Avec son portrait à charge contre l’industrie du film, Cronenberg met en scène des personnages plus vénéneux les uns que les autres.
Oubliez les paillettes, le Hollywood que David Cronenberg nous livre en pâture est délicieusement monstrueux, dans la lignée des satires telles que Hollywood Babylone de Kenneth Anger, ou, plus récemment, The Canyons du duo Paul Schrader-Bret Easton Ellis.
Le réalisateur, conscient de son pouvoir de provocation, a dû affronter les appréhensions des producteurs redoutant les réactions des principaux intéressés face à ce brûlot contre l’industrie du cinéma américain. Huit ans après l’avoir lancé, il parvient à mener à bien ce projet qui, ironiquement, est projeté à Cannes – cette foire aux vanités que peut incarner le festival – en sélection officielle.
Dans cette ville de carton-pâte qu’est Los Angeles, Cronenberg déroule sans délicatesse une fresque frôlant à chaque instant le grotesque, peuplée d’une galaxie de personnages dont on comprend progressivement les liens : une mystérieuse jeune fille au visage marqué par des brûlures (Mia Wasikowska) devient l’assistante d’une actrice schizo-hystérique (Julianne Moore), qui rêve d’incarner le rôle de sa mère au cinéma, un séduisant chauffeur, acteur-scénariste à ses heures perdues (Robert Pattinson), un baby-star de 13 ans arrogant et présomptueux qui sort de désintox (Evan Bird), enfin, ses parents : un père thérapeute et gourou des stars (John Cusack) et une « mère-poule » qui pousse son fils dans les limbes les plus abjectes du star-system (Olivia Williams).
Parmi ces personnages plus vénéneux les uns que les autres, on ne saurait déterminer lequel remporterait la palme de la perversité. Dans une atmosphère aussi malsaine, règne le diktat du chacun pour sa peau, et surtout, pour sa carrière. On peut donc se réjouir du décès d’un enfant, on torture psychologiquement les assistants et autres membres du personnel traités comme des esclaves (« bitch »), et un père peut se soucier davantage du scandale provoqué par les crimes de ses enfants (risquant de mettre en danger la promo de son livre) que de ce qui a bien pu les mener à commettre de telles horreurs…
Pour le réalisateur, il s’agit d’une « vision à peine exagérée d’Hollywood », et il confie même avoir « déjà croisé des gens bien plus fous que ceux que nous montrons dans le film ». Ce sombre tableau semble ainsi concentrer tous les vices d’Hollywood, avec, comme principales obsessions, au-delà de la célébrité, l’âge et l’argent. Il donne à voir les failles d’une caste, et les actes les plus abominables commis dès lors que l’un d’entre eux sent son piédestal se fissurer.
« Liberté », le poème d’Eluard (écrit en 1942 en réponse à l’occupation de la France par l’Allemagne nazie) est répété à l’envi, tout au long du film, comme une incantation qui pourrait faire advenir cette liberté tant implorée. De quoi, au juste, les personnages cherchent-ils à se libérer ? Certainement de ce déterminisme qui s’abat sur eux : la répétition de schémas familiaux, et, parfois, le besoin irrépressible de les reproduire (illustrés par Havana et les deux adolescents), sur fond de castings, tentatives de meurtre et inceste. Outre la mise en abyme des comédiens (dont on espère les vies bien éloignées de celles de leurs personnages), on trouve également dans ce film un effet de miroir entre les parents et leurs progénitures – les fautes des uns se répercutant sur les autres, selon le principe même de fatalité tragique. Ainsi, Hollywood ne peut enfanter que des monstres. Bien plus qu’un pamphlet contre l’industrie, ou un récit moralisateur sur le refrain « l’argent ne fait pas le bonheur », ici se déploie un processus inéluctable punissant ceux qui ont voulu toucher les étoiles.
Maps to the stars : le titre fait référence aux fameuses « star maps », ces cartes vendues aux touristes et indiquant les maisons de célébrités à Hollywood. Cela peut par ailleurs évoquer une carte au trésor imaginaire, un mode d’emploi pour les wannabes acteurs qui pullulent à L.A. et cherchent désespérément à percer dans le milieu. Pour les personnages paumés mis en scène par Cronenberg, ces « cartes pour les étoiles » semblent indiquer la direction vers un idéal. Tandis qu’ils sont visités par des fantômes incarnant leurs névroses, les personnages se figurent en étoiles et ainsi cherchent à établir un dialogue avec les cieux, habités par une mystique moderne faisant se télescoper ésotérisme, scientologie et bouddhisme, pour atteindre enfin l’immortalité, et fixer pour l’éternité leur passage sur terre, en même temps que leur passage sur le grand écran.
Maps to the Stars de David Cronenberg. Avec Julianne Moore, John Cusack, Robert Pattison, Mia Wasikowska. 1 h 51. En salles le 21 mai.