L’évolution de la situation politique en Israël depuis le mois de janvier a suscité une profonde inquiétude chez les Juifs de diaspora. Cette inquiétude compte autant de nuances qu’il existe d’opinions et d’attachements différents, plus ou moins religieux, culturels, laïcs ou politiques, à Israël. Au cours des semaines qui viennent de s’écouler, chacun a exprimé à sa façon une peur pour l’âme d’Israël ou, plus loin, pour « Am Israel », en hébreu « le peuple d’Israël », c’est-à-dire le peuple juif.
La crise et les mobilisations générées par le débat autour de la réforme judiciaire proposée par la coalition gouvernementale actuelle, la plus à droite de l’histoire d’Israël, ont mis à nu les rancœurs qui ont structuré depuis sa création les rapports entre groupes ethno-culturels en Israël, entre ashkénazes et séfarades et entre juifs et arabes notamment. Si la mobilisation de la minorité arabe fut faible, celle-ci se sentant peu concernée sinon exclue des débats qui agitent la société israélienne, l’assaut donné sur la Cour Suprême fut considéré par certains comme une revanche des séfarades méprisés par « l’élite » ashkénaze aux manettes de la plus Haute Cour.
Plus loin, la situation en Israël et les réactions suscitées donnent à voir tous les niveaux de compréhension, d’appréhension et d’appréciation dont « l’État juif et démocratique » fait l’objet, à l’intérieur et depuis l’extérieur du pays. Autant de questions existentielles sont ainsi posées : le sionisme de Théodore Herzl ou de David Ben Gourion est-il un nationalisme comme un autre ou un messianisme ? La démocratie en Israël est-elle en voie de d’érosion ? Est-elle plus que jamais vivante ou n’a-t-elle jamais vraiment existé ? Et quel modèle de régime démocratique Israël doit-il suivre ? L’État d’Israël est-il théocratique ou laïque ? Mais l’État juif peut-il seulement être l’un ou l’autre ? Ces dernières questions sont intriquées et y répondre de façon catégorique pourrait bel et bien causer une fragmentation irréversible de « l’âm(e) (d’)Israël ».
À l’occasion du 75ème anniversaire de l’indépendance de l’État, et si la tourmente dans laquelle nous sommes plongés était une invitation à repenser les choses autrement ? Au moment de sa création, la possibilité d’Israël a reposé sur un compromis entre les différents groupes qui le composaient. Aux vues des évolutions sociologiques et démographiques depuis 1948, si retrouver le même compromis semble impossible, s’il n’est sans doute même pas souhaitable – c’est en effet aussi à partir de lui que se sont creusés les fossés que nous déplorons aujourd’hui, le temps n’est-il pas venu de redéfinir les termes du débat ? Et la proposition faite par le président Isaac Herzog, que l’American Jewish Committee a soutenu, d’à la fois rechercher le consensus le plus large et d’amorcer, peut-être, la rédaction d’une Constitution, n’en fournirait-elle pas l’occasion ?
Face à ce à quoi nous venons d’assister, tous les désespoirs et tous les espoirs sont permis. En effet, l’inquiétude que nous venons de décrire devient double voire triple lorsque les ennemis d’Israël profitent de cette crise : c’est, depuis le mois de janvier, plus d’un attentat terroriste palestinien par semaine. C’est, début mars, la confirmation par l’agence de l’AEIA que l’Iran s’était dangereusement rapproché du seuil des 90% d’enrichissement d’uranium. Ce sont les fidèles opposants à l’État juif contre lesquels les juifs de diaspora tâchent au quotidien de se prémunir et qui resserrent l’étau dans lequel ils souhaiteraient enfermer Israël : « anomalie occidentale » dans un Orient fantasmé pour les uns, démocratie illusoire depuis le départ pour les autres ou État composite, instable et autoritaire à l’image de ses voisins. Charge à l’âm(e) (d’)Israël de s’en libérer. Charge à elle d’affirmer qu’il n’existe peut-être pas pour Israël de modèle préexistant auquel se conformer mais que l’État juif et démocratique, État-nation du peuple juif, cas unique de peuple dont les dimensions « nationale » et « religieuse » forment les deux faces d’une même pièce, persistera dans sa singularité. Charge à ses différentes composantes de se départir des tentations radicales et de construire, si non un nouveau compromis, du moins les bases du dialogue pour une nouvelle forme de cohésion nationale. D’après les estimations, les dernières manifestations en Israël, notamment le rassemblement spontané qui a fait suite à l’annonce du limogeage du ministre de la défense Yoav Galant, ont rassemblé plus de 600 000 personnes – c’est un peu comme si le soir de la validation de la loi sur réforme des retraites par le Conseil constitutionnel, sept millions de Français étaient descendus dans la rue ! C’est un soulèvement sans précédent dans l’histoire récente de nos démocraties, preuve, s’il en est, que l’âme d’Israël vit, ou, plus loin, qu’« Am Israel haï » : le peuple d’Israël est vivant.
Anne-Sophie Sebban-Bécache est directrice de l’American Jewish Committee à Paris.
Cet article est paru originellement dans Actualité Juive.
« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » – Montesquieu .
Je ne vous apprends rien en disant que les manifestations du peuple israélien sont l’expression la plus démocratique qu’elle soit de ce pouvoir citoyen ou contre-pouvoir qui s’oppose à celui de ses gouvernants pour arrêter leurs dérives autoritaires, illibérales.
Le peuple israélien se bat pour la survie de sa démocratie, pour que le pouvoir qu’il a désigné et qui le représente ne finisse pas par s’associer à l’abus du pouvoir.
Ils ont ouvertement et avec force exprimé qu’ils ne veulent pas un régime qui glisserait vers la fascisation de la société.
Ils ont clairement récusé la « corruption » de la démocratie par cette volonté de soumission de la justice au pouvoir exécutif, contrevenant ainsi aux fondements de la démocratie : la séparation des pouvoirs.
Concentration et abus vont de pair. Mais pas seulement.
Une société qui n’a pas organisé ses propres garde-fous, ses contre-pouvoirs, ne pourra que dériver vers des régimes autoritaires, voir à terme vers des totalitarismes de quelque nature qu’ils soient.
Israël a été et est encore un phare de la civilisation démocratique, telle que nous l’admirons en Europe et dans le monde occidental, mais qui sait aussi d’être entouré par l’obscurantisme des dictatures islamistes n’attendant autre que de voire ce rayonnement s’affaiblir, s’éteindre.
L’Europe démocratique et libérale doit être à coté du peuple juif et le soutenir dans sa lutte pour la démocratie.