Rien d’étonnant ; les écrivains les plus inconcevables et les plus singuliers de tous les temps étaient (ou sont encore) ignorés. Comme Thoreau, Kafka – qui, peu avant sa mort, demanda à son ami Max Brod que toute son œuvre (inédite) soit détruite –, Echegaray, Simon Leys ou Feliciano de Silva, dont les leurs sont d’une prodigieuse profusion. Leurs curriculums sont leurs devises et leurs oriflammes.

Le prix Nobel de littérature fut décerné à Echegaray, passionné de sciences : le quatrième de l’histoire et le premier espagnol. Vers la fin de sa vie, il écrivit 28 volumes de physique mathématique. Peu avant de s’occulter il déclara :

« Je ne veux pas mourir, car je dois terminer mon encyclopédie de physique mathématique ; il me faut au moins 25 ans. »

Dans l’arène ibérique, les plus éminents considèrent qu’il s’agissait d’un accident : comme si la Dame d’Elche avait eu les jambes plâtrées. Ipso facto, les plus virulents d’entre eux l’ont fustigé avec un manifeste. Comme si cela ne suffisait pas, ces enragés ont, scandalisés, rappelé l’article de ce surdoué sur l’Inquisition, intitulé La Corde de Lavapiés. Les manifestants, avec force insultes, l’ont dénigré, affirmant qu’« Echegaray représente une Espagne rongée par les préjugés et la supercherie. »

Durant mon adolescence à Madrid, la farce Un drame d’Echegaray, ay! a connu un grand succès. À l’époque, certains ne réfléchissaient pas, de peur d’être influencés. La première du pamphlet a eu lieu plus tard au théâtre Calderón de Barcelone, avec les meilleurs, Fernando Fernán-Gómez et Isabelita Redondo. Le lavage de cerveau n’est rien ; ensuite il faut le sécher.

Ayant appris qu’il y avait un buste d’Echegaray à la Banque d’Espagne (une institution qu’il a créée), je m’y suis rendu deux fois avec des amis pour tenter de lui rendre hommage. La première fois, nous n’avons même pas pu franchir le seuil. Ils étaient tolérants, sans plus.

L’auteur est né cent ans avant moi. Dès l’âge de 42 ans, il a écrit près d’une centaine de pièces de théâtre et plus d’une centaine de sonnets. Il a toujours gardé une attitude distante envers sa littérature, malgré l’admiration de Luigi Pirandello, August Strindberg, Bernard Shaw, entre autres. Au royaume des aveugles, les chiens guides sont rois. Ses pièces, comme Soit la folie, soit la sainteté, furent jouées dans le monde entier. Il ne se considérait que comme un homme de science. En réalité, Bouddha n’est jamais entré dans une pagode.

Avec Echegaray, c’est le début « des mathématiques et de la physique écrites des XIXe et XXe siècles » (selon Rey Pastor). Dommage qu’il n’ait pas été joueur d’échecs. En 1907, sur proposition du prix Nobel Ramón y Cajal, l’Académie des sciences a créé la « médaille Echegaray », en revanche il ne reste rien de Mao ; même la Grande Muraille ne lui appartient plus.

« Arrabalesques » par et pour les plus inconcevables et singuliers

« …puis-je maladroitement m’accommoder de la prospérité ? »

« …dois-je commencer par m’aimer ? »

« …chimie diabolique, voire nucléaire, des nombres ? »

« …l’inquiétude et l’angoisse peuvent-elles suivre leur propre chemin ou s’allier pour me combattre ? »

« …le meilleur chemin, celui que j’abandonne ? »

« …courtois consul Claudel à Prague, si savant ? »

« …les continuistes gardent-ils leurs ordures ? »

« …puisque le temps est immobile, je cours après lui ? »

« …je pense et je fuis ? »

« …ma déchéance me fait-elle plus de peine que mes fières acquis ? »

« …devrais-je ne pas improviser mes fatalités ? »

« …un autre espace, est-ce ici ? »

Photo

Fernando Arrabal est assis sur un rouleau tandem dans une rue de Paris.
Fernando Arrabal, à Paris, été 2025.