L’analyse du discours suscite l’attention de l’opinion lorsqu’elle traite de discours politiques. C’est bien naturel : après tout, en démocratie, les candidats parlent et les électeurs votent : on échange des paroles contre des voix [1]. C’est donc dans la capacité de chacun à décrypter, à analyser le discours politique que se trouve la clé d’une citoyenneté plus aiguisée.
Mais aux côtés du discours politique, il existe d’autres types de discours qui peuvent être intéressants à étudier. Le discours présente en effet une immense vertu ; parce qu’il condense toutes les forces en présence dans une société, il est un formidable révélateur de notre temps. En tant qu’objet d’étude, la parole ne ment pas.
De ce point de vue, le discours du sportif est un objet passionnant. Parce que le sport est populaire et accessible, analyser le discours du sportif revient à s’intéresser à la parole de l’acteur principal du fait social le plus universel. Le discours du sportif, pour peu que l’on prenne le temps de l’étudier, nous offre donc une vue imprenable sur l’époque.
Paradoxalement, si le sport est une activité ancestrale, le discours du sportif est un objet relativement neuf. Aucun sportif antique ne nous a laissé ses mémoires, et on ne trouve que très exceptionnellement traces de paroles de sportifs dans la presse avant la fin du 19ème siècle [2].
La parole du sportif apparait donc avec le développement des médias : pendant longtemps l’on n’attendait pas du sportif qu’il parle, mais qu’il l’emporte. Plus que sa parole, ses actes parlaient pour lui. Le sportif ne parlait pas, il était parlé par ses performances.
Interview du sprinteur tout essoufflé, réactions du tennisman encore sur le court, commentaires du skipper engagé sur une course : force est de constater que la chose a considérablement changé. La parole du sportif est devenue toute aussi importante pour son succès que ses exploits.
Schématiquement, le sport semble être vu de deux manières distinctes et complémentaires. Il est d’une part un idéal d’humanisme, qui exalte les valeurs d’effort, d’intégrité, de respect de l’adversaire. Cette vision, renouvelée à la fin du XIXe siècle par le Baron de Coubertin, reste encore très vivace dans l’ambition placée dans le sport par les institutions. Cela s’observe notamment dans la multiplication des chartes en tous genres, dans le rallongement des rituels d’avant-rencontres (entrée avec des enfants sur un terrain de football, cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, etc…) ou encore dans la mise à contribution de sportifs dans les campagnes de promotion des politiques publiques. Dans cette vision, l’athlète est dépositaire de l’humanisme.
Une autre approche voit plutôt le sport comme le reflet de la société et donc des valeurs dominantes d’une époque. Dans la Grèce Antique, le sportif était étroitement lié aux rituels religieux et l’éducation sportive très encadrée. Toujours selon cette vision, le sport contemporain serait donc celui de l’hypermédiatisation, de la prouesse technologique et de l’argent-roi.
Ces deux approches complémentaires permettent de cadrer le discours du sportif. En effet le sportif, pourvu qu’il parle de sport, articule systématiquement son discours dans cette tension entre ces deux dimensions parfois antagonistes.
Et les meilleurs sportifs ne sont ainsi pas seulement capables d’exploits. Ils savent aussi parler de leur activité en alignant leur discours aux valeurs dont ils sont censées être les dépositaires, et cela sans faire l’impasse sur les questions posées par la modernité.
Prenons par exemple cette interview récente de Zlatan IBrahimovic, nouvelle recrue de l’équipe de football du PSG et sans doute, l’un des meilleurs attaquants au monde.
Ibrahimovic n’est pas seulement un redoutable buteur, c’est aussi un formidable rhéteur. On lui parle des sommes faramineuses dépensées par les investisseurs qataris dans son nouveau club ? Il les met en lien avec l’ambition exceptionnelle et la recherche de performances inédites. On rapporte ses 7 buts en 5 matchs ? Il répond travail de ses coéquipiers. On évoque l’accueil des supporters ? Il argue passion pour le sport et goût de l’effort.
Autre exemple, avec Roger Federer, qui est le tennisman a avoir occupé le plus longtemps la première place du classement ATP. L’interview suivante se fait au sortir de sa 7ème victoire du tournoi de Wimbledon en juillet dernier.
L’intervieweur l’interroge sur sa satisfaction d’une victoire qui lui permet de récupérer la place de numéro 1 mondial. Il y répond par la satisfaction d’avoir réussi à se dépasser lors d’un match qu’il décrit très difficile.
Dernier exemple, avec cette interview de Guillaume Nery, champion du monde 2011 d’apnée en poids constant et hauteur d’un court métrage vu plus de 10 millions de fois sur le net Free Fall. Il y parle de la nécessité de communiquer pour médiatiser son sport et reconnait lui-même « C’est la particularité des sports peu reconnus : si on veut pouvoir en vivre, le travail en dehors de l’eau est tout aussi important que la performance. »
Aujourd’hui le sportif doit savoir y faire autant que faire savoir. Il a la charge de la performance et doit soutenir le buzz. La multiplication des danses d’après but chez les footballeurs, le geste fétiche d’Usain Bolt à l’issue de ses plus éclatantes victoires et les calendriers de rugbymen nous le rappellent régulièrement. Le sport est un show médiatique, et les meilleurs sportifs sont aussi les meilleurs showmen.