La prose militaire est-elle à la littérature ce que la musique et la justice militaires sont à la musique et la justice tout court, ainsi que Clémenceau brocardait ces fausses sœurs jumelles lors de l’affaire Dreyfus ?

Réponse : Vers la guerre ?, le livre programmatique de Sébastien Lecornu, Ministre de la Défense, est d’une lecture limpide, et sans langue de bois. Seul rescapé des gouvernements précédents dans le gouvernement Barnier et peut-être repêché dans le gouvernement qui se prépare, ce trentenaire avenant que Le Monde qualifiait récemment de « prudent du sérail élyséen », nous livre un plaidoyer de choc pour l’armée de demain dans un monde d’aujourd’hui devenu le monde de tous les dangers. Sans, toutefois, que soit abordée de front la question posée par le titrefaute de certitudes mais non d’appréhension.

Toute la philosophie guerrière de ce belluaire vif et droit dans ses bottes comme l’exige la fonction, qui se réclame de Messmer, le ministre des armées du général de Gaulle et père de la dissuasion nucléaire française, toute sa philosophie repose sur la maxime romaine bien connue : « Si vis pacem, para bellum » – Si tu veux la paix, prépare la guerre –, qui a pour corollaire le principe de paix armée.

Successeur admiratif et sans complexe de Louvois, de Carnot et quelques autres à l’Hôtel de Brienne, Lecornu s’est dédié bille en tête au réarmement de l’appareil militaire français. « Armons ! Réarmons ! » pourrait être son cri dans les assemblées parlementaires, son mantra sur les estrades publiques. S’il est trop tôt pour en juger, la machine est bel et bien lancée, dans les têtes et dans les faits.

Daech défait, l’Afghanistan bradé aux Talibans, l’agression russe en Ukraine ne laissait plus le choix. Le réveil aura été brutal. L’Europe se retrouvait dans le collimateur de l’impérialisme moscovite, la menace de la guerre revenait à l’horizon. Au terme de plus de trente ans à toucher les dividendes d’une paix de plus en plus précaire, nos arsenaux tournaient au ralenti, les budgets alloués aux armées étaient inférieurs aux 2% du PIB requis, les investissements souvent reportés à meilleurs jours, les matériels plus ou moins à bout de souffle, les règles d’engagement et les concepts vieillis. Les opérations au Sahel coûtaient cher. Beaucoup était à revoir, relancer, moderniser, anticiper. Vaste chantier !

Lecornu l’a entrepris. La voie lui avait été pavée au sommet de l’État. Décision avait été prise de répondre au retour de la guerre en Europe par le doublement du budget des Armées sur dix ans, avec pour objectif la modernisation technologique des armées françaises. Afin d’assurer leur durabilité, leur suffisance et leur résilience en cas de conflit de haute intensité, hors affrontement nucléaire.

Cyber-guerre face aux stratégies hostiles désinhibées des États voyous, guerre satellitaire dans l’espace, lanceurs souverains à produire en nombre, dronisation accélérée des forces terrestres, guerres d’attrition et chaînes logistiques en conséquence, économie de guerre préventive et doublement de la production munitionnaire, exportations militaires à flux tendu et en temps contraint, innovations technologiques, intelligence artificielle, révolution quantique, Intranet rénové, Renseignement militaire multiplié, coopération européenne pour la production en commun des armes du futur : autant de chantiers en étoile pour une armée française appelée demain à se projeter hors de nos frontières pour la défense longue durée et à distance de nos intérêts vitaux, en assumant sans faille les rapports de force avec l’ennemi.

Bref, sans le dire tout en le signifiant, l’armée française se prépare bel et bien, serait-ce, pour l’heure, sur le mode dissuasif, à l’éventualité d’une guerre avec, en premier lieu, la Russie. Un conflit qui n’aurait rien d’hybride.

On est loin dans ce vadémécum ministériel, des spéculations sur l’art de la guerre chères à Sun Tzu ou Machiavel ; on est loin des considérations géopolitiques propres à Clausewitz, de la polémologie de Gaston Bouthoul sur la conflictualité et ses facteurs économiques et humains. La stratégie n’est pas davantage de la revue. Plus que jamais en ce siècle des futurologies les plus folles, tout l’art de la guerre serait en amont, dans la préparation tous azimuts à l’affrontement. Au risque que, battant des records de technologie, le combat sur le terrain lui-même, in fine, fasse peu ou prou figure d’archaïsme.

Lecornu, serviteur discipliné de l’État, n’oublie pas, tout en restant dans son couloir d’attribution, que la chose militaire est d’abord d’essence politique ; qu’elle dépend en démocratie du politique, et donc en dernier ressort de l’image que nos concitoyens ont de l’Armée ; et, plus encore, quand son budget s’apprête à doubler, nos impôts suivant en conséquence.

Fini l’antimilitarisme de gauche ou presque. Oubliées les guerres coloniales et leurs cortèges de répressions sanglantes. L’opinion publique dans son ensemble éprouve une estime de principe teintée d’indifférence pratique, envers la Grande Muette. Ce découplage, qui arrangeait tout le monde, les politiques comme les militaires, tant que tout allait gentiment son train, n’est plus de mise à l’heure de la guerre en Ukraine. La France, avec Lecornu à la manœuvre, n’a pas démérité dans le soutien politique et matériel aux combattants ukrainiens : canons Caesar, missiles Scalp, entraînement en France d’une brigade ukrainienne de 2300 hommes, la liste est longue et j’en oublie. Les enjeux sont énormes.

Mais, face à cette guerre d’attrition qui dure depuis plus de deux ans, face aux soutiens à l’étranger qui « fatiguent » un peu plus chaque jour, face à la perspective cauchemardesque du retour de Trump à la Maison blanche, le lien entre les Français et le bras armé de la nation, à propos de l’Ukraine et du reste, doit se resserrer. Cette empathie citoyenne a permis d’envisager l’envoi d’instructeurs français à Kiev sans que l’idée soulève une vraie levée de boucliers dans l’arène politique. De même, la cession à l’Ukraine d’avions de combat d’avant-dernière génération. Deux projets qu’il reste maintenant à concrétiser.

Prescripteurs d’opinion, acteurs de tous bords du récit national, il faut à l’heure du danger fortifier ce lien armée-nation, le pérenniser, lui donner ses lettres de noblesse, le graver dans le marbre des grandes causes.

Un commentaire

  1. Nul ne pleurera ici la chute du fils compétitif d’un tyran protecteur d’Alois Brunner. Mais osera-t-on nous présenter Abou Mohammed al-Joulani, fondateur des groupes radicaux Front al-Nosra et Hayat Tahrir al-Sham, sous les traits d’un De Gaulle, chef de la Syrie libre ? Le Quai d’Orsay s’apprête-t-il déjà à peaufiner pour le Renard islamiste un piège à con de son cru — avec levée des sanctions et normalisation à la clé avec le Grand Satan : « Ho Poutine ! c’est qui maintenant qui l’a dans l’os ? » — piège dans lequel, à l’accoutumée, il finira tel le Bouc de la fable ?
    Et quelle pasionaria, syrienne ou étrangère — pourquoi pas juive, pendant qu’on y est — ira, dès cette après-midi, se dévoiler corps et âme sur un trottoir d’Alep ou de Damas, peut-être pas en sous-vêtements mais, soyons fou ! en minijupe, afin d’y tester la promesse de transition rêvée par l’intelligentsia d’une ère révolutionnaire révolue et d’y crier : « Mort au Hamas ! Vive Israël ! » ?
    Et nos chers frères d’armes kurdes, qu’en est-il aujourd’hui de leur émouvante attirance pour nos droits fondamentaux à la Charlie ? La trahison d’une OTAN prisonnière de son erdoganisme eut-elle raison de la raison qui les guidait jadis ? leur lutte pour l’indépendance d’un tiers du territoire souverain sera-t-elle récompensée par le nouveau chef rebelle d’un État islamique dont les combattants ont versé le sang au nom d’Allah, État rival aux ambitions hégémoniques d’un empire perse en phase de restauration entravée ?
    Je ne sache pas que le sous-chef des Armées Lecornu ait pris ses distances avec le président de la République humaniste ou catholique ou judéo-maçonnique ou islamiste de France, quand ce dernier, depuis son univers égalitaristiquement aplani, vexé que Benyamin lui eût mis le nez dans le capharnaüm déculturel présidant au naufrage de l’Occident en termes de capacité à endiguer l’essor du pire tant à l’échelle des microcosmes qu’à celle du macrocosme, s’interrogea sur la question de savoir si l’on pouvait, en semant soi-même la barbarie, défendre la civilisation comme le PM israélien se targue pour sa part de le faire, n’en étayant que davantage l’avalanche de reproches qu’il nourrit à bon droit envers des alliés dits naturels dont il s’étonne qu’ils tombent dans tous les guets-apens que leur tend l’immonde Bête, au lieu qu’un monde qui ne verrait pas double aurait à cœur de se tenir aux côtés d’Israël dans l’un de ces virages historiques à haut risque où les États, et l’avers de médaille qui leur est associé, ne peuvent pas échapper au devoir de révéler une fois pour toutes la nature, la teneur et le poids véridique de leur être subtil, laissant de leur nation, de leur peuple et d’eux-mêmes une image en tout point conforme à leurs inclinations irréversibles.
    « La Solution finale, c’est pour bientôt ! » beuglent les bien-pensants émeutiers québécois, rejoints par les zozos de la Post-Troisième Internationale alter-ultriste, violemment épris d’une Passion toujours plus dévorante. Avons-nous évité le pire en évitant de heurter la sensibilité d’une minorité majoritaire acquise a priori à la cause prioritaire de la Pogromie, ou bien plutôt retardé de quelques mois, quelques années ou quelques secondes une bombe nucléaire à attardement ? J’ai ma petite idée là-dessus, comme sur cette compulsion à projeter vers Israël des troubles de la personnalité frappant autant de fauteurs de haine et d’auteurs de crimes spécifiques dont lui seul fait l’objet. Il se pourrait que ces visions d’Apocalypse imprimées sur vitrail à travers quoi l’on zyeute vite fait telle ou telle opération chirurgicale de haut vol exécutée par Tsahal, que ce faux génocide qui obsède tellement les observateurs proactifs des vrais génocidaires étatiques ou non gouvernementaux du Méta-Empire, ne soit au fond qu’un rêve prémonitoire terrifiant ceux-là mêmes qui, sans qu’il soit possible d’éluder la question ou d’esquiver la béance de l’obstacle, se verraient attribuer par eux-mêmes le rôle du méchant de James Bond si, par malheur, on ne permettait pas à Israël de se défendre ET NOUS DÉFENDRE, ce qui donnerait toute latitude aux plus déterminés d’entre les fous d’Allah, j’entends par là les nucléarisateurs de la République islamique aryenne, de mener leur programme jusqu’à son terme.
    Pour autant, étant moi-même un barbare de l’espèce sus-bavée, je me garderai bien d’apporter mon soutien encombrant au ministre des Armées et des Anciens combattants de la seule et unique puissance dotée de l’Union antisémite européenne ; je ne voudrais pas lui causer des soucis auprès des sponsors d’une bataille capitale dont il n’exclut plus la plausibilité, lesquels tireurs de plans sur la comète de Come on pourraient lui supputer un entourage pervers, féroce, insensible aux souffrances d’autrui, un brin sadique, un entourage… israélophile ?

    • Mention spéciale à l’œil qui frise de l’archevêque Leslie Nielsen au moment où, pour la réouverture de la Cathédrale universelle, il découvrit les impros liszto-xenakisiennes aux accès de polytonalité survoltés de l’organiste Marty Feldman sous lesquels restait coi un parterre de chefs d’État déjà assommés par la monodie, le marquage des silences et la lenteur désinhibée du rite gallicano-romain. De quoi nous réconcilier avec notre magnificationnelle nation.

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