Le débat sur le mariage gay prend une tournure étrange et, parfois, très inquiétante.
Je passe sur les tartufes qui feignent de regretter le bon temps de l’homosexualité déviante, rebelle et qui n’aspirait pas – sic – à « entrer dans la norme ».
Je passe sur la condescendance des belles âmes pour qui « le peuple » aurait, en temps de crise, d’autres chats à fouetter que ces histoires de bobos – on n’ose dire de pédés.
Et je passe enfin sur l’affolement comique de ceux pour qui le mariage gay (rebaptisé à tort mariage « pour tous » par des partisans trop prudents et qui n’osent appeler un chat un chat…) serait la porte ouverte à la pédophilie, à l’inceste, à la polygamie.
Ce qu’on ne peut laisser passer, en revanche, c’est ceci.
1. La façon dont est perçue l’intervention des religions dans cette mêlée. Qu’elles aient, ces religions, leur mot à dire sur une affaire qui a toujours été, et qui demeure, au cœur de leur doctrine, cela va de soi. Mais que ce mot fasse loi, que la voix du grand rabbin de France ou celle de l’archevêque de Paris soit plus qu’une voix parmi tant d’autres, que l’on s’abrite derrière leur grande et éminente autorité pour clore la discussion et faire taire une légitime demande de droits, voilà qui n’est pas compatible avec les principes de neutralité sur lesquels est supposée, depuis un siècle au moins, se bâtir notre société. Le mariage, en France, n’est pas un sacrement, c’est un contrat. Et s’il est toujours possible de doubler le second par le premier, s’il appartient à chacun de nouer, s’il le souhaite, une alliance supplémentaire devant le prêtre, ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans cette affaire de loi sur le mariage gay. Nul ne demande aux hommes de foi de céder sur leur doctrine. Mais nul, en retour, ne peut exiger du citoyen qu’il règle sa conduite sur les dogmes de la foi. On croit partir en guerre contre le communautarisme – et c’est à la laïcité que l’on porte atteinte : quelle dérision !
2. La mobilisation des analystes ou, en tout cas, de certains d’entre eux censés fournir aux adversaires de la loi un argumentaire scientifique et, forts de leur propre autorité, prouver que ce projet serait porteur d’un autre malaise, mortel celui-là, dans la civilisation contemporaine. Il faut le dire et le redire : la science freudienne n’est pas un scientisme ; l’ordre symbolique à l’œuvre dans l’inconscient n’est pas un ordre biologique ; et faire du complexe d’Œdipe l’autre nom du triangle bien connu des services familialistes (papa, maman et moi – cette « petite famille incestueuse » de l’ordre hétérosexuel dont parlait Michel Foucault…) fut sans doute un péché de jeunesse de la psychanalyse, mais voilà beau temps qu’elle l’a conjuré et qu’il n’y a plus un praticien sérieux pour réduire filiation et transmission à des questions de pure « nature ». Lisez la littérature sur le sujet. Pas d’indication suggérant, par exemple, une prédisposition à l’homosexualité en cas d’adoption par un couple gay. Pas d’effet pervers particulier généré par l’arrachement à un orphelinat sordide et le transfert dans une famille mono ou homoparentale aimante. Et, si trouble il y a, il semble bien que le regard porté sur l’enfant par une société imprégnée d’homophobie soit infiniment plus perturbant que l’indistinction apparente des rôles dans la famille ainsi composée…
3. La famille, justement. Cette sacro-sainte famille que l’on nous présente, au choix, comme le socle ou le ciment des sociétés. Comme si « la » famille n’avait pas déjà toute une histoire ! Comme s’il y avait un et non plusieurs modèles de famille, presque homonymes les uns des autres, se succédant de l’Antiquité à nos jours, des siècles classiques aux siècles bourgeois, de l’âge des grandes disciplines (où la cellule familiale fonctionnait, effectivement, comme rouage de la machinerie du contrôle social) à celui de ce « droit à la poursuite du bonheur » dont parlait Hannah Arendt dans un texte de 1959 sur les « unions interraciales » (et où le mariage devient un lieu d’épanouissement et de liberté pour le sujet) ! Et comme si la banalisation du divorce, la généralisation de la contraception ou de l’IVG, la multiplication des adoptions et des familles célibataires, le fait qu’il y ait, aujourd’hui, plus d’enfants nés hors du mariage qu’issus de couples mariés, la disjonction, enfin, et pour tous, du sexuel et du conjugal n’avaient pas ébranlé le modèle traditionnel bien au-delà de ce que fera jamais une loi sur le mariage gay ne touchant, par définition, qu’une minorité de la société !
La vérité est que les adversaires de la loi ont de plus en plus de mal à dissimuler le fond d’homophobie qui gouverne leur discours.
On préférera, ici, une position de dignité (car fondée sur le principe d’universalité de la règle de droit), de sagesse (parfois, le droit est là pour prendre acte d’une évolution que le pays a déjà voulue et accomplie) et de confiance dans l’avenir (qui sait s’il ne reviendra pas aux gays mariés, non d’appauvrir, mais d’enrichir les arts d’aimer et de vivre d’une société à laquelle ils ont, depuis un demi-siècle, déjà tant apporté ?).
Puisse le législateur décider sereinement et sans céder ni à la pression de la rue ni à l’intimidation des faux savants : il y va, en effet, mais pas dans le sens que l’on nous dit, de l’avenir de cette belle illusion qu’est le vivre ensemble républicain.
J’en appelle à l’esprit d’amour du père de Guillaume. À son puits de paradoxe jouissif dépressif. Je lui dis que je l’aime, et donc, qu’il me déçoit. Je lui demande s’il voit la scène de Torn Curtain où Newman vient à bout d’un gestapiesque officier de la Stasi de façon sensiblement moins expéditive qu’on avait jusque-là coutume de se représenter un meurtre sur grand écran. Je lui demande s’il a déjà vu une femme se faire violer, collectivement ou individuellement, ce n’est pas la même chose. Dans le premier cas, on peut imaginer qu’elle abandonne très vite sans pour autant s’abandonner au nombre de ses bourreaux. Dans le second, elle se figera sans doute sous la pression d’une main étrangleuse, égorgeuse, explosive, elle-même soutenue par une menace de mort expéditive. Un homme nu, qui de surcroît s’est confisqué une main qu’il assigne à maintenir la porte derrière laquelle il est censé séquestrer sa victime, cet homme-là, on le griffe, on le cogne, et d’abord au visage. Et cet homme, il assomme bien avant qu’on l’ait assommé, il couvre sa proie d’hématomes et lorsqu’il paraît devant les caméras du monde entier quelques heures plus tard, son visage tuméfié ne passe pas inaperçu. Aujourd’hui, je demande à celui qui chercherait à s’acheter une conduite auprès de la première industrie cinématographique mondiale après une interview inoubliable où il révélait avoir dans sa jeunesse participé à un viol collectif, passivement avait-il ajouté devant le tollé général, je lui demande, à cet homme qui a vécu, à cet homme qui a du vécu, de la matière, de l’authentique à pétrir comme un Rodin que l’apostérité des spoliations épargnait jusqu’à ce qu’un comédien lui fasse rendre gorge, et l’Odieux sait s’il eut à se faire pardonner, le bougre, auprès des femmes, par le truchement d’une seule, et non des moindres! je le supplie d’être à la hauteur de ses personnages d’antan. De se renifler. De se sentir. De se savoir n’être pas tout à fait à la hauteur d’une situation impossible. Je lui demande de ne pas projeter sur l’image paternelle tous les reproches que put avoir à exprimer ce fils entouré de substituts d’exception, cette rancune qu’on peut avoir à l’endroit d’un père qui, disait-il, ne savait pas… à commencer par l’être. Je demande à celui auquel on vient de proposer un poste de ministre de la Culture dans l’ex-empire où le vrai batiouchka des fils Karamazov fut délié du poteau de son exécution, je l’implore, maintenant, de cesser d’être un fils. De ne plus rechercher un père dans l’homme fragile, dans l’homme faible qui lui ressemble comme une goutte de pinard à une autre. Et retrouvant l’esprit, que la première vision suscitée au bruissement des pages de son passeport tout neuf ne soit pas un coup de bite dans le dos d’un jamais candidat au titre de Petit père des peuples, mais un coup de botte dans le bide de son nouvel ami, lequel a bel et bien séquestré et séquestre toujours non pas une, ni deux, mais trois, et puis, non, finalement ce sera deux jeunes femmes ayant eu le malheur d’aller se faire bronzer sous le soleil de Satan, je veux dire, de défendre la cause des femmes, des homos et des trans chez les alliés d’un régime qui qualifie le notre, celui de notre France dont la capitale des terres qu’il administre a pu élire son maire après un coming out, de Grand Satan. Quelle est la cause de l’amnésie dont la génération Des Valseuses nous frappe? Quelle saugrenue pudibonderie chez ces érotomanes vieillissants au charme devenu inopérant, quoique… En fait de fin baiseurs, n’y avait-il là qu’une bande de branleurs? Les mêmes qui hier encore nous faisaient la leçon sur les vertus du triolisme, de l’échangisme ou du gang bang réagissaient avec moins d’indulgence qu’une assemblée de carmélites en découvrant les pratiques libertines, un brin sado-masochistes, préromantiques en diable, mortelles indubitablement de ce Valmont moderne et de sa séduisante camarade de jeu. Le monde progresse. Rien ne lui barrera la route. Il fut ce qu’il fut. Il sera ce qu’il sera. À symbole, symbole et demi. L’institution du mariage orientait le projo sur le principe d’altérité sexuelle prévalant pour la reproduction d’une individualité humaine. L’ouverture de cette institution préhistorique aux personnes de même sexe affirmera qu’avant d’être l’union de deux corps, l’union de deux êtres pour l’éternité nécessite deux âmes détachables, en principe asexuées, avant de même qu’après incarnation. Peut-être faut-il y voir un signe de notre progression dans la sainteté…
Monsieur Lévy, je ne suis pas toujours d’accord avec vous, mais voilà un texte de vous qui me plaît tout à fait par la justesse de son ton et de son propos.
J’ai deja mis un post sans avoir lu le texte, et Mr LEVY, je ne changerai rien de ce que vous ecrivez. Je souscris completement a votre propos. Les homosexuels ont des devoirs envers la societe, comme ils ont des droits et ces droits, puisque nous sommes en democratie, doivent etre les memes que ceux des heterosexuels. Est-ce par que Jean-Jacques veut epouser Pierre, que Marie veut passer la bague au doigt de Christine, que mon mariage perd de son authenticite , de sa valeur. Que mon engagement sera devalue. Mon engagement sera comme moi je le deciderai, et ce n’est pas le mariage des autres qui fera que mon mariage sera heureux ou malheureux, c’est ce que j’en fait moi, qu’il sera beau, precieux. Patricia