, quoiqu’elle y ait parfois un peu trop aspiré, exprimer l’essence de l’humanité – et nombre de ses problèmes actuels, jusqu’à son incapacité à penser le religieux, viennent sans nul doute de cette hybris –, et de la langue française elle-même, qui ne peut dire, comme toute langue, qu’un aspect de l’humain. Connaître l’hébreu me fait voir encore autre chose, me déployer dans une autre dimension encore. Et j’imagine qu’il en va toujours ainsi, pour chaque langue que l’on apprend. L’essentiel est de s’y donner vraiment, corps et âme : ma « critique » de la langue et de l’éthos français part de l’intimité que j’entretiens avec eux, non de quelque tocade. Et j’estime que l’apprentissage d’une langue, comme d’une discipline nouvelle, d’une tradition religieuse ou d’un art, ne doit pas consister à traverser ces savoirs comme on ferait d’une allée de supermarché, mais à se laisser traverser par eux.
A un autre niveau, oui, c’est en tant qu’événement, « accident » de notre histoire culturelle, que l’arabe s’enseignerait : il y a en France des citoyens qui ont en partage cette langue ou son souvenir. Mais de même que l’islam aurait sa place dans une alliance pensée entre un pays rendu à soi et une culture à la fois pleinement admise, légitime, reconnue, désireuse en même temps d’abandonner ce qui en elle contredit la nôtre (que l’on songe à l’incident récent de la serveuse niçoise agressée parce qu’elle servait de l’alcool en plein Ramadan), de même la langue arabe a parfaitement sa place dans un programme de langues rendu tout d’abord à sa vocation humaniste. A ce prix d’ailleurs, il sera peut-être donné à chacun de se connaître et, en s’aimant mieux, d’aimer aussi mieux son pays.
Les pilotes de la machine à tuer d’Orlando ne sont pas stupides au point d’imaginer qu’ils nous imposeront leur modèle de civilisation. Si, malgré tout, ils se lancent dans des opérations punitives de ce type, c’est dans l’optique, évidemment, de nous fragiliser, de nous rendre fébriles, d’instiller en nous un sentiment d’insécurité permanente qui, impuissant à nous exterminer, devra se contenter de nous gâcher la vie mais, au-delà du pétage de câble que peut représenter la justice personnelle au sein d’un État dont ils contestent la nature du droit, ce sont tous ceux qu’ils considèrent comme une meute marchant comme un seul homme derrière leur loup solidaire qu’ils cherchent à persuader du fait que l’establishment américain et ses alliés historiques sont le mal incarné. Les musulmans d’Orient et d’Occident ont actuellement sous les yeux une abomination. Si leurs autorités religieuses choisissent de les aider à discerner de quel côté du fusil djihadique se situe l’acte de transgression, cela nous permettra de mieux nous situer par rapport à elles. Mais ce n’est pas à proprement parler de religion que les coreligionnaires du salaud ont le plus besoin en un moment pareil. C’est d’abord d’une pensée universaliste émanant de leur propre culture. D’une nouvelle race d’intellectuels capables de se mouiller, en terre d’islam, pour les droits fondamentaux des gays, des lesbiennes, des femmes hétéro, des chrétiens, des athées et, en premier plutôt qu’en dernier lieu, des Juifs ou plutôt de l’État névralgique qui est le leur, quand le combat immonde que l’on mène — «on» se reconnaîtra — contre ledit amalgame entre victimes innocentes (non juives) et coupables (sionistes) du Jihâd global continue de constituer le pousse-au-crime n° 1 pour le prochain Hashashin sûr de pouvoir s’appuyer sur une base idéologique dont il mesure la progression probablement inexorable.
Je ne doute pas que les redondances que je répercute irritent ceux qui me filent de l’urticaire. Au risque de vous surprendre, j’ai horreur de me répéter. Malheureusement pour moi, j’ai à cœur de ne pas lâcher des yeux la clé de voûte des systèmes hostiles qui me somment de les révérer. Je ne conçois pas non plus qu’on soigne une infection avec un antibiotique de la classe des bêta-lactamines + une dose de cyanure, et que, suite à l’échec du premier traitement, on se rabatte sur un antibiotique de la classe des macrolides + une dose de cyanure.
Au fond, loin d’en remettre une couche, j’essaie juste d’empêcher que la dernière en date n’efface la précédente. Al-QaïDaech est une tentacule. FataHamas en est une autre. L’important pour le méta-empire c’est impérativement de maintenir son rang à la une. À moins que je ne m’étrangle à l’intérieur de mon nœud d’obsessions. À moins que tout ceci n’ait rien à voir avec l’islam. À moins que le père du tireur fou ne soit infiniment mieux placé que moi pour m’éclairer sur les raisons qui ont pu motiver son acte barbare. Un père dont je ne devrais pas suspecter l’esprit de manquer de clarté en ces heures bouleversantes pour un père. Un père dont je devrais avoir honte de m’étonner que son esprit soit aussi clair en ces heures bouleversantes pour un père.
Comme Nicolas Hénin, j’établis un parallèle entre les orientations sexuelles inverties du juif ultra-orthodoxe Yishai Schlissel et de l’islamiste Omar Mateen. Pour autant, je ne saurais où placer le lecteur con de la Tora dans le Petit Livre noir des guerres totales. Je crains enfin que l’auditeur plenelien de BFMTV ne reste sur ses positions aussi longtemps que son expert du contre-terrorisme n’achève pas sa phrase, laissant penser qu’il identifie Israël, l’un des pays les plus gay friendly au monde, avec une pleine poignée de théocraties à peine déguisées où l’homophobie d’État règne en maître sur des hommes qu’elle aime à voir se balancer au bout d’une corde après que, pour bon nombre d’entre eux, c’est elle qui les a jetés dans les bras d’autres hommes en vue de préserver la virginité des femmes.
Encore une question de ma part. La première fut posée ici même à Mr.BHL. Il n’ a pas répondu !
A vous maintenant : où sont les kabyles ou les berbères dans tout ça ?
Hsen Ammour
La france arabe s’arabise pour mieux gerer son royaume arabe compose de non-arabes arabises. Quant a ses racines latines, judeo-chretienne…il faut attendre le retour du messie.
http://www.siwel.info/Des-rifains-interpellent-Najat-Vallaud-Belkacem-sur-une-reforme-qui-discrimine-les-langues-amazighes_a9249.html