L’impôt sur le revenu, revenu de la Grande Guerre, est reparti en croisade en ces temps de trouble. La « fronde fiscale » s’organise et semble vouée à un avenir aussi rose que celui des bonnets rouges en Bretagne. La parole est donnée aux mécontents : leurs revendications sont-elles aussi illégitimes qu’on veut le laisser croire ?
Alors qu’on « fêtera » en juillet les cent ans de l’impôt sur le revenu introduit par Joseph Caillaux, on assiste aujourd’hui à un élan de poujadisme fiscal. On pointe du doigt la corruption des élites qui se délitent face aux abus de certains : Woerth d’un côté, Cahuzac de l’autre. Le « tous pourris » reprend tout son sens et dans cette ambiance délétère, les coups rageurs des courageux dénonçant le « matraquage fiscal » ont un écho dans l’opinion au moins aussi féroce que la protubérance des seins de Nabila. Les Jeunes Actifs de l’UMP (car à l’UMP, les assistés n’ont pas leur place) proposent même d’abolir l’impôt sur le revenu.
Déjà, dans les années 1990, la Ligue des Contribuables militait pour une suppression totale de l’impôt sur le revenu, avec, à la clé, deux arguments dignes d’un Christian Estrosi des grands soirs. Une telle réforme permettrait d’augmenter considérablement le pouvoir d’achat des ménages. Sans aucun doute. Sachant que 50% des ménages (les plus aisés) sont soumis à l’impôt sur le revenu, on imagine donc bien les bienfaits sur l’économie d’une telle réforme : Yannick Noah pourrait enfin s’acheter des chaussures, tandis que Zlatan Ibrahimovic aurait enfin les moyens de s’offrir les services chirurgicaux nécessaires à une réduction de sa cloison nasale. Plus généralement, les classes moyennes supérieures auraient enfin les moyens de s’offrir la maison secondaire dont ils rêvaient aux abords du Grau-du-Roi.
Ensuite, le deuxième argument fait tout autant valeur de prophétie : il permettrait de réduire la charge de travail considérable de l’administration fiscale (celle contre laquelle vous pestez pour la longueur des délais administratifs). Entendez : réduire le poids de l’Inquisition fiscale qui ponctionne les revenus gagnés à la sueur de leurs fronts par les honnêtes gens.
Mais ne nous moquons pas des compétences économiques de ces frondeurs. Rappelons que la seule gloire économique de ce pays s’appelle Maurice Allais, seul prix Nobel d’économie que notre nation a eu la joie de voir naître, déclarait, à propos de la fiscalité française : « Excessive, compliquée, coûteuse, inefficace, discriminatoire, injuste, génératrice de mauvais choix économiques et de fraude, souvent arbitraire et incohérente, démoralisatrice, antisociale et antidémocratique, la fiscalité d’aujourd’hui est un boulet que traîne la nation. » Rien que ça.
On dénonce aujourd’hui l’incitation à la fuite des capitaux induits par la « folie fiscale » de notre administration. Argument auquel avait déjà répondu le père de l’impôt sur le revenu en France, Joseph Caillaux. Il préconisait une action concertée des gouvernements pour empêcher ce que l’on appellerait aujourd’hui le dumping fiscal. Il est vrai que le dossier a beaucoup avancé depuis le début du XXe siècle, demandez à l’Irlande.
Vous me direz, il suffirait de baisser l’imposition des revenus en France pour parer à cet exode. Tels les Hébreux hors d’Egypte, le pauvre contribuable se retrouve donc contraint de fuir pour éviter le courroux des méchants pharaons socialistes.
Quelques précisions semblent toutefois nécessaires. Rappelons déjà que la part de l’impôt sur le revenu dans le total des prélèvements obligatoires reste inférieure de moitié à la moyenne de celle des autres pays de l’UE. Elle pèse même moins que la CSG dans les recettes fiscales de l’Etat. CSG prélevée à la source. On en revient donc à une question fondamentale en économie, celle de l’illusion monétaire. Les ménages se plaignent de l’impôt sur le revenu, car il est prélevé sur leur salaire net, alors que la CSG provient, elle, du salaire brut. Les ménages n’en voient donc jamais la couleur dans leur portefeuille.
Thomas Piketty, dans son dernier ouvrage, Le capital au XXIe siècle, montre comment l’histoire s’inscrit dans une optique schumpetérienne d’accumulation du capital : on accumule du capital sur plusieurs générations, puis, par un processus de destruction créatrice, un événement (comme la Deuxième Guerre Mondiale), vient remettre les compteurs à zéro. Nous sommes aujourd’hui arrivés au bout d’un nouveau cycle d’accumulation du capital, où les plus fortunés ne sont pas ceux qui ont créé, mais ceux dont les parents ont créé. Pensez à Liliane Bettencourt, petite fille du créateur de cette fantastique entreprise qu’est L’Oréal. A défaut de remettre tous les compteurs à zéro, la progressivité de la fiscalité en France a le mérite d’au moins atténuer ces injustices.
L’impôt est mort, vive l’impôt !
En effet, ce qui frappe les gens c’est que l’impôt est prélevé sur le salaire net. Hors, ils oublient qu’il y a déjà eu aupaarvant 2 ponctions les charges patronales et les charges sociales faisant passer un coût salariale de 190€ à un salaire net de 100€ ( source: http://www.salaire-net.fr/calculez-votre-salaire ) C’est sur cette base de 100€ qu’est prélevé ensuite l’impôt. Peut-être un prélévement à la source paraîtrait « utopiquement » plus indolore
Bel article qui dénonce bien les hypocrisies sur les impôts.
Les impôts directs sont les impôts les plus redistributifs en France,
sauf que certains n’aiment pas redistribuer.
Le capital en veut toujours plus, c’est son sport favori, peu importe
la misère du monde du moment que « ça rentre » bien et toujours de plus en plus.
Certains se plaignent des impôts directs car il faut payer et ça se voit, mais ne se rendent pas compte qu’ils sont plus justes et redistributifs que la TVA.
Bravo pour ce 1er article, qui en appelle d’autres.
Famillle d’écrivains, mieux de journalistes, ton grand-père éditorialiste à l’hebdo « Mégazine », + de 10 années de parution, je reconnais bien là, la plume légère et aiguisée, le franc parler, et les sources claires!
Bienvenu dans « ce jeu, c’est la règle ».