« Avec un sens inné du calendrier, une fine appréciation du climat politique et le goût d’être populaire, je publie, le 2 octobre prochain, un Dictionnaire amoureux des Juifs de France. »

L’auteur de ce message, adressé à la presse, est l’essayiste Denis Olivennes.

Et il faut dire qu’il faut beaucoup de culot, pas mal d’audace et un vrai goût de la bagarre intellectuelle pour donner, ces jours-ci, au sommet de la vague de haine qui déferle sur le monde et, en particulier, sur la France, cette défense et illustration du judaïsme français.

On y découvre, dans le désordre – c’est-à-dire au gré d’un ordre alphabétique qui a, comme toujours dans cette collection de « Dictionnaires amoureux » (Plon), le charme des hasards objectifs, des coïncidences magnétiques et des rencontres buissonnières – toutes sortes d’informations passionnantes.

Que Michel Lévy, fils d’un colporteur juif de Lorraine et « libraire » de Baudelaire, fut, avant Bernard Grasset et Gaston Gallimard, l’inventeur de l’édition contemporaine.

Que le Ford français, père de notre industrie automobile nationale, est né André Limoenman, s’est rebaptisé André Citroën, et qu’il est question, depuis l’an dernier, de le faire entrer au Panthéon.

Que Racine, en faisant représenter, le 26 janvier 1689, à Saint-Cyr, un « divertissement de couvent » intitulé Esther, introduisit l’esprit de Pourim à la cour de Louis XIV.

Que ni Nostradamus, ni Harry Baur, ni Honoré d’Estienne d’Orves, le héros de la France libre fusillé au mont Valérien, ne sont étrangers au génie du judaïsme et à ses généalogies silencieuses.

Que Julien Benda, fermant les yeux quand il traversait les paysages géométriques du Berry et ordonnant à son chauffeur « décrivez ! décrivez ! », était, lui aussi, comme Georges Mandel ou Victor Basch, un amoureux fervent de la France.

Ou que Bernard de Clairvaux, lançant la deuxième croisade et voyant que les pogroms menacent à Mayence et à Cologne, condamne leur instigateur, le moine Raoul, comme l’« instrument du diable ».

Qui est le véritable inventeur de l’antisémitisme moderne, demande encore Olivennes : Édouard Drumont, vraiment, ou, dès 1845, le méconnu Alphonse Toussenel, auteur des Juifs, rois de l’époque ?

Est-il vrai, comme on en plaisantait dans sa jeunesse, que la langue vernaculaire du principal groupuscule trotskiste, celui de son ami Henri Weber, était le yiddish et que les seuls à ne pas le comprendre étaient les Séfarades ?

Qu’est-ce qui l’emporte chez le général de Gaulle, du maurrassisme de souche qui revient avec la fameuse apostrophe au « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » ou de la gratitude quand, en 1940, attendant « la France des cathédrales », il voit surgir « celle des synagogues » ?

Dans quel esprit Serge Gainsbourg composa-t-il, en 1967, « Le Sable et le Soldat », qui était un hymne à Israël – et est-il vrai qu’il s’efforça, par la suite, d’occulter ce geste de solidarité magnifique ?

Qui était Edmond Fleg et inventa-t-il (avec Pourquoi je suis juif) le sionisme français ? Qui était Monsieur Chouchani, le seul authentique génie (avec Martin Heidegger) qu’Emmanuel Levinas disait avoir rencontré ? Et d’où vient que, de Max Baer à Alphonse Halimi, en passant par Young Perez, le XXe siècle ait vu tant de Juifs champions de boxe ?

L’auteur de L’Esprit du judaïsme aurait peut-être aimé que l’essayiste s’intéressât encore davantage à ce vigneron français qu’était Rachi et qui fut l’un des inventeurs de la langue française.

Ou au rôle de ce juif fantôme qu’était Proust et qui, au moment où Rimbaud, Mallarmé, Valéry, Lautréamont, Raymond Roussel, Dada font chacun l’expérience des manières les plus géniales d’assécher la langue française, l’irrigue à nouveau, l’électrise, la ressuscite.

Ou aux « vies parallèles », façon Plutarque ou Marcel Schwob, d’un Joseph Kessel à l’aise dans son être-juif et d’un Romain Gary suffoquant dans le sien.

Ou à ce que furent, vraiment, les apôtres du franco-judaïsme découvert, à l’adolescence, dans la famille de son « petit camarade » Olivier Nora : la « haute aristocratie » saluée par le prince de Ligne dans son Mémoire sur les Juifs ? les frères en esprit de la noblesse dépossédée, décimée, jetée sur les routes d’Europe, dont le Chateaubriand d’Itinéraire de Paris à Jérusalem était le survivant ? ou les fossoyeurs d’un savoir immense réduit à une version à peine sophistiquée de la Déclaration des droits de l’homme et de l’esprit de 1789 ?

Mais ces regrets pèsent peu face à l’ampleur du projet et à la maîtrise de l’exécution.

Faire tenir en un même livre la mémoire des tossafistes de Champagne et des rabbins de Provence, l’histoire ignorée de Rouen la Juive et la contribution du Strasbourgeois David Sintzheim aux « décisions doctrinales » du Sanhédrin convoqué par Napoléon, la redécouverte de Léon Gozlan, ce bel écrivain juif d’Algérie qui inspira Balzac, impressionna Barbey d’Aurevilly et suggéra à Mallarmé un pseudonyme de jeunesse, est une prouesse.On ne fait pas mieux pour rappeler aux ignorants, une fois de plus, que la France sans les Juifs ne sera

2 Commentaires

  1. A noter aussi « Un juif nommé Jésus » Une lecture de l’Evangile à la lumière de la Torah, livre de Marie Vidal, chez Albin Michel, 1996.
    Bernard de Clairvaux et tant d’autres n’auraient pas existé sans Jésus le Nazoréen, qui était juif, est juif et sera toujours juif.

  2. Il va me falloir consulter ce dictionnaire pour vérifier qu’y sont bien salués et dépeints, Marc Bloch, Vladimir Jankélévitch, Claude Lévi-Strauss et beaucoup d’autres auxquels je ne pense pas en ce moment, mais sans lesquels je me sentirais misérable.