Deuxième partie

Les documents confidentiels

« Mon père a pris sur ses nuits pour préparer le manuscrit, signale Suzy Mante-Proust ; non seulement considérait-il que c’était son devoir, mais il était émerveillé. Il me disait : “Il y a des choses admirables dans les brouillons”[1]. »

Robert montrait parfois à un invité l’un des cahiers où son frère avait consigné son roman. Ce rite agaçait Marthe au plus haut point. Comment un roman aussi scandaleux pouvait-il faire l’objet d’une telle dévotion !

Les cahiers du manuscrit, du moins une partie d’entre eux, se trouvaient dans le bureau, avenue Hoche, où le docteur Proust recevait sa clientèle ou ses relations. 

Le reste des papiers de Marcel, dont les brouillons en question, avait été transporté dans une pièce de service au sixième étage de l’immeuble[2]

Des archives aussi volumineuses exigeaient que l’on mette à la disposition de Georges Cattaui[3] une pièce entière pour qu’il puisse s’y sentir à l’aise et y dormir, au besoin, de sorte qu’on y avait également transporté le mobilier de Marcel – son lit, ses tables de chevet, sa chaise longue, son tapis, et même le paravent chinois qui décorait la tête du lit – afin de reconstituer la chambre avenue Hoche.

« Les manuscrits ne sortiront d’ici qu’avec moi », assurait Robert[4]. Il tenait à ce que l’ensemble des papiers de son frère reste à son domicile, de peur qu’un cahier ne s’égare, si bien que Cattaui faisait couramment une expérience extraordinaire : il s’allongeait dans le propre lit de Marcel pour y déchiffrer ses propres papiers. Ainsi se livrait-il à une opération métempsychique, et ce d’autant que l’odeur de la poudre anti-asthmatique de Proust se répandait dans la pièce, une odeur âcre qui imprégnait encore tellement ses papiers et son mobilier qu’elle ressuscitait sa présence.

Il s’agissait alors de vérifier la dernière des dactylographies de La Prisonnière, déjà abondamment corrigée par Marcel en vue de sa publication. 

Gaston Gallimard et Jacques Rivière s’affrontaient à toutes sortes de difficultés avec Robert. Il les traitait de haut. Il se plaisait à les laisser patienter durant des jours avant de répondre à une requête. Il ne consentit à leur accorder l’autorisation de publier La Prisonnière qu’au bout de plusieurs mois, après des tracas sans nombre.

Restait maintenant à établir la version définitive d’Albertine disparue, à laquelle Marcel travaillait peu avant de mourir

Précisément, c’est dans ce texte que Cattaui découvrit un épisode qui le sidéra – l’épisode des fiançailles de Gilberte Swann, alias Gilberte de Forcheville, car alors elle renie le nom de son père, en effaçant toute trace de judaïsme en elle, pour pouvoir épouser le marquis de Saint-Loup, le neveu de la duchesse de Guermantes[5].

Les israélites français soucieux de se fondre dans la haute société française, quitte à verser eux-mêmes dans l’antisémitisme, se comportaient au fond de la même manière, aux yeux de Proust. 

« Vous ne la connaissez certainement pas, elle s’appelle lady Rufus Israël », annonce la duchesse à Gilberte. La duchesse sait parfaitement pourtant que lady Israël est la tante de Gilberte. Seulement, voilà, on ne prononce pas le nom d’Israël chez les Guermantes. La duchesse tient à le faire savoir à sa future nièce.

Gilberte rougit vivement : « Je ne la connais pas, dit-elle [ce qui était d’autant plus faux que lady Israël s’était, deux ans avant la mort de Swann, réconciliée avec lui et qu’elle appelait Gilberte par son prénom], mais je sais très bien, par d’autres, qui est la personne que vous voulez dire. »

Gilberte s’avilissait pour se rehausser, concluait Proust[6] en remettant en cause le principe de l’assimilation des Juifs quand il aboutit à une conduite aussi indigne. Ainsi laissait-il entrevoir sa sympathie pour le sionisme. 

Albert Cohen 

À Alexandrie, en été 1921, Cattaui avait fait la connaissance d’Albert Cohen, un militant sioniste comme lui, et comme lui un grand lecteur de Proust. Tous deux célébraient la renaissance de la littérature juive en exaltant « la passion talmudique de tordre les concepts »[7].

Quand il le revit à Paris deux ans plus tard, Cattaui révéla à Cohen l’existence de l’épisode des fiançailles de Gilberte Swann, un épisode « sioniste » en quelque sorte dans le roman proustien.

Personne ne se doutait d’une chose pareille. Personne, excepté le secrétaire de Robert – un secrétaire qui ne pouvait être que Cattaui, sinon alors, en 1923, il n’aurait jamais pu avoir accès au texte d’Albertine disparue, un texte totalement inédit, qui ne serait livré à la maison Gallimard que l’année suivante. 

Cohen demanda aussitôt à lire l’épisode en question. Cattaui lui en procura une copie et, après l’avoir lu, Cohen se décida à en faire état dans une conférence qu’il devait prononcer à l’université de Genève.

Seulement, s’agissant d’un épisode toujours inédit, il lui fallait obtenir l’accord du docteur Proust, si bien que Cohen pria Cattaui de le présenter au frère de Marcel.

La rencontre eut lieu à Paris, « quelques mois après la mort de Proust », précise Cohen[8].

 Petit, brun, moustachu, déjà largement chauve à 28 ans, l’air tout à fait méditerranéen, né à Corfou, élevé à Marseille, diplômé en droit à l’université de Genève, récemment naturalisé suisse, Cohen incarnait à sa manière l’exil auquel Israël était contraint depuis des siècles, ce qui ne l’empêchait pas d’être un grand séducteur, doté d’une intelligence pleine de générosité, d’audace et d’extravagance. 

* * *

Parmi les multiples tendances qui composaient le sionisme, Proust s’était surtout intéressé au courant libertaire, d’inspiration anarchiste, illustré notamment par Bernard Lazare, l’un des chefs du mouvement dreyfusard, quelqu’un dont il avait sûrement entendu parler par son ami Daniel Halévy, l’éditeur de Lazare dans les Cahiers de la Quinzaine.

Le sionisme dérivait du dreyfusisme, notamment en France, ce qui expliquait pourquoi il se rangeait à la gauche ou à l’extrême gauche de l’éventail politique.

En 1913, au moment de la sortie de Du côté de chez Swann, Proust demanda à Halévy de transmettre un exemplaire de son livre à André Spire, le successeur de Lazare à la tête du courant sioniste en France, toujours dans la même veine anarcho-libertaire qui, parallèlement, produisait le mouvement des kibboutzim en Palestine.

Spire le lut avec beaucoup d’attention, mais en se méfiant de Proust, un esthète replié sur lui-même sans le moindre souci des autres, à ses yeux. Il le fit savoir à Halévy, qui le rapporta à Proust, lequel lui répondit, toujours par l’intermédiaire d’Halévy : 

« M. Spire aurait tort d’être agacé par des gens qui cherchent à lire en eux-mêmes sans se soucier des autres. Quand on fait cela d’une façon désintéressée pour tâcher de découvrir des réalités objectives (c’est mon cas) on fait la seule chose qui ait jamais servi aux autres. Les gens qui pour arriver aux autres écrivent en pensant aux autres sont comme les gens qui croient écrire pour les enfants[9]. »

Spire finissait par le reconnaître. Il rendait un hommage sans réserve à Proust dans Les Nouvelles littéraires en juillet 1923, précisément au moment où Cohen entrait en relation avec Robert.

L’extrême droite française se déchaînait contre les sionistes. « Israël à Jérusalem, les Juifs sont les maîtres aux États-Unis et en Angleterre », constatait Maurice Barrès en faisant du foyer national juif de Palestine la preuve de la domination juive sur le monde[10].

Avec le même genre d’argument, dans L’Action française, Charles Maurras lançait un « appel à toutes les forces antijuives de l’univers » aux fins « d’une politique antijuive universelle » [11].

Sans doute Robert ne supportait-il plus que son frère soit associé à des antisémites aussi infects. En tout cas, il accorda volontiers à Cohen l’autorisation de publier l’épisode des fiançailles de Gilberte Swann.  

Certains biographes de Proust n’en reviennent toujours pas. Comment Robert pouvait-il accorder une telle faveur à Cohen ? N’a-t-il pas été victime d’une espèce de complot sioniste ?

On peut parier que la terrible Marthe n’en revenait pas non plus, et qu’elle tirait les mêmes conclusions quant aux Juifs qui entouraient son mari. 

Toutefois Suzy prétend que sa mère n’était pas antisémite. Elle insiste sur ce point dans ses Souvenirs : « Ma mère a beaucoup vu la famille juive, les Neuburger, les Mayer, les Thomson, dont le côté brillant, l’esprit et l’élégance, la changeait de l’ennuyeux milieu où elle avait été élevée[12]. »

Oui, mais la famille du côté juif appartenait à la grande bourgeoisie israélite ; elle n’éprouvait aucune sympathie pour le sionisme. Ou, si elle en éprouvait, elle ne le montrait pas. 

Aux yeux de sa femme, le docteur Proust dépassait les bornes en recevant un militant sioniste comme Cohen !

Voilà probablement l’origine de la crise qui allait la pousser à organiser une espèce d’autodafé, comme au Moyen Âge, afin de brûler les papiers les plus scandaleux de Marcel.

Robert Dreyfus

Alors, en 1924, le cercle des conseillers du docteur Proust en matière d’édition s’agrandissait. Robert Dreyfus, à sa manière, participait maintenant à l’entreprise éditoriale. Il s’était en effet décidé à écrire une biographie de Marcel, ce qui lui donnait l’occasion de prodiguer ses conseils à Robert. 

Sans parenté avec le malheureux qui donna son nom à la fameuse affaire, il connaissait les frères Proust depuis sa petite enfance. Ils avaient passé ensemble toute leur scolarité. Il faisait quasiment partie de la famille.

Il jouissait d’un physique encore assez agréable alors à 51 ans. Très lié à Robert de Rothschild (lequel avait été le rival de Marcel auprès de Bertrand de Fénelon), Dreyfus se classait parmi les hommes du monde autant que parmi les intellectuels. Il tenait une chronique littéraire dans le Figaro. Il habitait toujours chez sa mère. Il ne s’était jamais marié…

Toutes choses qui permettaient de distinguer en lui le profil d’un homosexuel, au moins en puissance.

Il se troublait dès que l’on essayait d’aborder avec lui la sexualité de Proust[13]. Il craignait manifestement de se compromettre. Il est vrai que, quand on possède le profil d’un homosexuel en puissance, il suffit de peu de chose pour que ce profil devienne celui d’un homosexuel en acte. 

Dreyfus détenait des archives d’un grand intérêt sur Marcel. Cependant, si elles lui appartenaient, il ne disposait pas pour autant du droit de les publier sans l’autorisation de Robert Proust. 

Dreyfus conservait notamment une lettre écrite en septembre 1888 :

 « Connaissez-vous X, ma chère », lui demandait Marcel (17 ans alors). « X, ma chère, c’est-à-dire M. P. ? »

« Ma chère », il s’adressait ainsi par jeu à Dreyfus (15 ans alors). Quant à « M. P. », comprenez évidemment Marcel Proust. Il parlait de lui à la troisième personne pour réaliser, toujours par jeu, une sorte d’autoportrait :

Lui, M. P., « vous laisse entendre que vos yeux sont divins et que vos lèvres le tentent. Le fâcheux, ma chère, c’est qu’en quittant B qu’il a choyé, il va cajoler D, qu’il laisse bientôt pour se mettre aux pieds de E et tout de suite après sur les genoux de F. Est-ce un p… ?[14] »

Un p… ? 

Oui. Un pédéraste

Robert Proust interdit à Robert Dreyfus de faire mention de cette lettre. Robert Dreyfus se rangea volontiers à l’avis de Robert Proust. Ils se faisaient mutuellement confiance.

La biographie dreyfusienne de Marcel s’écrivit à quatre mains. Ce que signale d’ailleurs Dreyfus dans sa dédicace à Robert : « C’est toi qui m’as encouragé et décidé à rassembler mes souvenirs…[15] »

Pourquoi Robert autorisait-il volontiers Cohen à mettre en jeu la sympathie de Marcel pour le sionisme, alors qu’en même temps il faisait tout son possible pour prouver que son frère n’avait pas eu l’ombre d’une aventure homosexuelle, quitte à défier l’évidence.

Pourquoi agissait-il ainsi ? Il n’avait rien d’un homophobe, il recevait beaucoup d’homosexuels, il traitait Reynaldo comme s’il était réellement son beau-frère. 

Seulement voilà, il se dédoublait, tantôt docteur Jekyll et tantôt Mister Hyde.

En libertin, dans sa garçonnière, il ne se souciait nullement de son épouse. Il se moquait des préventions de son milieu. Le scandale que suscitait le roman de son frère amusait Mister Hyde en lui.

Cependant, redevenu le bon docteur Jekyll au domicile familial, Robert tâchait de rassurer sa femme. Il lui garantissait qu’il n’hésiterait pas à censurer les prochains volumes du roman de Marcel. Et, naturellement, il lui promettait que le monde ne saurait jamais rien des mœurs de son frère. 

Robert Dreyfus tâchait de répondre au mieux aux exigences de son complice. Il insinuait que Marcel, à 17 ans, avait perdu sa virginité dans le lit d’une courtisane.

Il témoignait que Marcel, au même âge, aimait une jeune fille qui, dans la vie, ressemblait tout à fait à Gilberte Swann dans le roman, une jeune fille de très bonne famille que lui aussi, Dreyfus, avait bien connue. Ce qu’il ne disait pas, c’est qu’elle s’appelait Jacques Bizet, cette jeune fille. 

Dreyfus était mieux placé que personne pour le savoir. Marcel lui confiait dans la même lettre : « J’aimerais dire à J. B. que je l’adore et à x ou y que je suis décadent[16]. »

Dreyfus n’hésitait pas à se livrer à une véritable falsification. Toutefois curieusement, dans ses Souvenirs sur Proust, il laissa le commentaire lié au passage censuré :

« Les adolescents précoces, tels que lui, sont ainsi faits ; ils veulent bien “tout dire” à un ami de leur choix, ils ne peuvent même pas résister au plaisir si troublant de la confession audacieuse[17]. » Un commentaire devenu incompréhensible. 

Si Marcel lui avait confié qu’il aimait une jeune fille, comme Dreyfus le prétendait, en quoi cette confidence aurait-elle été audacieuse ? Un hétérosexuel n’a pas à révéler son hétérosexualité. Il n’a pas à tout dire

En toute logique, Dreyfus aurait dû détruire cette lettre afin que personne ne puisse établir qu’il l’avait falsifiée. Et pourtant la lettre existe toujours.

* * *

En juillet 1939, un notaire contacta Suzy pour lui apprendre que Robert Dreyfus – décédé récemment – lui avait légué l’ensemble de la correspondance que son oncle lui avait adressée. 

Suzy découvrit la fameuse lettre. Elle n’en croyait pas ses yeux. C’était hallucinant. Oui, mais, cette lettre, elle en détenait la propriété à présent. Rien n’était plus facile que de la détruire. Aucune autorité légale ne pouvait l’empêcher de le faire.

Eh bien, elle ne la détruirait pas. 

* * *

         Le docteur Proust ne se souciait pas seulement de l’édition du roman de son frère, il s’était également mis en tête de diriger la publication de sa correspondance.

Il faisait systématiquement acheter les lettres de son frère qui passaient en salles de ventes, ou qui apparaissaient sur le marché de la bibliophilie. Il venait alors d’acquérir les lettres de Marcel à Robert de Montesquiou (un pédéraste notoire, l’un des principaux modèles de Charlus dans la Recherche).

Sans doute le docteur Proust comptait-il censurer tout ce qui lui déplaisait, pour une raison ou pour une autre, dans cette correspondance. 

Mais, pour autant, il ne se comportait pas comme une brute. Ses collaborateurs ne l’auraient pas toléré. Il n’était pas question de mutiler l’œuvre de Marcel. Il allait de soi que l’on ne détruirait rien, ni telle ou telle partie de son roman, ni telle ou telle partie d’un courrier.

Au contraire, les documents censurés seraient soigneusement conservés, afin qu’on puisse les publier au-delà d’un certain delai de décence.

Une procédure classique dans le monde de l’édition. On a procédé ainsi pour quantité d’ouvrages. 

Seulement Robert estimait qu’il était bien mieux placé que la maison Gallimard pour prendre la responsabilité d’un tel travail. 

On estime que Proust a écrit près de 20 000 lettres. L’édition de sa correspondance réclamait un travail considérable, de plusieurs années, peut-être même de toute une vie. 

Cattaui n’avait pas la possibilité de s’en charger. À 28 ans, alors, il venait d’entrer dans le corps diplomatique, attaché à l’ambassade d’Égypte en Tchécoslovaquie. Même s’il revenait à Paris de loin en loin, il ne pouvait pas quitter Prague trop longtemps. 

Paul Brach 

Robert confia la tâche d’éditer la correspondance de Marcel à Paul Brach, un proustien du même genre que Cattaui, un garçon d’une trentaine d’années, peut-être un amant de Marcel, en tout cas l’un de ses compagnons de sortie à la fin de sa vie, celui qui lui fit connaître le Bœuf sur le toit, une boîte de nuit fameuse alors.

Issu d’une famille de la grande bourgeoisie juive, Brach était riche. Il ne travaillait pas pour de l’argent. 

Il avait fait paraître un roman chez Gallimard. Il savait ce que c’était que d’effectuer le montage d’un texte. 

Il éprouvait pour Proust une admiration sans bornes. 

Il avait le goût du secret. 

Des qualités essentielles pour devenir – en toute discrétion – l’homme de confiance de Robert.

La Revue juive

En janvier 1925, à Paris, Albert Cohen fondait La Revue Juive avec Georges Cattaui, André Spire, Max Jacob, Benjamin Crémieux, Jean de Menasce, etc. 

Proust suscitait de l’espoir parmi les collaborateurs de la revue. Cohen développait l’idée que la culture juive pouvait renouveler le roman français de toutes sortes de manières. Et quel meilleur exemple qu’À la recherche du temps perdu ? 

Pourquoi la France n’accueillerait-elle pas en son sein un mouvement juif comparable au mouvement catholique que promouvaient, alors, Claudel, Bernanos ou Mauriac ?

* * *

« Mon cher Albert Cohen, il y aura, le 18 novembre, trois ans que Marcel Proust est mort. Il est temps que nous réalisions l’un de nos desseins les plus chers : élever un monument à la mémoire de Proust. »

Cette lettre ouverte, publiée dans La Revue juive en juillet 1925, était signée Georges Cattaui. 

Il proposait de commander une statue et de l’installer dans le jardin des Champs-Élysées. 

Gaston Gallimard aurait répliqué : « Pourquoi un monument à la mémoire de Proust, puisqu’il y a déjà une pissotière dans ce jardin ? »

Il n’en fut plus question.

Ce qui n’empêchait pas La Revue juive de se réjouir de l’importance du roman proustien pour beaucoup d’intellectuels juifs de la nouvelle génération.

Un phénomène comparable se produisait en Allemagne : À la recherche du temps perdu représentait quelque chose d’important pour des jeunes gens comme Walter Benjamin, Gershom Scholem, Hannah Arendt ou Theodor Adorno. 

Un phénomène qui commençait à apparaître en Italie autour de Giacomo Debenedetti, ou en Angleterre autour de Sydney Schiff. 

Les uns et les autres, chacun à leur manière, permettaient au roman proustien de se détacher de l’extrême droite antisémite pour gagner le côté opposé, où il apparaissait lui-même comme un roman juif, autant que comme un roman homosexuel.

Et, en définitive, ça n’avait rien de si étonnant.


1. Suzy Mante-Proust, Souvenirs, dans Proust et les siens, Plon, p. 174.

2. Selon Jacques Guérin, « Confession d’un matérialiste amoureux », Entretien avec Catherine Viollet, Génésis, n°15, 2000, réédité en ligne, persee.fr. 

[3] « Un des derniers venus dans l’amitié de Proust, un de ceux qui ont le mieux établi la liaison entre lui et les adolescents, entre lui et l’étranger », signale Paul Morand à son propos dans sa préface à L’Amitié de Proust de Georges Cattaui, Gallimard, p. 10.

3. Suzy Mante-Proust, Souvenirs, dans Proust et les siens, Plon, p. 197.

4. Marcel Proust, Albertine disparue, Pléiade, p. 153-172.

5. Marcel Proust, Albertine disparue, Pléiade, p. 165.

6. Albert Cohen, « Le Juif et les romanciers français », Revue de Genève, mars 1923, p. 348. 

7. Gérard Valbert, Conversations avec Albert Cohen, L’Âge d’homme, p. 124. 

8. Lettre à Daniel Halévy, peu après le 6 février 1914, Correspondance XIV, Plon, p. 350.

9. Maurice Barrès, Cahiers, cité par Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, Calmann-Lévy, t. II, p. 449.

10. Charles Maurras, L’Action française, 12 mai 1921, cité par Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, Calmann-Lévy, t. II, p. 457.

11. Suzy Mante-Proust, Souvenirs, dans Proust et les siens, Plon, p. 145-146.

12. D’après Philip Kolb, cité par Luc Fraisse, La Correspondance de Proust, PUF, chap. III, réédité en ligne. books.openedition.org.

13. Marcel Proust, Lettre à Robert Dreyfus, vers le 10 septembre 1888, Lettres, Plon, p. 81.

14. Robert Dreyfus, Souvenirs sur Marcel Proust, Grasset, p. 11.

15. Marcel Proust, Lettre à Robert Dreyfus, vers le 10 septembre 1888, in Lettres, Plon, p. 80.

16. Robert Dreyfus, Souvenirs sur Marcel Proust, Grasset, p. 40.