Les politiques d’austérité commencent à soulever une vive remise en question et celle-ci s’exprime désormais ailleurs que dans les cercles gaucho-utopistes de notre société. Il y a un an déjà, Olivier Blanchard, qui ne peut assurément pas être considéré comme un dangereux cryptocommuniste au vu de son statut d’économiste en chef du FMI, reconnaissait que le Fonds avait sous-estimé les effets récessifs de l’austérité budgétaire.
Encore une révélation qui laisse l’ensemble des économistes pantois. L’austérité budgétaire agirait négativement sur l’activité ? Vraiment, vous êtes sûrs ?
Pourtant, l’un des enseignements – pour ne pas vous faire l’offense d’employer le terme de « règle », si tant est qu’il y eût la moindre « règle » valable en économie – que l’on peut à coup sûr tirer de l’histoire économique est le suivant : la politique économique doit à tout prix éviter d’être pro-cyclique. En période de crise, une politique économique de relance et une politique monétaire ultra-accommodante peut avoir pour effet la création d’une bulle. C’est notamment ce qui s’est passé en Espagne ou en Irlande dans les années 2000. Avec les conséquences que l’on connaît. A l’inverse, en période de crise, une politique d’austérité n’a pour effet que d’aggraver la dégradation des indicateurs macroéconomiques (croissance, chômage, investissement) à défaut de permettre à l’activité de se relancer.
Logique me direz-vous. Mais alors pourquoi le choix de l’austérité budgétaire ?
La raison est aussi simple qu’absurde : conserver la confiance des marchés. S’engager sur la voie de l’austérité, c’est assurer aux créanciers internationaux la réduction des dépenses publiques, et donc le non gonflement démesuré du déficit budgétaire. C’est un peu comme un étudiant dans le besoin qui va promettre à ses parents la gestion raisonnée de son budget, les parents refusant de financer ses excès du samedi soir. Le problème étant que comme l’étudiant est incapable de rester sagement devant « On n’est pas couché » à partir de 23h, l’Etat ne peut espérer revenir à l’équilibre budgétaire en période de récession. La baisse de l’activité s’accompagne automatiquement d’une hausse des dépenses publiques (transferts sociaux, indemnités chômage, etc.) et d’une baisse des rentrées fiscales. Mais les marchés, comme les parents, sont rassurés par les engagements pris par leur débiteur. Et continuent de prêter à des taux compétitifs. Ainsi, la France n’a jamais emprunté à un si faible coût sur les marchés.
Le deuxième tenant d’une politique économique qui fonce droit dans le mur concerne le sujet épineux de l’inflation. Avec l’avènement dans les années 1980 des théories libérales, les autorités monétaires, à savoir les banques centrales, ont largement modifié l’essence même de leurs politiques. Face à l’objectif de croissance économique s’est dressé un nouvel enjeu, celui de la stabilité des prix. Directement inspirées des théories de l’orthodoxie monétaire, le spectre de l’hyperinflation a été agité dans une période où l’inflation à deux chiffres avaient des conséquences dramatiques sur l’économie, notamment celui de la perte de compétitivité des économies nationales soumises à une trop forte inflation. L’Allemagne, traumatisée par son expérience douloureuse de 1923, a largement contribué à universaliser ces thèses anti-inflationnistes. Si bien que la Banque Centrale Européenne a été bâtie sur le modèle de la Bundesbank. Résultat : le seul objectif que la BCE doit se tenir de respecter est celui de la stabilité des prix en ciblant l’inflation à 2%. Fort bien.
Le consommateur européen est donc ravi de constater qu’une telle politique a empêché aux prix de gonfler, comme le montre si bien le cas du marché de l’immobilier en Espagne. Ah non, veuillez m’excuser, les prix de l’immobilier ne sont pas pris en compte dans le calcul de l’inflation puisqu’ils sont considérés comme un « investissement ». C’est vrai que le terme d’« investissement » semble plus approprié pour qualifier les dépenses en logement sur le marché locatif parisien. Mais, je m’égare.
S’il n’y a probablement pas de remède miracle à la crise économique qui sévit aujourd’hui en Europe, une solution mériterait toutefois de retenir notre attention. Celle de l’inflation. Il n’est bien entendu pas question de revenir à une inflation à double chiffre. Mais que ce passerait-il si la cible d’inflation, au lieu de se cantonner aux sacro-saints 2% habituels, passait à 4%. Les effets seraient certainement bien moins douloureux pour les contribuables. Tout d’abord, cela permettrait de réduire automatiquement le coût réel de la dette publique. C’est l’inflation qui a notamment permis à la France de se débarrasser de son ratio d’endettement pharaonique de 200% après la Grande Guerre. Le raisonnement est simple : en empruntant à 2%, la France, en termes réels, se désendetterait avec une inflation de 4%. La remarque vaut également pour des pays dont l’endettement semble plus problématique que pour la France, comme l’Italie (133% du PIB) ou la Grèce (169%). Ensuite, on pourrait également se targuer de faire une politique empreinte de justice sociale. De justice sociale vraiment ? Mais le coût de l’inflation serait pourtant supporté par les ménages, qui verraient le coût de leurs dépenses augmenter. Pourtant, elle pourrait permettre cette fameuse « euthanasie des rentiers » chère à Keynes. Comment ? En faisant supporter le coût de l’inflation aux créanciers (qui verraient ainsi la valeur réelle de leurs créances se réduire), créanciers qui ont par ailleurs déjà largement profité de la croissance des années 2000. Au lieu de taxer l’épargne, qui semble soulever l’indignation générale, réduire son attractivité pourrait être une solution plus socialement acceptable.
On se retrouverait alors dans un scénario qui ressemblerait au suivant : l’Etat, fort d’une réduction du coût réel de son endettement, pourrait consacrer davantage de ressources à la redistribution ou à l’investissement public, ce qui profiterait ainsi aux ménages – notamment défavorisés, qui sont aussi ceux, rappelons-le, qui ont la plus forte propension marginale à consommer – à la demande effective, à la production, à l’emploi, et donc à la croissance. Les créanciers (à savoir les banques qui ont largement profité des plans de sauvetage du système bancaires ces dernières années et les épargnants, qui ne sont, jusqu’à preuve du contraire, pas ceux qui souffrent le plus de la crise) supporteraient donc le coût de la crise.
Sachant que les cigarettes et les drogues ne sont pas non pas prises en compte dans le calcul de l’inflation, l’étudiant fauché, qui se nourrit essentiellement de Lucky Strike et de cannabis pour oublier l’avenir morose qui lui est réservé, sentirait-il vraiment le coût de la hausse des prix ?

Un commentaire

  1. belle démonstration !
    qu’en est-il de l’inflation sur les vins, notamment ceux de Provence, qui dans les années 70, étaient jetés dans le Gapeau, jusqu’à la mer?
    Maintenant nos cher viticulteurs provençaux vendent leur ex-piquette, au prix du mauvais Champagne….mais c’est vrai, comme l’immobilier, la spéculation-foncière-agricole, n’est pas décomptée dans le calcul de l’inflation…..du 150% sur 30 ans! La belle affaire….
    Au plaisir de continuer à découvrir votre verve économique .