Dans le théâtre brutal que sont devenues les relations internationales en ce premier quart du vingt-et-unième siècle, il est exceptionnel qu’une simple rencontre change la dynamique d’une guerre.
Le 26 avril 2025, dans de la basilique Saint-Pierre, un basculement silencieux s’est dessiné.
Volodymyr Zelensky, Président d’une Ukraine meurtrie par trois ans de guerre, rencontrait Donald Trump à Rome, en marge des funérailles du pape François.
Un événement riche en symboles : François, souvent critiqué pour ses indulgences diplomatiques envers Moscou et sa tiédeur affichée pour Kyiv, avait offert à l’Ukraine un ultime salut papal, tardif mais sans ambiguïté : la conversation entre Zelensky et Trump a attisé tous les regards.
C’est dans cet entrelacs de deuil et de diplomatie qu’a eu lieu un échange d’une rare intensité : à l’écart des caméras, débarrassé des filtres habituels – ni Vance, ni Bessent, ni Witkoff pour surveiller, déformer ou diluer le message –, courbés l’un vers l’autre à presque se toucher, Zelensky s’adressait d’homme à homme à Trump, dans la nudité d’un dialogue dépouillé de toute mise en scène, excepté le choix des lieux vaticanesques, eux de la plus haute solennité.
De cet entretien est née une image saisissante, destinée à faire date : deux hommes face à face, chacun chargé du destin d’une partie du monde.
À la sortie, Zelensky répondit sobrement aux journalistes : « Bonne rencontre. (…) Nous espérons un résultat, de tout ce qui a été dit. La protection de la vie de nos citoyens. Un cessez-le-feu complet et inconditionnel. Une paix durable et fiable qui empêchera une nouvelle guerre. »
Aucun triomphalisme, aucune émotion affichée. Seulement l’énonciation méthodique d’objectifs invariables, inscrits dans la chair de son pays, l’Ukraine, confrontée à une guerre d’agression.
Ce même jour, en écho à cet échange, Trump publiait sur son réseau Truth Social un message loin de la bienveillance stratégique qu’il avait jusque-là cultivée vis-à-vis de Moscou : « Cela étant, il n’y a aucune raison pour que Poutine tire des missiles sur des zones civiles, des villes et des villages, comme il l’a fait ces derniers jours. Cela me fait penser qu’il n’a aucune envie de mettre fin à la guerre, il me balade simplement, et il doit être traité différemment, par des sanctions bancaires ou des sanctions secondaires. »
Pour la première fois depuis des mois, Trump désavouait publiquement Poutine. On n’en goûtait que mieux les messages adressés à son homologue moscovite, auquel le président américain avait intimé quelques jours plus tôt un comminatoire : « Vladimir, STOP ! »
Le président ukrainien aura su trouver, aux lendemains de l’altercation de février à la Maison blanche, les mots justes, simples, directs, incontestables.
Ce retournement partiel ne fut ni improvisé ni conjoncturel.
Il fut l’aboutissement ponctuel d’une stratégie diplomatique de longue durée, initiée après la désastreuse rencontre du 28 février 2025 à Washington, où, confronté à un Trump offensif et cynique, Zelensky refusa obstinément les propositions de compromis territoriaux, en affirmant sans emphase ni éclat : « La souveraineté de l’Ukraine n’est pas à vendre. »
Ce jour sombre de février, l’équipe de Trump transformait la rencontre avec Volodymyr Zelensky en un exercice de boxe diplomatique, cherchant à forcer des concessions territoriales et économiques sur fond de soutien militaire conditionnel.
Loin d’aborder la situation ukrainienne comme un enjeu stratégique global – frein à l’expansionnisme russe ; garanties pour la stabilité européenne – Trump et ses conseillers tentaient de réduire la guerre à une stricte transaction politique. Face à un Zelensky épuisé par trois ans de guerre, venu défendre la survie de son pays, ils choisirent l’humiliation tactique. Ils avaient juste sous-estimé la résilience d’une nation qui avait depuis longtemps, à travers un petit homme de fer, cessé de négocier son droit à exister.
Tout, en ces heures cruelles semblait jouer contre Zelensky : un Trump conquérant, exigeant de l’Ukraine des concessions territoriales unilatérales, le partage inique des terres rares ukrainiennes en paiement de l’aide américaine, évoquant la Crimée comme « jamais vraiment ukrainienne », laissant filtrer des projets d’accords économiques avec Moscou.
Alors que les pressions américaines s’accentuaient de plus belle pour « réaliser la paix » au prix d’une partition de fait de l’Est ukrainien, Zelensky fit le choix tactique de la résistance froide, usant du temps diplomatique comme d’un levier pour bloquer des accords commerciaux désavantageux sur les métaux rares, évitant soigneusement de s’engager dans une spirale polémique face aux accusations d’ingratitude proférées par Trump en toutes occasions.
Cette aptitude à désamorcer les provocations tout en conservant le ministère de la parole sur la scène internationale témoigne d’une intelligence géopolitique rarement observée parmi les chefs d’État contemporains. Refus de jouer la carte victimaire qui lui tendait les bras ; rejet du registre émotionnel en direction de l’opinion mondiale, scandalisée par le pugilat trumpiste à la Maison blanche. Mais bien plutôt une stratégie d’indifférence vis-à-vis de l’agresseur, l’absorption de chaque surenchère verbale sans réaction à chaud. Jusqu’à contraindre les pugilistes de la Maison blanche à reconfigurer leurs options sous l’effet du vide tactique ouvert sous leurs pas tonitruants.
Imperturbable, Zelensky continuait, au fil des entretiens dans la presse internationale, à afficher son positionnement moral et politique sans céder un pouce de terrain au mauvais tuteur qu’était devenu Trump à visage découvert.
La constance de ces affirmations, qui faisaient fi des éructations du locataire de la Maison Blanche, coupait le souffle aux prudents partenaires européens, à chaque fois.
Lorsque Trump, en meeting, accusa d’ingratitude Zelensky, l’intéressé répondit sans l’ombre d’une polémique : « Nous sommes reconnaissants pour chaque soutien, mais la liberté d’une nation n’est pas sujette à gratitude conditionnelle. »
Dans un monde habitué à la surenchère émotionnelle, Zelensky choisit la froideur stratégique. Il n’aura joué ni la victime, ni le provocateur, mais, faisant preuve d’un sang-froid constant, il s’est maintenu, « droit dans ses bottes », chef de guerre sans états d’âme, dépositaire des intérêts supérieurs de sa nation. Mesurées à cette aune, les avanies ne comptaient pas.
Tandis que la guerre continue dans toute son horreur, l’Ukraine, sortie indemne de la tourmente trumpienne et consolidant sa position diplomatique, reste fragile.
Même si les livraisons d’armes américaines se poursuivent ainsi que les renseignements stratégiques, aucune aide future n’est actuellement négociée.
Trump reviendra-t-il a minima sur son refus de vendre les systèmes vitaux de protection du ciel que sont les « Patriots », ces armes défensives qui seraient autant d’assurances-vie pour des milliers d’Ukrainiens épuisés ?
Volodymyr Zelensky n’a pas seulement résisté, il a déplacé la nature même des rapports de force. En refusant les concessions territoriales comme horizon de paix illusoire, en privilégiant la constance sur la réaction immédiate, il a transformé une situation de dépendance asymétrique en un partenariat conditionné par des principes, non par des caprices ou des sautes d’humeur.
Dernier venu dans une ère géopolitique marquée par l’instabilité émotionnelle des démocraties et la brutalité calculée des régimes autoritaires, le Président ukrainien rappelle que la solidité stratégique repose d’abord sur la capacité à inscrire ses décisions dans le temps long, au-delà des aléas de l’heure.
La guerre n’est pas finie, et l’histoire reste ouverte. Mais, grâce à la rigueur de son président, à son refus d’entrer dans les jeux de dupes, l’Ukraine a conservé son intégrité, son honneur et, surtout, sa capacité à chasser l’envahisseur.
À la fin, ce ne sera ni la force brute, ni le cynisme rusé qui décideront de l’issue de la guerre, mais la ténacité, rare et précieuse, de demeurer fidèle à un horizon stratégique, quand tout incitait à la soumission et à l’abandon.
Dans cet art difficile, Volodymyr Zelensky est en passe de l’emporter.
Admirable article et convaincante démonstration. Face aux invraisemblables et consternantes dérives de l’immense majorité de nos médias voici une réflexion bienvenue. Perçante et juste. A confronter avec tant d’analyses creuses de pseudo-experts géopolitologues ou anciens diplomates/ambassadeurs. Merci madame.