…Des blessures humaines et noires, qui n’ont plus de remède et manqueront de secours… Dans l’avion, je relis le poème de Bialik, « Dans la ville du massacre », plongeant son lecteur dans l’horreur du pogrom de Kichinev. D’une langue quasi-biblique, il décrit les maisons éventrées, les vieillards massacrés, les ustensiles brisés, les femmes violées devant leurs filles, les survivants qui sont morts dans l’esprit. Ce texte a joué un rôle majeur dans l’histoire du sionisme, pour avoir forgé le motif de la « passivité juive » : devant une telle désolation, Bialik s’indigne que son peuple se soit laissé tuer, trahissant l’héritage des « braves Macchabées ». Pourquoi, s’écrie-t-il, se contenter du désespoir ? À quoi bon se résigner dans le statut d’éternelle victime, expiant une haine intemporelle qui ne disparaîtra jamais de la face du monde ? Si ce pogrom ne déclenche pas de sursaut dans les âmes, avertit-il, alors il se répètera, demain ou après-demain.
…Tout récidivera, tout recommencera comme si rien ne s’était passé… À moins, bien sûr, qu’un chant de révolte ne vienne briser le cours de cette malédiction. Et ce chant, celui de Bialik, joua un rôle éminent dans l’histoire du sionisme. Il devint comme son hymne implicite, guidant les jeunesses juives vers cette certitude : contre le cycle des pogroms, la création d’un État d’Israël est le seul salut.
Le 7 octobre, pourtant, tout a recommencé : comme l’hébreu l’a nommée, cette date fut un samedi noir. Noir, la couleur des blessures mentionnées par Bialik. Derrière elles, des images qui surgissent semblables. Actuelles et pourtant empreintes du passé – d’un passé qui déferle. Comme si elles procédaient d’un événement, non seulement traumatisant, mais d’emblée traumatique : un événement qui ne s’appartient pas, qui devait être enterré à jamais dans les siècles d’hier. Retour à Bialik, donc ? Dans les villes du massacre, dans le pays du massacre ? Sauf que ce pays est Israël. Une nation construite, pensée, habitée pour dépasser le passé. Et voilà que l’exil s’y produit : Israël devenu, en l’espace de quelques heures, un morceau de Pologne ou de Bessarabie. J’imagine la cassure qui dut en résulter. La stupeur que provoque pareil drame dans n’importe quelle nation. La teinte particulière qu’elle endosse dans celle-ci. Avec le deuil, à travers l’humiliation, cette angoisse : et si le sionisme, l’idée même de sionisme, n’était qu’une parenthèse – un mirage du désert, une pause dans le cycle de l’exil ? Dans cette question, l’inquiétude formulée par Raphaël Zagury-Orly : Israël, le 7 octobre, a été confronté à la possibilité de son impossibilité. C’est-à-dire à sa mort.
Qu’advient-il au lendemain d’une mort ? À quoi le traumatisme d’Israël ressemblera-t-il ? Je n’ai pas d’idée fixe, mais ne peux m’empêcher de songer à deux précédents récents : la France d’après le Bataclan, exsangue et abattue (« Vous n’aurez pas ma haine ») ; les États-Unis à la suite du 11 septembre, en proie du syndrome de l’auto-immunité décrit par Derrida (« croisade », Patriot Act, guerre mensongère en Irak… jusqu’à Trump). Que sera, où en sera la société d’Israël ?
Autre doute : que sont devenues les grandes divisions qui habitaient le pays ces dernières années – ces clivages qui étaient à un rien d’atteindre le point de non-retour ? Le 7 octobre a-t-il tranché des nœuds ou creusé des béances ?
La question des otages. Historiquement, Israël a toujours tenu la même position : tous les moyens sont bons pour les récupérer, quitte à négocier avec des terroristes. Il y a dix ans, 1 000 prisonniers palestiniens furent échangés contre la libération de Gilad Shalit, parmi lesquels certains terroristes qui participèrent aux tueries du 7 octobre. Mais là, le nombre est vertigineux. Plus de 200 otages, cachés dans des tunnels, dans des conditions que personne n’ose vraiment imaginer. Que faire, que dire, que penser de cette angoisse ?
Et puis Gaza : le sort des civils m’importe. Je crois d’ailleurs être le seul Français qui, cet été, ait consacré une chronique entière à la révolte qu’ils menaient contre le pouvoir du Hamas. Je n’ignore pas que, depuis 2007, ils en sont les premiers otages. Je pense aux enfants, aux familles, vivant sous la coupe des islamistes et subissant les conséquences de cette conjoncture. Je vois bien le dilemme moral : comment se défendre contre des terroristes qui utilisent les civils comme boucliers humains ? N’ayant aucune compétence militaire, je ne peux que me situer au niveau des principes. Je constate par exemple que les bombardements de 2014 n’ont fait que renforcer l’influence et le poids du Hamas. Je ne veux pas rentrer un seul instant dans ce débat morbide sur la valeur respective des vies en fonction de leur identité. Et, sur un plan purement politique, une immense zone d’ombre : à supposer que demain le Hamas soit éradiqué, qu’adviendrait-il ensuite ? Une spirale semble s’être ouverte, avec ses apories.
Toutes ces questions me travaillent depuis le 7 octobre. À vrai dire mon regard n’est pas neutre. Avant ce samedi noir, cela faisait un certain temps que je ne comprenais plus Israël, l’Israël que j’aimais. Je partageais le pressentiment qu’il était en train de foncer tête baissée dans le mur des prophéties bibliques – ces belles voix, elles aussi poétiques, qui rappelaient à Israël que son plus grand danger était une menace intestine : le risque de transformer un héritage en abomination. Aussi, apprenant que le KKL organisait un voyage de presse, je n’ai pas hésité. À présent, l’avion entame sa descente. À cause des roquettes, il évite le couloir aérien usuel – il approche le pays par Haïfa, survole la Galilée, longe les montagnes de Jérusalem et atterrit par l’Est.
Aéroport fantôme. Autoroute presque vide. Tel Aviv paraît déserte, en apnée dans la nuit. L’hôtel où nous logeons n’échappe pas à cette ambiance : il a été réquisitionné pour abriter les familles de déplacés. Venant du pourtour de Gaza, elles ont déplacé ici leurs villes et leurs villages. Au réfectoire, je les observe dîner. Certains sont descendus en pyjama, comme si la vie quotidienne devait continuer telle quelle et qu’il incombait au restaurant de se conformer aux habitudes d’avant, quitte à ressembler à la cuisine de leur maison quittée. D’autres au contraire, légèrement endimanchés, ont manifestement pris soin de s’habiller, de se coiffer au mieux. Pour eux, l’exigence de continuer à vivre paraît conduire au raisonnement opposé : il faut malgré tout s’acclimater à la réalité de l’hôtel, s’adapter à la situation et, pour conjurer le cauchemar, simuler les vacances dans la guerre. Je remarque un adolescent sur son 31 qui essaie de plaire à sa voisine de table. Mais la voisine fait partie du clan des pyjamas et reste la tête vissée sur son téléphone. Petits drames dans les grands.
Lendemain matin. Bus blindé vers le Sud. Une grande partie de la région est interdite d’accès, réservée aux militaires et à la presse. Nous arrivons à Ofakim, l’une des villes suppliciées du 7 octobre. Fondée en 1950, située à 23 kilomètres de Gaza, elle est essentiellement habitée par des immigrants issus d’Afrique du Nord ou d’Irak. Assez pauvre, elle a très mal vécu la libéralisation de l’économie ; le taux de chômage y est très important. Mais aujourd’hui la ville est en léthargie. La plupart des résidents ont été évacués et les autres, ceux qui tenaient à demeurer dans leurs maisons, refusent cependant d’en sortir. Encore tétanisés, la plupart n’ose même pas, nous dit-on, s’aventurer dans les rues pour répondre à nos questions. Qui, des déplacés ou des calfeutrés, sont les plus traumatisés ?
Benjamin Malka est rabbin, dirige le conseil religieux d’Ofakim et officie à Zaka, un organisme chargé de l’identification des corps. Le 7 octobre, il priait à la synagogue quand retentirent les sirènes indiquant que des roquettes étaient tirées depuis Gaza. Quelques minutes plus tard, son fils fit irruption dans la salle de prière : « Ce ne sont pas seulement des roquettes ! Quelque chose se passe, de grave. Des terroristes aux alentours, peut-être dans les rues. » Aussitôt, il se précipita à la mairie, où on lui fit état de dix morts. Une demi-heure plus tard, le nombre était monté à trente. Tout au long de la journée, les ambulances défilaient, ramenant les cadavres d’Ofakim mais aussi du festival de musique Nova, où le Hamas massacra des centaines de civils. Benjamin Malka a l’habitude des cadavres abîmés, puisque sa fonction est précisément de recueillir ceux des catastrophes naturelles ou humaines. Mais sa voix s’assombrit et son regard se creuse. « À Nova, les terroristes ont séparé les femmes ‘‘belles’’ des autres. Ils les ont violées en masse, avant de déféquer sur elles et de les déchiqueter vivantes. Les ambulances qui provenaient du festival ne contenaient pas des ‘‘cadavres’’, mais des morceaux de jambes, des mains découpées, des torses lacérés, des seins sectionnés, des yeux exorbités, des visages arrachés. »
L’attaque du Hamas sur Ofakim était soigneusement préparée. Les terroristes connaissaient précisément les plans de la ville. En ce jour de fête juive, ils savaient où se situaient les synagogues et les abris anti-aériens où les civils se réfugieraient lors de la salve de roquettes. Le projet était de les effrayer par un barrage de missiles et de venir les exécuter une fois qu’ils se seraient regroupés dans les chambres fortes. Benjamin Malka nous montre un jardin d’enfants, semblable à n’importe quelle aire de jeux : des balançoires, des toboggans, du caoutchouc granulé au sol, des sièges sur ressorts et, au milieu, une butte recouverte d’herbe. « C’est ici, nous dit-il, que tout a commencé. Une cinquantaine de terroristes sont arrivés sur des pick-ups blancs. Ils se sont rassemblés dans ce jardin qui leur a servi de centre de commandement. Pendant une dizaine de minutes, ils se sont organisés et réparti les cibles. Puis, ils se sont rués sur la ville. »
Dans la cour d’un immeuble, un homme a été abattu. À l’intérieur d’un abri dont la porte a cédé, des murs maculés de rouge. Là, une maison à moitié en ruines dont le mur, carbonisé, porte des dizaines de traces de balles. Au premier étage, des traces de sang où se dessine nettement la forme des cadavres. Partout sur les trottoirs, des petits mémoriaux : bougies, pancartes et photos. Au cimetière, beaucoup de piquets plantés sur des tombes fraiches. Benjamin Malka nous montre la nouvelle chambre froide, bien plus grande, dont la municipalité vient de faire l’acquisition, au cas où, dit-il dans une périphrase, « un tremblement de terre » frapperait la ville. Mais il nous raconte aussi la bravoure des habitants d’Ofakim qui, à la vue du massacre, sortirent affronter les terroristes, les poussant par endroits à se retrancher dans des appartements. Sans cela, imagine-t-il, sans doute auraient-ils roulé jusqu’à Beer-Sheva.
À l’hôpital Shira de Tel Aviv, Gal Levy est en fauteuil roulant, sa jambe gauche entièrement plâtrée. Sud-Américain vivant en Israël depuis deux mois, il était au festival Nova. Son témoignage ressemble à celui des victimes du Bataclan : « Toute la nuit, we had fun. Vers 6 heures, la musique s’est interrompue avec les sirènes indiquant une salve de missiles. Nous nous sommes allongés au sol, sans grande inquiétude. Puis nous avons entendu des coups de feu. Et des cris. ‘‘Attention, il y a des terroristes !’’ Je me suis caché sous la scène mais ce refuge était trop évident. À mesure qu’ils s’approchaient, je me disais qu’ils ne pouvaient pas ne pas avoir l’idée de me traquer ici. Alors, avec un petit groupe, nous nous sommes planqués dans le bâtiment de la billetterie. De nouveau, j’entendais qu’ils avançaient vers nous. Les murs étaient en plâtre, ils n’ont pas résisté à la rafale des kalachnikovs. Une balle a traversé entièrement mon genou et s’est plantée dans mon autre jambe. Pendant six heures, je suis resté terré, me vivant de mon sang. Mon corps me faisait chaud et me glaçait en même temps. » Nous lui demandons comment il vit depuis ces trois semaines. Reclus dans son hôpital, il refuse de lire les actualités, de regarder la télé ou les réseaux sociaux. Malgré ses pectoraux saillants, il a des yeux d’enfant.
Un rescapé d’un kibboutz, blessé au bras, ajoute : « Ce qu’il faut que vous compreniez, c’est que les gens du Hamas prenaient leur pied. Quand ils tiraient dans la foule, quand ils incendiaient les maisons avec leurs habitants, quand ils violaient les mères, les filles et les vieillardes, quand ils découpaient les doigts d’un petit garçon, quand ils brûlaient vifs les civils qu’ils avaient ligotés, ils jouissaient. Je revois leurs rires, leurs hurlements de joie. C’était pour eux une extase, une partie de plaisir. »
Le soir, les rues de Tel Aviv une nouvelle fois désertes. Elles portent encore les stigmates d’un autre combat, intestin celui-ci – l’immense mobilisation qui naquit lorsque l’extrême-droite israélienne arriva au pouvoir et qu’elle engagea sa réforme de la justice. Les affiches de la contestation sont restées, même si elles ont été recouvertes par d’autres slogans : « Mon cœur saigne », « Libérez les otages à tout prix », « Ensemble nous gagnerons », « Les Juifs et les Arabes refusent d’être ennemis », « Bibi dégage ! », « Il n’y a pas de droite et de gauche ». La place Dizengoff, qui était il y a quelques semaines le théâtre d’intenses affrontements entre Juifs orthodoxes et libéraux lors de la fête de Kippour, est devenue un lieu de rassemblement en faveur des otages. Les peluches, les œuvres d’art et les photographies côtoient les psautiers. La société semble avoir laissé de côté toutes ses divisions pour communier, ici.
Que signifie cette suspension des clivages ? Dans un bar, l’Israélienne avec laquelle j’ai rendez-vous examine ce sentiment. « Le 7 octobre, analyse-t-elle, a été un tel cataclysme qu’il a envoyé valser toutes les certitudes, tous les dogmatismes dont nous étions, toutes et tous, pétris ces derniers temps. Autour de moi, tant de gens ont changé d’avis. Je connais tant de personnes de gauche qui, ayant toujours milité pour la paix, ont soudain cessé d’y croire. Et tant de fanatiques absolus de Netanyahou qui, depuis le 7 octobre, veulent le voir en prison et parlent de la nécessité d’une paix définitive avec la Palestine. »
Cette remarque me frappe. Je repense à cette conversation téléphonique que j’ai eue, dès le 9 octobre, avec un ami israélien. Nous avions l’habitude de nous disputer quand nous parlions politique. Mais son ton, cette fois, était différent :
« – Moi qui ai toujours soutenu bec et ongles la politique de Netanyahou, tu ne peux pas savoir à quel point je lui en veux. Cela fait quinze ans qu’il accuse la gauche de mettre Israël en danger. Mais là, est-il venu de la gauche, le danger ? Ou bien de celui qui prétendait protéger le pays ? Le pire, dans tout cela, c’est que je suis bien obligé d’admettre que les journalistes d’Haaretz ont raison. Quand ils disaient depuis des mois que Netanyahou fragilisait notre peuple, je les trouvais ridicules. Pourtant, force est d’admettre que le Hamas a vu que nous étions vulnérables. Et que Netanyahou était tellement obsédé par ses procès, tellement admiratif de Trump, tellement adepte du culte de la force, qu’il en a sacrifié les intérêts de la nation sur l’autel de sa survie politicienne. »
Réciproquement, dans les jours qui suivront, je rencontrerai au Parlement un Israélien, ex-contempteur du Likoud, qui me tiendra le discours inverse :
« – J’ai passé toute ma vie à me battre pour la tolérance. J’ai fait des manifestations avec des Palestiniens, j’ai milité ardemment pour le vivre-ensemble, pour une solution à deux États et contre la colonisation en Cisjordanie. Mais là, depuis le samedi noir, je n’y crois plus. Des balivernes, ces idéaux de dialogue. Le réel ne va pas dans ce sens. Nous nous sommes retirés de Gaza en 2005, persuadés que ce territoire deviendrait le Singapour les Palestiniens, voici le résultat ! Que se serait-il passé si nous étions partis de la Cisjordanie ? J’ai perdu toute confiance en la coexistence. À vrai dire, je ne crois plus en rien, exceptée la survie. »
Cette autre Israélienne, elle aussi de gauche, qui nuance dans un café :
« – C’est trop facile de tout imputer à Netanyahou, et ce pour trois raisons. 1) Il y a eu deux Netanyahou. Moi qui ne le porte pourtant pas dans mon cœur, je suis obligée d’admettre que le premier Netanyahou avait un certain cran. Un côté Churchill, visionnaire sur l’Iran, courageux sur la scène mondiale. Mais depuis 2018 est arrivé un autre Netanyahou, abîmé par les procès, prêt à tout pour échapper à la case prison. Je déteste la corruption. Mais étaient-elles vraiment nécessaires, ces affaires judiciaires ? Par rapport au drame que nous vivons, n’étaient-elles pas médiocres, mesquines ? N’ont-elles pas eu un effet contreproductif dans le pays, en déclenchant ce projet de réforme de la justice ? 2) Le style de Netanyahou, au fond, n’est que le reflet des divisions qui fragmentent notre peuple. À certains égards, en amont de la guerre avec la Palestine, il existe un conflit israélo-israélien. Des visions d’Israël qui ne partagent rien en commun : le désir d’une société ouverte, démocrate et occidentalisée contre le paradigme d’un État religieux, enraciné dans l’histoire des royaumes bibliques. Netanyahou, finalement, n’est rien que le symptôme de cet affrontement. 3) Aujourd’hui, nous avons affaire à un échec collectif. Tout le monde doit reconnaître ses torts. Tout le monde sans exception. Depuis le 7 octobre, nous sommes confrontés à une crise existentielle. Une deuxième guerre d’Indépendance. Car, par-delà la guerre contre le Hamas, par-delà le deuil, ce qui s’engage aujourd’hui et demain, c’est la redéfinition de l’État d’Israël.
Le débat public se serait-il mis à œuvrer à l’envers ? Les citoyens, traversés par un sursaut de conscience autocritique, ont-ils remplacé l’éristique par l’introspection ? Lassés des disputes et des clashs, cherchent-ils à se remettre en cause, à bousculer leurs automatismes mentaux, à briser la gangue des idéologies ? Ou est-ce moi qui projette mes illusions (mes désirs ?) sur une réalité dont je sélectionne les fragments qui vont dans le sens de ce que je veux y voir ? Je ne le sais. Mais cette idée d’une table rase, d’une refondation radicale de l’État, d’un reset général d’Israël, cette idée d’une année zéro après soixante-quinze ans d’existence, d’un pays replongeant dans son enfance après s’être vu sur le point de mourir, et questionnant à nouveaux frais le socle même de sa raison d’être – cette idée-là, je la trouve belle, pour tout dire exaltante.
Dans le nord de Tel Aviv, le parc des expositions, habituellement réservé aux entreprises de high-tech, a été transformé en centre d’aide destiné aux populations civiles. À l’origine de cette initiative, l’association « Frères d’armes », l’un des collectifs les plus importants de la mobilisation contre la réforme judiciaire. L’organisation, qui était initialement un groupe WhatsApp réunissant sept membres, compte désormais 300 000 followers. Aux grandes heures de la contestation, s’opposant à la perspective d’une politisation de la justice, défendant le principe d’un Israël à la pointe de la démocratie, elle a notamment déclenché une vague de protestations auprès des réservistes. Pourtant, dès le matin du 7 octobre, les « Frères d’armes » ont renoncé à toutes leurs actions politiques. Rebaptisés « Frères et sœurs d’Israël », ils ont réquisitionné les sous-sols du parc des expositions pour en faire un centre d’urgence.
Le temple des high-techs reconverti en espace humanitaire, quel symbole, tout de même. Il fait écho à cette petite musique, unanime chez les Israéliens, que je n’ai cessé d’entendre depuis mon arrivée : « notre erreur, c’est d’avoir trop fait confiance à la technologie ! Nous pensions qu’un mur dernier cri, que des caméras de pointe, que l’intelligence artificielle nous protégeaient. Nous avions tendance à nous reposer sur les machines. Travailler dans la tech’, c’était hier encore le premier idéal du pays. Nous la vénérions un peu comme un fétiche aux dépens de nous-mêmes : de la prudence, de la mémoire, de la culture humaines. Or, nous l’avons vu, la technologie ne sert à rien quand nous voulons qu’elle nous remplace l’âme. »
Nous descendons au parking. Malgré la chaleur accablante, des bridages entières de civils s’activent. Elles s’attèlent à la tâche. En short, en tongs et en débardeur, ils trient les centaines de cartons que livrent des camions : ce sont des dons venus de tout le pays pour aider les victimes, les blessés, les survivants et les évacués. Il faut séparer les layettes des ustensiles de deuil, les jouets des chaussures. À la place des voitures, des rayons s’organisent : « Femmes enceintes », « Bébés », « Jouets pour enfants », « Vêtements et chaises de deuil »… Un membre du collectif commente : « Dès le 7 octobre, nous avons reçu des milliers de sollicitations. Les gens cherchaient à se rendre utiles par tous les moyens. Ils en oubliaient leurs convictions politiques et leur statut social. Certains partisans de Netanyahou, qui nous insultaient encore il y a quelques semaines, et qui pensent le plus grand mal de nos mobilisations d’hier, font partie de nos bénévoles les plus acharnés. Et j’ai vu récemment un milliardaire célèbre en Israël, patron de l’une des plus grandes entreprises du pays, se pointer au centre à l’aube, désireux de nous donner un coup de main. Jusqu’au soir, il a porté des cartons, trié des caleçons et des paires de chaussettes. »
Milliardaires ou non, les civils sont là. De tous les âges, de tous les habitus, ensemble et en sueurs, les mains dans le cambouis de l’unité retrouvée. Provisoire ? Féconde ? Pleine d’espoir dans le drame ? Retour au sionisme des origines et à ses forces libres ? Comme l’avènement conjoint d’un traumatisme et d’une renaissance ?
Le besoin d’unite est essentiel en Israel au moment des crises militaires. Sans l’armee, Israel disparaitra en moins d’une semaine parallellement a la moitie de la population juive mondiale.
Mais cette unite commence deja a se fissurer. Les Juifs americains, liberaux en tres grande majorite, font pression sur Biden pour que celui-ci modere Israel. Pour l’instant, il resiste, mais combien de temps cela durera? Et si par malheur l’armee israelienne faisait une erreur humanitaire, le cessez-le-feu nous sera impose et le Hamas criera victoire.
MERCI de ce papier avec cette bonne question Qu’arrive-t-il après la mort?
À lire votre poignant témoignage, moi qui suis ‘baptisé de christianisme’, si je puis dire, cette religion d’emprunt, comme s’exprimait en 2016 avec grande justesse Monsieur B.-H. Lévy–, je me dis que ce qui a surgi là, ce 7 octobre fatidique –surgissement qui, oh mon Dieu, rappelle par sa fureur une scène d’horreur que je viens innocemment, comme de juste, de (re)visionner, une des premières du film ‘Alien’ (Ridley Scott, 1079) : l’expulsion poitrinaire de la Bête–, c’est le réel incompréhensible et opaque de l’ «anamnèse oubliée» des enfants d’Israël.
Car il ne peut y avoir de fumée sans feu. Les deux passages suivants, cf. ci-dessous, du Midrash Rabbah, 55-7 et 61-7, ne peuvent tout de même pas être là par hasard. Or, curieusement, tous ceux auprès de qui j’ai titillé la sensibilité, juifs ou arabes ou chrétiens, personne n’en veut rien savoir.
Voilà. C’est peu de choses mais je souhaitais vous en faire part.
שָׁלוֹם עֲלֵיכֶם , du fond du coeur.
>>> https://www.sefaria.org/Bereshit_Rabbah.55.7?lang=bi
>>> https://www.sefaria.org/Bereshit_Rabbah.61.7?lang=bi