Faut-il revenir sur la tragique séquence dont le Bureau ovale de la Maison-Blanche vient d’être le théâtre ?

La violence de Trump et Vance.

L’insigne vulgarité de leurs arguments.

Le spectacle, toujours misérable, de la haine de la grandeur et, en la circonstance, de l’héroïsme.

Cette façon de traiter en mendiant le représentant d’un peuple qui offre à l’Occident, c’est-à-dire à l’Europe et aux États-Unis, son sang, son âme et son courage.

Cette manière, ensuite, quand ils pensèrent l’avoir bien assommé, de lui demander de s’excuser – mais de quoi ? de s’être battu pour eux ? d’avoir résisté à leur place et à la nôtre ? d’incarner avec tant de dignité, et au prix de tant de souffrances, la première ligne de défense d’un monde de liberté auquel Poutine a déclaré une guerre à mort ?

C’est en Ukraine, dans le Donbass, près de Pokrovsk, que j’ai regardé ces images.

J’étais en compagnie de soldats qui croient en l’Amérique, qui l’aiment et qui lui savent gré de les avoir si puissamment aidés, avec l’Europe, depuis le début de l’invasion.

J’ai vu la stupéfaction de ces hommes.

J’ai senti leur insondable chagrin.

Mais il y avait aussi, sur leurs visages, une secrète fierté : celle d’avoir élu un président qui répondait à l’offense par l’élégance et dont ils savaient, à cet instant, que la planète entière admirait le sang-froid, la sagesse, la noblesse.

Le problème, dès lors, est celui de l’aide à l’Ukraine que Monsieur Trump, ajoutant le crime à l’outrage, vient, ce lundi, de geler.

Peut-être, conscient du tollé mondial qu’il déclenche, reviendra-t-il sur sa décision.

Mais personne n’est plus dupe de ce qu’il pense et veut.

Et nul ne doute plus que trône à la Maison-Blanche un homme qui, pour parodier le mot de Pierre Laval, souhaite la victoire, non de l’Allemagne, mais de la Russie.

Se trouvera-t-il d’autres alliés pour se substituer à lui ?

Une autre coalition est-elle concevable qui livrerait au Churchill ukrainien les armes sans lesquelles le sacrifice de son peuple serait vain ?

Le sommet en demi-teinte qui s’est tenu à Londres, ce dimanche, n’incite guère à l’optimisme.

Et il n’était pas rassurant d’entendre l’hôte de l’événement, le Premier ministre Keir Starmer, répéter, une fois de plus, que rien n’était possible sans les États-Unis et que s’il envisageait boots on the ground et planes in the air ce n’était pas pour aider l’Ukraine à l’emporter mais pour préserver un cessez-le-feu dont les termes lui auraient été imposés.

Mais on entendit, en même temps, de belles déclarations du Premier ministre polonais, Donald Tusk, et du président du Conseil européen, Antonio Costa.

On écouta le président français, Emmanuel Macron, rappeler que l’on ne saurait confondre agresseur et agressé et que l’on doit le respect à un chef d’État qui se bat avec tant de panache.

Et, ailleurs, partout ailleurs, dans cette Afrique, cette Asie ou ces autres Amériques absurdement regroupées sous la bannière d’un « Sud global » qui n’a jamais existé que dans l’imagination d’une poignée de commentateurs pressés, l’on vit un très léger mouvement commencer de s’opérer : un Lula, par exemple, avait des indulgences pour la Russie au nom d’un anti-impérialisme mal compris et la parait des vertus que l’on prête, par habitude, aux ennemis de ses ennemis – mais quid des ennemis devenus amis ? et comment continuer de se laisser associer à un Poutine faisant désormais cause commune avec Donald Trump ?

La carte des puissances se redessine.

L’empire involontaire, récalcitrant, des États-Unis se couche devant les nouveaux empires et se résout à leur appétit.

Il n’est pas exclu que cette tectonique des plaques accouche, in fine, d’un monde plus amical à la vaillante Ukraine.

Reste, par-delà cette première ligne ukrainienne, la question de la défense de l’Europe.

Là aussi, le message est clair.

Et, là non plus, le basculement n’est pas douteux.

L’Europe est seule.

L’Europe, il fallait être aveugle pour ne pas le voir, est trahie par une Amérique passée avec armes et bagages dans le camp de l’ennemi.

Et l’Europe n’a plus d’autre choix, comme le dit depuis longtemps le président Macron, que de se doter d’une autonomie stratégique et de devenir une authentique Europe-puissance.

Pas l’année prochaine.

Pas au terme de mille et un nouveaux sommets où l’on débattra à n’en plus finir de décisions que l’on aurait dû prendre depuis des décennies.

Maintenant.

L’Europe doit, dès maintenant, s’appuyer sur les embryons d’armée européenne existants (État-major et Comité militaire de l’UE, les deux basés à Bruxelles ; Force de réaction rapide ; Battlegroups de l’UE déjà déployés en Macédoine) et créer, à partir de là, une force de dissuasion crédible.

La défense européenne est née – détails suivent : tel doit être le message ; la survie de la démocratie est à ce prix.

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