Gilles Hertzog : Vous vous êtes beaucoup confrontés aux Russes ?

Luc : Oui. Ici, c’est vraiment chaud. On a des contacts à dix mètres.

Encore maintenant ?

Non, plus maintenant, car maintenant ils s’en vont, ils fuient, parce qu’on est là pour se battre et qu’eux sont fatigués, ils n’en peuvent plus. Néanmoins, il y a toujours le rapport de puissance qui fait qu’ils sont là, ils ont la puissance de feu, ils ont ce qu’il faut – mais les hommes sont fatigués.

Est-ce que vous vous êtes fait bombarder ici ?

Ici, non. Ce sont les stigmates des affrontements qu’il y a eus quand les Russes sont partis, notamment les unités de logistique. Ils n’ont pas eu le temps de s’enfuir. On les a attrapés.

Vous avez fait des prisonniers ?

Oui. Quelques-uns ont essayé de se tirer une balle de tête plutôt que de se rendre – c’est comme ça, c’est la guerre. Avec ceux qui se rendent, on respecte absolument toutes les conventions françaises et internationales, même s’ils ne font pas partie de l’OTAN. Quand on voit ce que les Russes font aux civils, à des bébés, à des enfants, on doit rester humains et se dire qu’on ne doit pas devenir comme eux.

Vous avez fait beaucoup de prisonniers ?

Ici, ils en ont fait quelques-uns. Je pense que la première et la deuxième compagnie ont fait davantage de prisonniers. Il y a eu beaucoup d’échanges d’infanterie à infanterie.

D’artillerie ?

D’artillerie, oui. Mais ils n’ont pas eu le temps de se repositionner correctement, ici ça a vraiment été des combats d’infanterie.

Que vous avez gagnés.

Les collègues sont là pour en parler. Tout le monde est joyeux et on n’attend que ça : repartir !

Repartir ? Où ça ?

Repartir : les repousser.

Le front est assez loin d’ici, non ?

Oui, nous sommes à une vingtaine, une trentaine de kilomètres du front.

Vous allez au front de temps en temps ?

En fait, ce bataillon a vraiment mené beaucoup de combats, durant lesquels les gars sont restés une semaine sur le terrain. Ça a été très difficile pour le corps et l’esprit. Alors le commandement ukrainien a décidé de mettre cette unité en réserve avec une autre unité pour deux ou trois semaines de repos. Et puis après, on repart !

Vous ne savez pas encore où ?

Non, on ne sait pas. Maintenant que les offensives sont lancées, il n’y a pas vraiment de guerre de tranchées ou quoi que ce soit. On se prépare, c’est tout. Les Russes sont bêtes, ils ne font pas de deuxième ou troisième ligne. C’est pour ça qu’ils ont enfoncé les lignes à Louhansk.

Il n’y a pas de troisième ligne ? Pas de ligne du tout ?

Une première ligne, une deuxième ligne, et après, tout ce qu’il y avait derrière, c’était du ravitaillement, parce qu’ils pensaient que les Ukrainiens allaient rester à la première ligne…

Vous avez pris beaucoup de matériel aux Russes ?

Énormément !

Vous savez vous en servir ou non ?

Ça dépend des modèles. Certains modèles, oui, on sait s’en servir. Après, c’est comme tout : dans l’armée, si on veut sortir de certaines situations, on est obligé d’apprendre tous les jours. On apprend sur tous les modèles : les tanks, l’artillerie ou les armes…

Vous-même, par exemple, vous savez conduire un tank ?

Non, je ne sais pas conduire un tank, mais je peux apprendre à conduire un tank. Tout le monde ici est en capacité d’apprendre à conduire un tank. Mais ce n’est pas non plus l’objectif. Si on veut apprendre à conduire un tank, c’est pour le récupérer. On n’est pas un bataillon de tanks, on est un bataillon d’infanterie. Ce qu’on sait utiliser, c’est tout ce qui est BMP2, BTR… Si on doit apprendre un BTR ou un BMP2, on va le mettre sur un équipage qui va s’entraîner pendant une semaine pour bien maîtriser le matériel et être opérationnel sur le terrain. Certaines unités travaillent ensemble.

Vous avez le sentiment que vous allez gagner la guerre ?

Ce n’est pas un sentiment. On va gagner la guerre. 

Vous avez donc la certitude que vous allez gagner la guerre…

Bien sûr que oui. La seule chose qu’a Poutine, c’est l’arme nucléaire.

On a affronté absolument toutes les grosses unités. Ce bataillon s’est battu contre des troupes d’élite, les Spetsnaz, etc. Mais en fait, ils sont complètement stupides.

Ah bon ?

Oui, complètement idiots. Je ne sais pas comment c’est managé, mais honnêtement, ils n’ont plus rien à faire.

Vous les avez donc battus facilement ?

Ils ont fui. Quand on a reçu l’ordre de lancer l’offensive, il n’y avait plus personne. On a quand même eu des accrochages dans des forêts. On pouvait les voir à dix mètres. Il y a eu de gros échanges entre les unités de reconnaissance, des échanges en général très violents. J’ai perdu quelques amis, il y a eu beaucoup de blessés. Les échanges sont violents parce que ce sont des forêts linéaires qui s’étendent sur cinq ou dix mètres, pas plus. Donc quand il y a des coups de feu…

Vous ne pouvez pas tirer directement ?

Si, on tire, on donne le plus de munitions possible. On commence soit à se replier, soit à entamer une position de défensive, pour pouvoir rester sur cette position. Mais le problème, c’est qu’après, il y a l’artillerie, les tanks, l’aviation, les hélicoptères russes qui arrivent.

Vous avez affronté tout ça ?

Oui. Quatre mois à prendre du plomb sur la tête… Nuit et jour, sans répit.

Quatre mois !

Quatre mois.

Vous étiez lessivés ?

On est tous fatigués.

Ici, vous vous reposez un peu ?

On se repose, mais on reste actifs, on s’entraîne tous les jours. On est prêts.

Vous êtes prêts pour une nouvelle offensive ?

Oui. Tout le monde ici veut repartir ! On veut dégager les Russes du pays. On veut récupérer le Donbass, récupérer la Crimée.

Même la Crimée ?

On récupérera tout. Il est impossible de lâcher ça. Lorsque j’ai vu le début du conflit arriver, pour moi, la question ne s’est même pas posée : j’ai préparé mes affaires et je suis parti, tout simplement.

Et les Ukrainiens vous ont tout de suite accepté ?

Lorsque je suis arrivé dans le pays, je suis allé au ministère de la Défense, à Lviv, et j’ai dit : « Voilà comment je peux vous aider à informer ou à me battre. » Alors ils m’ont directement dirigé vers ce bataillon, puis je suis arrivé ici et j’ai commencé à faire ce que je savais faire.

Vous êtes donc à la fois un combattant et un instructeur ?

Oui, j’ai une expérience et un savoir-faire que je peux transmettre. Nous apprenons les uns des autres, nous nous donnons mutuellement des conseils ; nous nous aidons tous. Ici, il n’y a pas vraiment de : « Moi, je suis supérieur à toi » – non, ça ne se passe pas comme ça. Ici, c’est une grande famille.

Il y a une énorme solidarité…

C’est ça. Et puis quand même, rester plus de six mois dans la boue, le sang et les cadavres, ça vous forme…