L’hôpital psychiatrique de Cadillac est l’un des trois grands centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie de la région Aquitaine. Fort de 1 200 agents, il gère plus de 500 lits, et différentes structures, hôpitaux de jour, centres de consultation,* etc.
Cadillac est une campagne agréable située au sein du bassin d’Aquitaine sur la rive droite de la Garonne, qui abrite un château remarquable. L’hôpital psychiatrique fut construit à la fin du XVIIIe siècle, dans le style néoclassique. Il n’a cessé de croître et de se moderniser, jusqu’à devenir le second centre spécialisé de la région après Bordeaux.
Cadillac a vu naître des gens célèbres. Antoine Laumet de la Mothe, sieur de Cadillac, fonda en 1701 la ville de Détroit, qui devint la capitale de l’automobile aux États-Unis, d’où le nom donné à la fameuse voiture de luxe. En 2012, le pape Benoît XVI béatifia Jean-Joseph Lataste (1832-1869), fondateur cadillacais des Dominicaines de Béthanie. L’événement fut couvert par les médias. En dehors de cela, Cadillac ni son hôpital n’avaient jamais défrayé la chronique.
La chambre du patient
Quelle ne fut pas ma surprise, en ouvrant le Sud-Ouest de vendredi dernier, 18 janvier, de constater que le quotidien le plus lu de la Gironde consacrait une page entière à l’hôpital de Cadillac ?
Le titre était intrigant : « Peut-on interdire le sexe en hôpital psychiatrique ? » Le sous-titre était déjà plus explicite : « La cour d’appel a condamné le centre hospitalier de Cadillac pour avoir prohibé les rapports sexuels de façon indifférenciée à tous les patients d’une unité de soins ».
De quoi s’agissait-il ? Un patient hospitalisé à Cadillac avait demandé à la cour administrative d’appel l’annulation du règlement de son unité de soins, qui interdisait les relations sexuelles entre patients hospitalisés. Le service avait justifié son interdiction par la nécessité de protéger les patients, mais l’avocat du plaignant avait plaidé « le droit à la possibilité d’une vie sexuelle effective ». Est-ce que ce droit, demandait-il, devait « s’arrêter par principe aux portes de l’établissement psychiatrique » ?
En effet, la loi du 4 mars 2004, relative aux droits des patients, souligne qu’ils ont droit au respect de la vie privée et droit au secret. La jurisprudence identifie la chambre d’hôpital au domicile du patient : on ne peut y entrer sans son accord*. La chambre doit être respectée.
Médecine et psychiatrie
Dans le cadre juridique ainsi posé, la question de l’intimité et de la sexualité développe toute son ambiguïté quand il s’agit des services de psychiatrie. Il est, à mon sens, assez remarquable que, dans un service de médecine, il en aille autrement. Là, la question ne se pose pas en terme de sexualité. Le droit à la dignité, au respect de l’intimité, oui. Le droit à la sexualité, silence.
On dit souvent que cela tient à la durée des séjours : les séjours en médecine seraient brefs, donc l’abstinence ne serait pas problématique ; en psychiatrie, les séjours seraient par essence plus longs, et donc plus problématiques du point de vue sexuel. Cette conception ne me satisfait pas. Il est difficile de mesurer la tolérance à l’abstinence. D’un sujet à l’autre, elle est très variable dans la durée. Combien de temps peut-on attendre sans avoir de relations sexuelles ? Derrière ce raisonnement qui s’appuie sur la durée, il y a plutôt un présupposé qui touche au domaine de la psychiatrie lui-même. C’est à savoir que le patient d’un service de psychiatrie est plus qu’un autre la proie de ses pulsions, et qu’il faut en tenir compte, se montrer compréhensif. En définitive, il y a au fond de ce raisonnement le vœu que la pulsion se traite par sa satisfaction, au sein de l’hôpital lui-même.
L’idéal de la juste mesure
Qu’est-ce qui a motivé la cour administrative d’appel pour rendre son jugement ? Deux considérations. 1) Les relations sexuelles font partie des droits fondamentaux, 2) La restriction d’un droit fondamental ne peut être que « proportionnée », et ne peut être globale et concerner tous les patients du service. Autrement dit, le règlement de ce service pêchait par excès d’universalité : il voulait régler la question pour tous, là où le droit ne veut voir que des particuliers, bien « proportionnés ».
Mais enfin, que veut dire « proportionné » ? On entend un écho de la juste mesure chère aux anciens, mais est-elle applicable ici ? S’agit-il de mesurer la possibilité sexuelle à la gravité de la maladie ? Dans ce cas, le patient, déjà éprouvé, a-t-il besoin qu’un tiers (qui ? le médecin ?) statue sur cet aspect de sa vie privée ? N’a-t-il pas le droit que ceci reste, si ce n’est secret, au moins dans le non-dit ?
Le droit au sexe est d’abord le droit d’être considéré comme un sujet responsable, qui détermine sa position et ses choix quant au sexe sans le recours d’une commission qui, dans un service, fût-il de psychiatrie, déterminerait l’usage de ce droit. Je dis une commission, car on ne tarderait pas à substituer au médecin un collectif afin de garantir la « neutralité ».
Au fond, pour reprendre une plaisanterie bien connue, ceux qui sont à l’intérieur peuvent interroger à travers les grilles ceux du dehors, pour savoir si, pour eux aussi, le droit au sexe est « justement proportionné »…
Carole Dewambrechies-La Sagna, membre de l’École de la Cause freudienne, exerce la psychiatrie et la psychanalyse à Bordeaux.
* J.-L. Senon et C. Jonas, « Droits des patients en psychiatrie », Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37 900-A-10 (2004)