Entre quiétude et inquiétude, entre foule et solitude, le jeune poète Joseph Durand a arpenté les rues de la grosse pomme, celle de Gatsby et de Hopper, de la misère et des hommes pressés. Un voyage poétique au cœur de la plus américaine des villes, la plus cosmopolite aussi.
Une ville se dessine-là, comme un empire à elle seule, faite d’espoirs et d’âpreté, au gré de rendez-vous manqués avec cette pursuit of happyness si caractéristique de l’énergie new-yorkaise. L’American dream à bout de souffle ? Peut-être…



New York

Dédale de rues, dédale de pays,
Toute nationalité sous un drapeau uni
Les flots de foules sous les flots de lumières
La ville rayonne et cache sa misère

Là où tout est possible, tout n’est que rêve
Les journées s’enchaînent, il n’y a pas de trêve
La ville ne dort pas, il faut la conquérir
Et tous ses habitants, tournés vers l’avenir

La ville est bien debout sur un socle solide
Des pierres millénaires et une mer limpide
Supportent le doux poids de sa population
Et des curieux qui la foulent par millions

Dans cette effervescence est une volupté
On va quelque part ou se laisse guider
La ville sera présente là où l’on l’y attend
Et son énergie lave l’usure du temps.

Hopper

La pièce est sombre avec un trait de lumière
Le visage fixe comme dans une prière
Quelques meubles çà et là pour la scène et l’esprit
Un peu de poussière dans ce vide rempli.

Une silhouette émerge, grande mais fragile
Dessinée par le maître avec une peau d’argile
Elle semble posée là comme un choix indécis.
Ses membres ne s’animent d’aucune envie.

Dans cette pénombre elle fixe la fenêtre
Par laquelle un peu de la journée pénètre
Sans paraître animée quelque part en son être
Rien ne semble bouger sur ces quelques mètres.

Dehors, le train passe mais la station est vide
L’extérieur est calme, le soleil livide
La nature environ baigne d’une quiétude
Tout ici n’est qu’immense solitude.

Gatsby

Le mythe de l’homme à la lumière verte
Et dont les richesses ne connaissent de perte,
Amoureux d’une femme toujours inatteignable
Le plongeant dans une peine intarissable.

New York lui appartient, son empire est si grand
Que tout le pays l’appelle à chaque instant.
Jamais le téléphone n’arrête de sonner
Mais jamais de la part de la femme espérée.

Celle-ci lui préfère les plus vieilles manières
L’argent bien éduqué par-delà les frontières
Les petits comités et longues après-midi
Au monde de la fête, des éclats et du bruit.

Mais son esprit d’enfant lui rappelle que l’amour
N’est pas que conventions et que repas du jour.
Le désir reste le moteur d’une flamme,
L’homme qui, pour elle, transgresse tous les blâmes.

Alors la folie s’invite à l’ordinaire,
L’atmosphère paisible devient nucléaire.
Les jardins bien taillés en jungles se transforment
Où la raison, perdue, et la prudence s’endorment.

La passion, destructrice, ne suit aucune science
Et nos pas dans cette voie relèvent de l’inconscience.
Les amants s’aiment alors d’une flamme fatale
Et chutent volontiers dans ce gouffre idéal.

L’homme est-il donc fait pour brûler ainsi
Se laisser consumer par les lois de l’envie ?
Ou vaudrait-il mieux le laisser sans rien faire
Se ranger dans une vie tranquille et austère ?

Seule la femme sait tout, pouvant goûter des deux
Mourant chez l’un d’ennui, chez l’autre par le feu.
Perdant la tête à force d’aviser chaque choix
Avant de s’effondrer dans sa propre voie.

Vol de nuit

Planant en altitude au-dessus des nuages
L’aigle d’acier fend les cieux de son passage
Emportant dans son ventre quelques centaines d’âmes
Qui défient les dieux et survolent le drame.

La nuit règne au dehors, mais lumière en cabine,
Les curieux en veille jamais ne se mutinent.
Films, livres et séries s’efforcent à les distraire
Et l’équipage aussi œuvre à les satisfaire.

Au hublot je regarde défiler les nuages,
Formes sombres qui pourraient être mauvais présage
Pourtant réconfortants par leur tranquillité
L’azur monochrome est calme et apaisé.

On se sent tous petits dans cette immensité,
Coincés entre l’océan et la Voie lactée
Reflet de l’existence qui n’est que transitoire
La nature demeure pour l’âme un miroir.

Sommes-nous donc faits pour le jour ou la nuit ?
Lequel m’apprendra réellement qui je suis ?
Toujours bercé par cette noirceur infinie
Ou debout au soleil relevant le défi ?

J’apprécie ces moments qui avant l’aube surviennent
Dans ce coucher de nuit avant que n’adviennent
Les premiers rayons qui transpercent le ciel.
Le paysage prend une couleur miel.

Le jour est l’évidence, la nuit une transition,
Tant de belles choses se forment dans sa confusion.
Plus proche de l’humain, de ses contradictions,
De son regard sombre sensible aux passions.

Le gratte-ciel

Il se tient en solitaire
Debout parmi la foule
De sa hauteur, pas d’adversaire,
À ses pieds les taxis roulent.

La tête dans les nuages, il est rêveur,
Ou se cache par timidité
Des bâtiments plus ricaneurs
Qui pourraient l’humilier.

Le gratte-ciel est un poète
À l’aise dans l’air loin des tracas
Et de la fumée que rejette
La ville et les usines en bas.

Il plane par peur d’atterrir
Et ainsi de découvrir
Ce qu’il cherche à éviter :
Le poids du monde à ses pieds.

Journée à Brooklyn

Le ferry nous emporte loin de Manhattan
Les grattes-ciels rapetissent et l’on s’aperçoit
Par la clairvoyance de cette steppe océane
De l’ampleur de New York qui s’étend devant soi.

Arrivées devant ce qui ressemble à un village,
Les maisons construites sont d’une simplicité,
Les câbles électriques emportent dans leur sillage
De quoi alimenter les différents quartiers.

Tout semble abandonné au gré de la nature,
Inverse du centre-ville, où l’homme a dominé.
L’océan et le vent ici dictent l’allure,
Immeubles et habitants n’ont plus qu’à s’incliner.

C’est le vrai romantisme, ultime communion,
De l’humain avec son proche environnement.
Brooklyn passe à côté de cette attention
Et ces dégâts qui font notre fonctionnement.

Pas de fumée, de bruit, d’autre pollution,
Retour à l’essentiel de ce qui fait la vie.
L’inverse d’un temple de l’hyper-consommation,
Où une surenchère a fait flamber les prix.

Déjeuner au soleil, aux produits des rivages,
L’air y est frais et doux avec un léger vent.
Dans cette mégalopole qui poursuit un mirage,
On se permet enfin de rêver un instant.

Minuit à New York

La lune était pleine comme la nuit était noire
Les rues étaient vides sauf de quelques fêtards
Un long silence ponctué de rires passagers
Du son du vent dans les rues et de la mer agitée.

Quand les lumières s’éteignent la ville se repose
Les derniers bars ferment et les boutiques sont closes
New York semble à nous sans besoin de partage
Elle s’offre au moindre visiteur de passage.

Le soir tout s’apaise et enfin tout respire
Dans cette ville qui symbolise un empire
Les fumées souterraines s’échappent et retombent
Comme si l’on avait déminé une bombe.

La nuit les commerces redeviennent humains
Les travailleurs du jour vont dormir enfin
L’ombre des bâtiment nous recouvre, apaisante,
Comme des draps obscurs sur la lune en descente.

Une forme de sensualité rejaillit du moment
Comme une communion des dormeurs inconscients
Dans cette constellation où tout est connecté
Une rêverie commune semble se formuler.