Miss Knife avait fait ses premiers adieux à la scène au Théâtre de l’Œuvre en 2018. Des adieux auxquels on ne voulait pas croire. Ainsi remonte-t-elle sur la scène du Châtelet du 7 au 12 novembre, pour un récital, Miss Knife forever, avec le pianiste Antoni Sykopoulos.
Le double féminin et chantant d’Olivier Py est de tous les âges, parce qu’elle n’en a pas, ou qu’elle les a tous. La Miss est d’hier et d’aujourd’hui, de demain aussi.
Elle a quelque chose des femmes weimariennes de Jeanne Mammen.
Un semblant de Marlène Dietrich, de Barbara, de Zizi Jeanmaire, de Liza Minelli et de Kiki de Montparnasse, de Joséphine Baker et de Patachou, de Louise Brooks…
Mais qu’a-t-elle d’Olivier Py ?
Quels liens a-t-il tissé avec sa créature ?
C’est un dialogue étonnant qu’entretient l’homme de théâtre total qu’est Olivier Py avec Miss Knife, sa créature chanteuse de cabaret désespérée. Le dramaturge, metteur en scène, traducteur, acteur, poète à temps plein, ancien directeur de l’Odéon puis du Festival d’Avignon ayant rejoint la tête du Châtelet, cohabite avec une martyre du music-hall ensatinée, empailletée, khôlorée.
Oui, on peut mettre en scène Claudel, Shakespeare, Eschylle, avoir le goût des partitions de Verdi, Wagner et Poulenc, créer des spectacles de vingt-quatre heures, et puis tout remettre en jeu à grand coup rouge à lèvres.
Olivier Py s’est hissé en haut d’une œuvre gigantesque, alternant entre soulier de satin et talons aiguilles.
L’un n’empêche pas l’autre, comme il va nous le raconter. Ici, Py est un homme affairé, pressé. On lui court après, pendant qu’il court après ce temps qui, lorsqu’on dirige un tel navire théâtral, manque inévitablement.
Faire remonter Miss Knife sur scène ? Impossible, donc nécessaire.
Il y avait urgence à remettre la perruque et les faux-cils.
Miss Knife, double d’Olivier Py ?
Félix Le Roy : Qui est Miss Knife, la protagoniste de votre spectacle-concert à l’affiche ces jours-ci au Théâtre du Chatelet ? Pourriez-vous nous raconter son histoire ?
Olivier Py : C’est le personnage d’une pièce que j’ai écrite en 1990 pour le fameux Théâtre du Peuple de Bussang. Miss Knife a trente ans – elle a toujours trente ans. Je ne pensais pas garder ce personnage aussi longtemps dans mon répertoire. Après cette pièce, j’ai continué avec elle dans différentes formations : un petit trio de jazz, un quintet de jazz ensuite, puis avec d’autres compositeurs. Étrangement, à chaque fois que je pense m’arrêter, ça recommence.
C’est elle qui vous suit ou c’est vous qui la suivez ?
C’est elle qui me suit. Quand je délaisse ce personnage, il y a toujours quelqu’un qui me dit : « Ah, et si tu reprenais Miss Knife ? » Elle est devenue mon double. Il y a quelque chose de comparable au mime Marceau qui avait Bip. Je reviens avec Miss Knife Forever dans une version avec piano seul, plus proche du récital que du concert jazz-pop.
Le personnage a-t-il évolué musicalement ?
Le chant implique un long apprentissage. Je ne voulais pas chanter trois heures par jour pour m’entraîner, comme le font beaucoup de mes camarades chanteurs. Mais mon exigence musicale et vocale a augmenté avec les années. Je ne prétends pas chanter mieux, mais mes exigences sont beaucoup plus hautes que quand j’avais vingt ans. Au fil des ans j’ai énormément travaillé le chant. C’est un art difficile, qui demande un entraînement physique. On l’imagine aisément pour la danse, mais on l’imagine moins pour la voix alors que c’est un travail comparable. Il faut tirer tous les jours sur un petit muscle pour qu’il s’assouplisse, pour qu’il soit capable d’aller plus loin, il faut travailler son souffle pour plus de justesse. Ma chance est d’être entouré d’excellents musiciens qui m’ont aidé à faire mieux. Mais comparé à Céline Dion c’est sûr que… [Rires]
Des faux cils et un vrai masque
Au début des années 90, dans la pièce La Nuit au cirque, Miss Knife apparaît sur scène. Le temps d’un refrain chanté, on l’entend dire : « Tout est faux ici l’ami, tout est faux/Tout est faux ici et là/Et voilà. » Qu’est-ce qui est faux et qu’est-ce qui est vrai dans ce personnage ?
Il y a là une telle simplicité que tout devient métaphysique. Oui, bien sûr, tout est faux. Miss Knife n’est pas une jeune chanteuse, mais une chanteuse mélancolique, entre deux âges. Pour moi c’est un rôle. Dans ma jeunesse il a pu y avoir des confusions entre elle et moi. Aujourd’hui on dirait que j’étais non-binaire, mais à l’époque ce terme n’avait pas d’occurrence, on ne l’employait pas. J’ignore si je l’étais. Je vivais en m’habillant comme je voulais.
Lorsqu’on voit Miss Knife sur scène, que voit-on ? Un acteur en train de jouer un rôle ? Peut-on dire qu’Olivier Py a une part de Miss Knife ?
Tout se situe dans une zone grise qui me plaît bien. On voit d’abord le personnage. Dans un deuxième temps le masque démasque celui qui le porte. On peut penser que, à travers ce masque, Olivier Py se permet des choses qu’il ne se permettrait pas en costume de ville.
Le mot latin qui désigne le masque dans le théâtre romain (persona, du verbe personare, « parler à travers »), est à la fois féminin et masculin.
C’est intéressant et idéal. Le mot dépasse les genres. Dans chacun des spectacles de Miss Knife, il y a toujours un moment, qui est presque attendu, où j’enlève la perruque. Ce n’est jamais au hasard : il a lieu sur une réplique précise, qui n’est pas toujours la même. Le personnage fait alors une sorte de triple saut périlleux.
Faut-il perdre quelque chose pour être Miss Knife ?
Il faut tout perdre. Jouer Miss Knife est sans doute la chose que je fais avec le plus de difficultés et d’angoisse, avec l’humilité afférente à cette inquiétude. Ça doit être un sacrifice total. J’ai beaucoup vu Barbara et Ingrid Caven sur scène, elles donnaient tout. Faire Miss Knife a toujours été bien plus que « faire un numéro ».
Le rire de Miss Knife
Miss Knife est un personnage empreint de romantisme sombre, de pessimisme réaliste. Elle est la « martyre sous les roses », avec ses « chagrins empaquetés dans du satin de qualité », ses plumes cachent ses névroses. Mais c’est aussi un personnage très drôle. Le rire et l’angoisse sont-ils, selon vous, les revers d’une même pièce ?
Je ne m’attendais pas à ce que les gens rient autant. Mon idée, mon souhait, était simplement de chanter dans une belle robe. Le personnage de Miss Knife n’est pas lié à la comédie. Les chansons de son répertoire ne sont pas particulièrement drôles, excepté une ou deux.
Comment percevez-vous ce rire ? Il vous accompagne ?
Bien sûr, il est avec moi. Il se joint au rire de Miss Knife sur elle-même, à l’humour qu’elle a sur sa propre catastrophe, qui est à la fois une catastrophe intime, amoureuse, et en même temps celle d’entrer en scène ou de vivre une d’artiste. Il n’y a que deux sujets : le chagrin d’amour et la vie d’artiste. C’est toujours les mêmes, en boucle.
Peut-on dire que Miss Knife est un personnage de mauvais goût ?
Il faudrait plutôt faire une double négation : ce n’est pas un personnage de bon goût. C’est fondamental pour moi : il y a Miss Knife d’un côté, et de l’autre l’homme de théâtre sérieux. Je distingue ces deux costumes. Une fois le maquillage et la perruque posés, la question du bon goût n’a plus sa place. C’est, paradoxalement, une manière de continuer le geste poétique, mais différemment. Je n’écris pour le théâtre que pour être un poète dans la cité – et non pour être un poète marginalisé, exclu, qui vend trois cents petits livres une fois tous les cinq ans. Pourtant ça ne suffit pas, j’ai besoin d’un rapport d’immédiateté avec le public, d’une métaphysique chantée, mais comme si c’était une blague.
Miss Knife, une conscience politique ?
Une blague, certes. Mais Miss Knife incarne une conscience…
Elle a un rôle politique qui m’a dépassé. J’ai traversé près de trente-cinq ans de scène avec ce personnage. C’est une histoire folle ! Je m’en suis débarrassé parfois, en disant : « Je ne veux plus la voir ! Je la remets dans une boîte dont elle ne sortira plus jamais. » Puis elle a évolué, suivant les changements de mon exigence musicale, avant de continuer sa carrière indépendamment de moi. Je faisais beaucoup Miss Knife dans les entractes de La Servante, c’était gratuit, je m’amusais. Finalement, ça a toujours été mon souhait, m’amuser sur scène et avec le public grâce à elle. Même si c’est peut-être ce que j’ai fait de plus politique.
En 2014, lors d’un entretien, vous faisiez la distinction entre l’acte de résistance et l’acte d’insistance : « On ne résiste pas, on insiste. » Avec Miss Knife, sur quoi voulez-vous insister ?
Sur le fait que l’art est une transcendance accessible sans dieu. L’art n’a pas à proprement parler de rôle sociétal ou éducatif, ni un rôle de conscience. Il est là pour vous mettre face à la transcendance. J’ai ressenti cela avec certains opéras de Wagner et dans les boîtes de nuit devant des Drag shows. De cela il a fallu témoigner – même si le mot Drag n’existait pas encore. Le monde a changé, moi je suis toujours un peu le même. Le rôle politique de Miss Knife est réel. Mais ne nous trompons pas : elle a ce rôle principalement vis-à-vis du monde LGBTQ+, en particulier des gays. Je ne me suis jamais défini comme gay. Queer oui, gay non. Or je constate qu’un problème demeure à l’intérieur de la communauté LGBTQ+ : la folle reste le personnage problématique. Je pense par exemple qu’une partie du public de Michou était homophobe. N’oublions jamais que dans folle, il y a folie. C’est donc la folie qui est problématique, le fait d’y accéder et de la revendiquer en tant que vérité, comme dans les pièces de Shakespeare. Reprenons la formule de Genet à propos de Divine[1] : « Elle ne voulait pas être femme, elle voulait être fausse. ». On en revient à ce que je vous disais sur le fait de se confondre dans un geste avec un masque. Or, j’insiste, le masque démasque plus que l’absence de masque. C’est là que l’ordre établi patriarcal vacille. Les folles affirment une volonté de marginalisation dans la société, soit une destruction de l’ordre bourgeois que les gays n’ont pas toujours repris à leur compte, loin s’en faut.
Miss Knife c’est Madame Couteau, selon une traduction littérale de l’anglais. Ce nom est le signe de quelque chose de tranchant, qui sépare. Si Miss Knife est un personnage qui peut diviser, qui peut-elle rassembler ? J’ajoute que le couteau peut être perçu comme une image de la castration…
En effet, on comprend cela sans avoir besoin d’être lacanien. De la castration ? Oui. Mais il y a aussi quelque chose de phallique. Miss Knife crée des séparations à l’intérieur même de la gauche pro-LGBTQ+. Elle pose des questions. Qui elle rassemble ? On ne sait pas. Elle relie une communauté bien plus complexe que celle nouée autour du lien propagandiste, qui est celle des êtres qui veulent autre chose, qui ont vu le loup, qui ont vu la mort.
Miss Knife se produit cet automne sur une scène parisienne, dans un pays qui a à la tête de son gouvernement des personnages-clés de la Manif pour tous dont l’hostilité à l’égard de la communauté LGBTQ+ n’est un secret pour personne. Donner à voir un spectacle dans ces conditions, est-ce un geste de combat ?
Évidemment. Mais de qui parle-t-on à propos de ce gouvernement ? On parle de cette droite dure, filloniste, qui a fait la Manif pour tous. Gardons à l’esprit que Miss Knife n’est pas gay. Quand on la voit sur scène, on voit la mort, comme dans toute grande incarnation théâtrale. Ça doit faire rire (ou pleurer, c’est pareil), sinon ce n’est pas regardable. Parce qu’il y a là le vrai, le profond scandale quasi-christique de l’abdication du phallus sur scène. Ce n’est pas rien. Pour moi cela reste un geste fort. Je l’ai constaté avec mes musiciens lorsque nous répétions : ils n’avaient pas le même comportement avec moi en costume et sans costume, avec le masque et sans le masque, puisque je ne suis plus moi quand je le porte. Dès que je pose les faux-cils, ça commence !
C’est ce que vous posez en premier ?
Non, c’est justement ce que je pose en dernier. Tel le clown quand il met son nez rouge, après cet instant tout peut arriver.
« Le genre n’est pas une théorie, c’est un fait »
Lors d’une conversation avec Bernard Sobel et Gaëlle Maidon, vous avez déclaré : « Il n’y a pas plus de théorie du genre qu’il n’y a de théorie du ciel bleu. » Vous ajoutiez : « Il est clair qu’une partie de notre construction que nous appelons sexuelle est en réalité culturelle, et ça touche évidemment la question du théâtre. » Pourriez-vous m’expliquer cela ?
C’était pour casser cette formule – théorie du genre – dont on connaît les impensés politiques. Pour beaucoup, penser la question de genre est une opinion. Je dis : « Non, ce n’est pas une opinion, c’est un fait. » Est-ce que nos organes génitaux nous obligent à mettre du rouge à lèvres ? Bien sûr que non. Le rouge à lèvres est culturel, il n’a rien à voir avec notre sexualité ou notre assignation sexuelle – et ce quelle qu’elle soit. Cette parole, je n’arrive toujours pas à la faire comprendre à ceux qui s’accrochent à leurs masques. Il y a vingt-cinq ans, dans un Cercle de Minuit, Laure Adler m’avait demandé : « Pourquoi vous habillez-vous en femme ? » Je lui avais répondu : « Et vous, pourquoi vous habillez-vous en femme ? ».
Est-ce que pour parler des femmes il faut mettre une robe ?
Non. Je ne parle quant à moi pas des femmes, et surtout je ne prends pas la parole à leur place. Je n’ai jamais voulu en être une, je ne suis pas crédible en femme. Je parle des monstres, j’en suis un. J’ai connu des hommes qui jouaient des rôles de femmes d’une manière absolument confondante, c’était magnifique. Dans mon cas, c’est différent.
La sororité, peut-elle être masculine ?
La sororité est un attribut des femmes. Mais je pense que des hommes qui ne se définissent pas de manière hermétique dans leur genre peuvent avoir leur place dans la sororité. Pour ma part j’ai une sensation de sororité avec beaucoup de femmes, depuis très longtemps… Cela tient certainement à mon éducation faite par des femmes : j’avais abdiqué au patriarcat.
Lorsque qu’on porte le masque de Miss Knife, prend-on conscience de la violence que subissent les femmes ?
Oui, et c’est plus que prendre conscience : on la prend sur soi cette violence. On se désigne auprès du patriarcat comme bouc-émissaire. Avec Miss Knife je dis : « Vous voulez me taper sur la gueule ? Ayez le courage de le faire, allez-y ! » Je voudrais être un autre personnage de femme, je n’y arriverais pas, je serais obligé de composer. Tandis que Miss Knife porte encore le déshabillé de mon arrière-grand-mère. J’ai été élevé par mon arrière-grand-mère, ma grand-mère, ma tante et ma mère – sans hommes. C’est ce lien à l’univers féminin que je vis au plus intime, et qui fait que je n’ai pas du tout l’impression de composer. À tel point que quand j’ai dû jouer une adorable religieuse sainte-nitouche, je ne savais pas du tout comment faire.
Miss Knife et ses sœurs
En 2022, lors du 76ème Festival d’Avignon, Miss Knife monte sur scène dans un spectacle intitulée Miss Knife et ses sœurs. Les sœurs en question étaient la chanteuse Angélique Kidjo, et les artistes ukrainiennes du cabaret Dakh Daughters. Quelles sœurs pourraient, aujourd’hui, partager la scène avec Miss Knife ?
Toutes les femmes. J’ai chanté avec beaucoup de femmes merveilleuses telle que Jeanne Balibar. Des femmes vraies, des femmes fausses. Avec les Dakh Daughters cela s’est présenté un peu comme ça, nous n’avions pas prévu la guerre contre l’Ukraine. La programmation étant très anticipée, il n’y avait pas de lieu pour les accueillir. Alors j’ai eu cette idée : « J’ai un concert, faisons-le ensemble ». C’était d’ailleurs mon dernier concert, presque mon dernier soir à Avignon.
Quel rapport Miss Knife entretient-elle avec les Drag Queen ?
Miss Knife n’est pas une Drag Queen, le Drag est un autre métier, un autre art. De nos jours les Drag Queens ont un succès planétaire. Je suis fasciné, émerveillé, ce sont de grandes artistes. Je serais incapable de faire la même chose, notamment parce que j’interprète toujours le même personnage, avec la même perruque et une attitude que je retrouve. Mon but n’est pas d’apparaître comme une femme, mais de chanter. S’il m’est apparu impossible de chanter en homme, j’ai dû trouver un masque qui m’a ouvert cette possibilité. D’autant que je pratique un art spécifique, celui de la chanson française. Miss Knife n’est pas pop, elle n’est même pas une chanteuse de jazz, même s’il y a des moments où musicalement ses prestations pourraient s’en apparenter.
Ce succès planétaire dont vous parlez a-t-il modifié le regard que le public porte sur Miss Knife ?
Peut-être, mais je n’en ai pas conscience. Le public de Miss Knife est marginal, il se déplace indépendamment de tout ce que je fais ici ou là. Les uns et les autres ne sont pas nécessairement au courant du va-et-vient entre mes deux costumes. Il y a là deux vies, c’est ce que j’aime.
« Le travesti met l’individu en danger »
La perception de l’art exercé par les Drag Queens a évolué. Pourtant, cet été, la polémique suite à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques mise en scène par Thomas Jolly nous rappelle que rien n’est encore gagné.
C’est fascinant parce que dans cette immense cérémonie très longue, peuplée de choses magnifiques, tout ce qu’ils ont retenu c’est qu’à un moment il y avait un défilé avec quelques Drag Queens. Incroyable ! Certains sont allés jusqu’aux menaces de mort. Je trouve fabuleux de voir comment le travesti, comme on disait autrefois – dans ce cas plutôt des Drags –, met l’individu en danger. Les questions que posent les LGBTQ+ à la société sont très complexes, très diverses. Quand j’étais jeune, je ne pensais pas que ces questions deviendraient à ce point un marqueur de la droite et de l’extrême-droite mondialisée, de Orban à Trump, en passant par la France. Elles étaient un marqueur de la gauche, et puis ça s’est inversé. Je regarde cela en y croyant à peine. Qu’est-ce qui peut les rendre fous à ce point, jusqu’à vouloir la mort d’un homme parce qu’il porte une robe, ou d’une femme parce qu’elle porte une barbe ? Prenez la chanson de La Cage aux Folles, « I Am What I Am » de Gloria Gaynor : « Je suis ce que je veux, mon corps m’appartient ». Ici la revendication dépasse totalement les questions LGBTQ+. C’est la revendication de l’individu face au corps politique : votre corps, votre vie, vos désirs vous appartiennent. C’est une lente marche, mais toujours remise en cause. Tout cela n’est pas une question de genre, c’est une question de théâtre, de la théâtralité du théâtre, posée par quelqu’un qui affirme la mort. Mais ils ne le savent pas, ils pensent que c’est une question de sexualité. Voyant cela, j’ai écrit à Thomas Jolly, et lui ai dit : « Bravo ! Réussite artistique, donc politique. Cela prouve que vous avez touché dans le mille, vous pouvez en être fier. »
En posant une question à Olivier Py à propos de Miss Knife, votre réponse la plus radicale, la plus politique, aurait-elle pu être : « Je ne peux pas répondre pour elle » ?
Non car je ne suis pas tout à fait dénué de conscience politique. Miss Knife, elle, n’a pas cette conscience, elle ignore qu’elle est un enjeu politique. C’est la projection du public qui politise ce personnage.
[1] Divine est le héros travesti de Notre-Dame-des-Fleurs, le premier roman de Jean Genet, écrit dans la prison de Fresnes en 1942 et publié en décembre 1943.