«La guerre de Troie n’aura pas lieu», de Jean Giraudoux, adaptée et mise en scène par Francis Huster au Théâtre de la Mer de Golfe-Juan, est un bon spectacle, bien joué, impeccablement cadencé, avec, en particulier, une jeune actrice, Gaïa Weiss, très juste dans le rôle d’Hélène, la femme du roi grec Ménélas enlevée par le Troyen Pâris et dont le rapt fut le prétexte de la colère des Achéens, puis de la guerre. Une seule erreur. Que Huster, dans ce préambule à «L’Iliade», dans ce prologue préhomérique qui s’achève à l’instant où va s’élever la voix de l’aède, se soit donné le rôle d’Hector, fils de Priam, général en chef des armées troyennes, mais partisan, jusqu’au dernier moment, de l’accommodement à tout prix avec l’ennemi. Et qu’il ait, par voie de conséquence, mis toute sa force de jeu, son charisme, sa domination naturelle de la scène, son prestige au service du point de vue qui, au moment de la création de la pièce, en 1935, au Théâtre de l’Athénée, faisait dire : «tout, absolument tout, vaut mieux que la guerre à Hitler et à l’hitlérisme». La pièce en est toute déséquilibrée. Les tenants du parti adverse apparaissent, par comparaison, comme des vieillards bellicistes (Priam), des soudards grotesques (Oiax), des bavards sans charme ni conviction (Démokos). Et en même temps… Cette apparente erreur n’est-elle pas le reflet du sens d’origine de la pièce ? Ce pacifisme de principe n’est-il pas le message qu’entendait porter, en 1935 et au-delà, l’auteur de «Pleins pouvoirs» et, bientôt, de «Sans pouvoirs» ? Et Huster – qui invente, en lever de rideau, un Hitler venant déclamer, en vrai, son programme exterminateur – n’a-t-il pas retrouvé, de la sorte, la vérité profonde d’un texte qui pourrait être le bréviaire de tous ceux qui, de tout temps, estiment que la paix est un bien supérieur à tous les autres – la liberté par exemple, ou la justice, ou l’honneur ? Je n’aime pas Giraudoux. Je n’aime pas ce mélange de républicanisme bon teint et d’antisémitisme bon chic bon genre dont j’avais fait, il y a trente ans, le cœur de l’Idéologie française. Mais il n’est jamais mauvais de remettre à l’épreuve ses goûts et ses dégoûts. Mieux, il est toujours bon de soumettre ses réflexes au test du réflexe adverse et de ses possibles sortilèges. C’est ce que fait, ici, Huster. Et cet autre paradoxe du comédien, cette façon de donner, comme disait Truffaut citant Hitchcock, «sa chance» au personnage d’Hector, ce désir de faire entendre pleinement une voix que l’on aimerait pouvoir, sinon dénaturer, du moins caricaturer ou désenvoûter, ce talent qui fait lui rendre la force qu’elle avait à l’époque de sa plus haute séduction, tout cela n’affaiblit pas l’idée juste mais l’affermit.
Marre de l’anti-politiquement correct. Et marre de toutes les saloperies qu’il nous faut, quotidiennement, supporter au nom de la liberté d’expression et du refus de la pensée dite unique. Dernière en date de ces vilenies : la pétition lancée, sur le Net, pour obtenir de LCP, La chaîne parlementaire, qu’elle se sépare du journaliste Frédéric Haziza au motif que celui-ci travaille aussi pour une radio juive dont le «tribalisme» (sic !) serait incompatible avec l’esprit de service public. Pour moins que cela, quand l’écrivain Renaud Camus entreprenait de compter les juifs employés par France Culture, l’intelligentsia s’était enflammée. Là, on voit ressurgir tel responsable d’un groupe néonazi dissous ; tel ancien comique reconverti dans l’antisémitisme militant ; des anciens gauchistes passés chez Le Pen puis s’en étant séparés au motif qu’il n’est plus assez à droite pour eux ; tout ce petit monde est en train de mettre le feu à la Toile, de multiplier les tweets assassins réclamant la tête d’un juif désigné comme tel, de poster des vidéos racistes dont les dizaines de milliers de «Vu» sont affichés comme autant de tonitruants bulletins de victoire ; et, face à cette marée noire (ou, ce qui revient au même, rouge-brune), face à ces miliciens du Net (ces skinheads de la sous-pensée ?), personne, ou presque, ne bouge. Faut-il fermer ces sites qui, même intellectuellement indigents, énoncent ou relaient le pire ? Faut-il les contraindre à respecter la loi qui, en République, proscrit, comme chacun sait, la libre expression de l’antisémitisme et l’incitation à la haine raciale ? Ou faut-il exiger des agrégateurs de contenus et autres réseaux sociaux dont les robots ramassent indistinctement un éditorial du Monde et une élucubration sur les «escrocs à la Shoah», qu’ils fassent eux-mêmes la différence entre opinion et appel au meurtre ? Ils en ont les moyens, non seulement financiers, mais techniques. Les Twitter, Facebook et autres Google sont parfaitement équipés pour, s’ils le veulent, refuser de reprendre un commentaire ou un message incendiaires. Et aucune fatalité technologique ne pourra être invoquée pour expliquer qu’un homme puisse, journaliste ou non, être la cible d’un lynchage électronique. La question, désormais, est posée. Et il faudra bien que l’opinion éclairée d’abord, puis les pouvoirs publics et les tribunaux, y apportent une réponse claire. Sauf à se résigner à ce que cette nébuleuse rouge-brune qui, à la façon des «sections bifteck» allemandes de l’époque de Giraudoux, n’annonce jamais que la bêtise et la haine, élise domicile dans le deep web, y fasse souche et y trouve la résonance que les médias traditionnels lui avaient toujours refusée.
Je crois en la victoire du juste sur le retors. Je crois en la force de pénétration de la parole du juste. Je la suis, cette parole. Enfin, je m’escrime à en suivre la queue de flammèche. C’est pourquoi je ne soutiendrai pas Frédéric Haziza. Je ne soutiendrais pas l’idée qu’il puisse requérir mon soutien. Une pétition est parue ce matin, réclamant à France 3 le renvoi pur et simple du responsable de Lab.Ô de France Ô. Je ne soutiendrai pas Sébastien Folin. Un pet foireux a retenti dans le studio intercommunautaire. Le problème avec ce genre de pet, c’est que ça ne part pas aussi facilement au lavage que de là où il part. Cela n’est pas mon problème. C’est un problème, assurément, sauf que je ne le fais pas mien. Il n’appartient qu’au leurre de ceux qui reconnaissent dans les largages de pétitions foireuses une odeur familière.
J’excuse Trenet. Je ne pardonne pas les résistants de la dernière heure qui me l’ont fait haïr pour un crime qu’il n’avait pas commis, celui de l’aryanophilie. Pour un accent aigu biffé à sa première syllabe patronymique, le sosie de Harpo fut soumis aux interrogatoires d’une Police secrète d’État qu’il serait négationniste de comparer avec ce que nos générations ont eu à souffrir de la gent Poulaga. À sa place, j’aurais couru, peut-être bien plus vite, et je vous prie de croire que ma hâte n’aurait signifié aucun zèle à l’endroit de mes persécuteurs, chercher chez moi les pièces d’identité invitées à sauver ma tête, que je fûs résistant — n’oublions pas que Moulin, mû par le seul souci de l’efficacité, passait pour l’un de leurs collaborateurs auprès des collaborateurs du Minable absolu — ou que je n’aie été, comme un bon paquet de Gaulois Filtre à la peur bleue, que simple rechignant. Trenet fila faire un North American Tour l’année même de la capitulation allemande. Au même moment, les collaborationnistes prenaient un couloir un tantinet plus bas pour échapper au lynchage et à l’épuration. Je ne saurais dire si j’aurais excusé Ginette Leclerc d’avoir sauvé ses miches en ouvrant un bordel de luxe dont l’effet cantharide engourdissait les méninges euphoriques des officiers ennemis. En tout cas, aujourd’hui, à cet instant précis, et parce que l’on ne peut demander, comme dit l’autre, d’héroïsme qu’à soi-même, je la comprends. Je comprends surtout que la cocotte de Ciboulette n’était pas L’Ange bleu, qu’elle n’eut pas la chance d’avoir pour pygmalion un Josef von Sternberg. Et oui, j’excuse en cela Ginette Leclerc ou Raymond Souplex, parti jouer en Allemagne dans le seul objectif de soutenir le moral des jeunes du STO, lorsque l’O de cet acronyme n’induisait pas les conséquences qu’une transgression contemporaine vaudrait pour un Français qui se rendrait coupable d’un manquement à la loi. Ce que je n’accepte pas, en revanche, c’est qu’on vienne m’affirmer qu’il leur était impossible de mieux faire. Ce qui serait désespérant. Et nocif pour les générations à venir. C’est parce que nous savons que nous sommes libres d’agir à l’exemple d’un juste ou d’un Compagnon de la Libération que le jour où le fondateur des JNR, à cheval sur son scooter, sera coursé par le micro d’un scooper avec plus d’égards que Balladur par Baffie, quelques uns d’entre nous sauront réagir comme il faut. J’excuse donc le blaireau d’hésiter entre ses ombres et ses lumières à l’heure où son courage est mis à rude épreuve. A contrario, je n’excuse pas le facho éclairé par temps de paix. Celui-ci fait le lit des dictatures qu’il précipite pour avoir su élargir sa base en la diversifiant. À ce compte-là, l’agit-prop de type Gay Pride des antigay de Roland-Garros vaut l’altermondialisme des MARIONnettes du MARÉCHAL. Ils omettent l’un comme l’autre qu’Alep a tout pour devenir la ville jumelée de cette Sarajevo cosmopolite renaissant actuellement de ses cendres à condition que ses libérateurs aient su rouvrir à temps les ciels terreux des pires décades du dernier millénaire chrétien.
Le nationalisme n’épargne personne. Au sein de la communauté scientifique, de la communauté juive, arménienne ou coluchienne, vous trouverez toujours quelque trouillard virant au communautarisme comme à une autre échelle, un citoyen privera de sa capacité à s’internationaliser la généreuse nation qu’il fonde et qui le fonde en réduisant sa tête dans l’étau isolationniste. Les Juifs de France ont conservé une communauté. Ils l’ont fait, et ce malgré leur retour du bannissement bimillénaire dont leurs aïeux faisaient l’objet au titre de déicide, parce qu’ils voulaient se souvenir de ce qu’ils étaient en vertu de ce qu’ils avaient été, après que l’on avait incessamment cherché à effacer jusqu’au support physique de leur pensée orale. Le passage à l’écriture n’a jamais fait passer à la trappe le génie de l’oralité. C’est valable pour les Juifs, mais aussi pour les Arméniens, mais aussi pour les Arabes, mais aussi pour les Russes, mais aussi pour les Chinois, mais aussi pour les Sénégalais, mais aussi pour les Français dès qu’ils accostent à Zanzibar ou à Bruxelles, et commencent curieusement de tenir à ce qu’il y a d’étrange à être né sur le bout de la langue d’Apollinaire. L’identité est une poupée russe. Sa multiplicité lui confère une étoffe ainsi qu’une plénitude.
Que les hazizophobes se tranquillisent… Haziza ne leur veut aucun mal. La radio juive où il travaille non plus, elle le prouve en recrutant un fondu de démocratie ayant élu domicile au temple de la représentation du peuple. Si Haziza, hezbollo-compatible, rameutait à tout-va sur le dos d’Al-Manar, là, vous seriez foutrement fondés à vous remuer le gris de la matière afin que votre humeur mauvaise pousse hors de sa torpeur un régime qui est le vôtre, dès lors que ce régime se serait montré laxiste envers l’un des brillants animateurs de son débat permanent. Quand Al-Manar, à travers lui, menacerait à peu près tout ce qui maintient en l’état le pacte républicain, Radio J le renforce par le fait même de la possibilité de son existence moins d’un siècle après Radio Londres. Les stations de radio communautaires juives ne sont pas un test pour les Juifs de France, c’en sont un pour la France.