Marion Bauer : Né d’une mère française et d’un père sicilien, vous vous prenez de passion aussi bien pour la littérature italienne que pour la langue française. Avant de connaître la consécration avec la traduction du Nom de la rose, vous traduisez Italo Svevo, auquel vous avez consacré un mémoire de maîtrise, ainsi que les premiers ouvrages de Leonardo Sciascia. Comment vous est venu le goût de la traduction ?

Jean-Noël Schifano : C’est une question fondamentale. Quand j’aurai répondu à cette question, je crois que j’aurai répondu à toutes les questions. Petit à petit, je me suis rendu compte de deux choses. D’abord, qu’il n’y a pas d’écriture, dans l’absolu, sans traduction. C’est-à-dire que chaque écrivain traduit selon son tempérament et savision de la réalité. Et cette même réalité va être traduite par un écrivain d’une autre façon. Si j’ai à traduire la place de la Contrescarpe, je la traduirai à ma façon en l’introduisant dans un roman. Et ainsi, de suite, le roman sera aussi une traduction de ma perception de la réalité. Une autre personne pourra traduire la place de laContrescarpe d’une autre façon. La traduction est fondamentale dans la création. Si on n’est pas traducteur, on n’est pas créateur. Traduire ses sentiments, traduire la réalité extérieure, traduire son cœur, traduire son sexe, traduire son être… C’est ça être écrivain. Donc l’être traducteur c’est l’être écrivain. Deuxièmement, point existentiel et autobiographique, je me suis aperçu que la traduction consistait pour moi à introduire la langue de mon père dans la langue de ma mère. C’était une création. Il n’y a pas de coït sans traduction. Il y a une augmentation de l’être dans le rapport amoureux et cet être est le fruit d’un passage de langues. Donc pour moi, c’était quelque chose d’existentiel, d’essentiel… Et cette chose a trouvé sa résolution de deux façons : en traduisant les plus grands écrivains italiens du XXe siècle et en écrivant des récits, des chroniques et des essais sur l’Italie actuelle et notamment centrés sur Naples. Naples est mon point fixe, le point de feu de mon existence.

En 1982 paraît votre traduction du Nom de la rose aux éditions Grasset. Pourtant, rien ne prédisposait Umberto Eco à connaître un tel succès – à nous en rappeler les multiples refus essuyés initialement par l’auteur. Comment vous êtes-vous retrouvé embarqué dans cette entreprise jugée de prime abord périlleuseet infructueuse ?

C’est très important car il s’agit d’abord d’une histoire unique, et pas seulement parce que c’est moi qui l’ai vécue. J’étais « là » ; le destin a fait qu’à la croisée des chemins j’ai eu à traduire Le Nom de la rose. J’habitais Naples. Le livre sort en 1980 en Italie et pour la deuxième fois après La Storia d’Elsa Morante je vois des pyramides de livres qui partent du sol des librairies pour monter jusqu’à hauteur d’homme. Pour Eco, c’étaient des pyramides de livres de couleur rose.

Comme je m’intéressais beaucoup à la littérature et à la littérature italienne en particulier, je prends un exemplaire sur place. Je le lis. Et je trouve par la suite qu’il a d’énormes qualités, surtout en ce qui concerne sa construction romanesque. J’ai tout de suite été très sensible à cette construction rigoureuse qui éclate singulièrement à chaque chapitre pour rebondir dans un autre au travers des crimes évoqués. C’est assez unique. Une fois que je l’ai lu, je le pose et je me remets à écrire mon premier livre sur Naples pour les éditions du Seuil. Un autre jour, dans la matinée, mon téléphone sonne. C’est le directeur littéraire des éditions Grasset, Yves Bergé, qui m’appelle. Il m’annonce que la maison vient de prendre un chef d’œuvre. Il me demande naturellement si j’ai lu l’ouvrage et je lui fais part de mon enthousiasme à son sujet. Ce qui l’amène à me proposer d’en faire la traduction. Convaincu que l’ouvrage allait faire un flop annoncé, il me propose de toucher 2% par livre. À savoir qu’à l’époque, on ne donnait même pas 0,5% au traducteur. Le nom du traducteur n’apparaissait même pas sur la couverture. Le traducteur était considéré comme quelqu’un de quasiment absent de la chaîne du livre, voire à cacher… Pourquoi me faisait-on cette offre ? Pourquoi essayait-on de m’attirer en me tendant un piège avec ces faramineux 2% ? Aujourd’hui je bénis ces 2% et cette époque où l’on tentait d’appâter les traducteurs en leur offrant un pourcentage trois fois supérieur à ce qu’on leur offrait d’habitude. Pourquoi donc ? Parce que Le Nom de la rose était refusé par tous les éditeurs. Tous. Et je l’ai su par Françoise Verny, grande éditrice avec qui j’ai fondé une collection de littérature italienne, qui à cette époque était passée de chez Grasset à Gallimard et de Gallimard à Flammarion. Et me voilà embarqué dans une histoire que je ne connaissais pas, vivant loin de Paris… Les rapports de lecture du Nom de la rose étaient négatifs, et ce même aux éditions du Seuil où était déjà publié Umberto Eco. « On n’y comprend rien », « Ce n’est pas un romancier », « C’est intraduisible » lisait-on alors ! Les éditeurs étaient bien embêtés par la traduction ; il fallait trouver quelqu’un d’innocent, une sorte d’idiot du village qui n’aurait pas le nez à Saint-Germain-des-Prés. Et ça tombait bien pour eux puisque moi, j’avais le nez dans le Vésuve. Et ce qu’il faut bien comprendre c’est que Le Nom de la rose était par conséquent suspendu dans les traductions du monde entier, tous les éditeurs du monde attendant qu’un éditeur français achète les droits pour pouvoir les acheter à leur tour. Un dimanche soir, l’épouse de Jean-Claude Fasquelle, Nicky, rentre chez elle. Je profite de cette anecdote pour souligner que Jean-Claude Fasquelle est à mes yeux un grand éditeur et un grand homme dans tous les sens du terme. Cette nuit-là, il est réveillé en sursaut par le rire tonitruant et presque diabolique de sa femme, comme un tremblement de terre à Naples. Elle était en train de lire Le Nom de la rose, alors refusé. Ce n’est pas que la scène soit amusante mais « Il y a un moine dans un abreuvoir, il a été assassiné. », lui dit-elle. Avec son puissant nez d’éditeur, Fasquelle achète les droits le lendemain, non sans susciter l’étonnement de ses collègues. À savoir que le Nom de la rose est un livre sur le rire interdit… Cette histoire a quelque chose de très romanesque. Mais la question de la traduction turlupinait toujours la maison de la rue des Saints-Pères. Et c’est donc ainsi qu’Yves Bergé a pris contact avec moi.

Puis vient la consécration. Avec le retentissement mondial de l’œuvre, vous vous retrouvez sous les feux des projecteurs. Le Nom de la rose se révèle être le filon providentiel de votre vie de traducteur.

Beaucoup étaient ceux qui ne croyaient toujours pas en l’avenir du Nom de la rose et le premier tirage était vraiment très bas. J’ai quand même eu le plaisir d’être à l’origine de cette première traduction mondiale. Pour résoudre les difficultés auxquelles ils étaient confrontés, les traducteurs du monde entier se sont référés à ma traduction du Nom de la rose en tentant de comprendre comment je les avais résolues. Cela a eu lieu il y a exactement 40 ans, puisque nous fêtons cette année le 40ème anniversaire de la traduction française du Nom de la rose. Et alors là, ça a été merveilleux car j’ai reçu le Grand prix de traduction Halpérine-Kaminsky de la SGDL (Société des Gens de Lettres de France). Dans le monde de la traduction, je n’ai jamais vu, ni pour moi ni pour d’autres, des éloges aussi fabuleux. Que les critiques mettent en avant la traduction d’un roman aussi important est une chose très agréable pour les traducteurs.

Ce devrait être une chose due mais jusqu’au Nom de la rose d’Umberto Eco, le travail des traducteurs était quasiment passé sous silence. À moins qu’il ne s’agisse d’une traduction faite par des figures aussi connues que Baudelaire, on cherchait toujours à déceler les failles des traducteurs. Mon travail a été reconnu avec de grandes louanges. Sans parler du film qui est venu par la suite relancer le livre et pour la réalisation duquel Jean-Jacques Annaud s’est référé à la traduction française. Tout a finalement été le contraire de ce qu’on avait imaginé pour la réception du livre en France. J’aime bien cette inversion des rôles et cette transgression de la pensée moyenne. Cette expérience a été une confirmation de l’importance de la traduction ainsi qu’une école d’humilité et de construction pour la rédaction de mes propres romans.

Le succès du Nom de la rose ne vient pas seulement secouer votre carrière. C’est toute la littérature italienne qui se retrouve soudainement propulsée sur le devant de la scène internationale.

Umberto Eco écrira six romans. Il a également écrit une parodie de Lolita, Nonita, où il dépeint un homme obsédé par les vieilles dames de plus de 80 ans. Il s’agissait alors de ses premiers exercices d’écriture romanesque. Le Nom de la rose est né, contre toute attente, d’un pari. Une journaliste fait part à Umberto Eco de son projet de collection de romans policiers de moins de 100 pages.

Ce à quoi il lui répond sur le ton de l’humour : « Si j’écrivais un roman policier, il prendrait place dans une abbaye au Moyen-Âge ! ». Et puis ça l’a travaillé. Quand il est rentré chez lui, il s’est dit qu’un livre comme ça ne ferait pas 100 pages. Il en ferait cinq fois plus. Petit à petit, il s’est pris au jeu et s’est mis à l’ouvrage. C’est une aventure pour l’auteur. C’est une aventure pour le traducteur. C’est une aventure pour l’éditeur, Jean-Claude Fasquelle. C’est une aventure pour tous ceux qui l’ont lu et le lisent. Et ça l’a été également pour les écrivains italiens contemporains qui étaient très peu connus avant Eco. Il y avait Moravia, Morante et puis Pirandello, pour parler du XXe siècle. Les éditeurs français prenaient seulement des échantillons de livres italiens ; c’était la langue la moins traduite en France avant Le Nom de la rose. L’œuvre d’Eco a joué le rôle d’une locomotive et a amené les éditeurs français à se pencher davantage sur la littérature italienne. Les éditeurs ont réalisé qu’il y avait un fort potentiel économique dans la littérature italienne ; des écrivains sont vraiment lus et leurs livres sont vraiment achetés. On oublie ou on méconnaît bien trop souvent cette fonction essentielle du Nom de la rose dans l’affirmation de la littérature italienne sur la scène mondiale.

D’un point de vue littéraire, nul besoin d’être un professionnel de la littérature pour réaliser que la traduction d’un tel ouvrage a dû être ardue. On parle tout d’abord d’un roman de plus de 500 pages, mobilisant des champs lexicaux religieux pointus, qu’il s’agisse de descriptions architecturales ou de savoirs scientifiques. Umberto Eco se plaît à voguer entre des registres soutenus et vulgaires, ce qui n’allège pas la difficulté de la tâche. Le lecteur croise le chemin d’insultes pouvant prêter à sourire : « fraticelle de mes braies », « péteur de minorité », « Merdre à toy, sale bogomile ! » ou encore « verge hérétique »… On peut également se demander comment vous vous y êtes pris pour traduire les langues anciennes et fictives mobilisées par l’auteur, comme pour le dialecte incompréhensible de Salvatore que Guillaume qualifie de « langue babélique ». Auriez-vous des anecdotes croustillantes à nous confier concernant ce travail de traduction ?

J’aime bien les défis, alors je me suis lancé dans l’aventure. Je reçois le contrat et je me mets au travail. Je m’immerge alors dans l’atmosphère du XIVe siècle et me plonge dans les ouvrages des chroniqueurs du Moyen-Âge à l’instar de Geoffroi de Villehardouin. J’avais à travailler, à malaxer le style authentique de Villehardouin avec ma propre traduction de l’italien contemporain d’Umberto Eco. Des phrases assez simples en somme puisqu’Eco a toujours préféré l’efficacité d’Alexandre Dumas au style travaillé d’un Manzoni ou d’un Flaubert. Et puis je devais aussi revenir aux textes qu’Eco citait ; je me rendais à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. C’est-à-dire que je suis allé retrouver les livres qu’avaient fréquentés Umberto Eco pour écrire Le Nom de la rose. C’est pour ça que cette édition est très amusante car elle reproduit les notes et les dessins préparatoires de l’auteur. On voit par quelles hésitations il est passé lors de sa conception, aussi bien pour « biner son jardin » que pour l’erreur initiale de la « courge », les potirons et les courges ayant été importés d’Amérique du Sud bien après le XIVe siècle. C’est une façon d’escalader à mains nues un haut sommet de la création. Tout comme Les Trois Mousquetaires est un haut sommet de la création.

Entre le vulgaire et l’obscène, je trouve que l’obscène a plus de qualités. Mais après tout, pourquoi pas le vulgaire. On parle bien de la langue vulgaire. Il faut savoir que Dante a écrit toute son œuvre en latin à l’exception de deux ouvrages : La Comédie, qu’on a fini par qualifier de divine tellement on la trouvait réussie, et la Vita nuova où Dante retrouve Béatrice au paradis. À cette époque, Dante écrivait alors dans la langue vulgaire, soit la langue du peuple. Dans l’abbaye du Nom de la rose, les moines parlent le latin couramment à l’exception de Salvatore, mais il faut bien comprendre que beaucoup de langues et de particularités linguistiques existent en Europe à cette époque. Umberto Eco disait par ailleurs que le XXIe siècle serait le siècle de la traduction. Salvatore mélange toutes les langues en parlant ; j’ai dû respecter cela dans ma traduction. Ce langage vulgaire est le langage de l’époque quand il ne s’agissait pas du latin. En fin de compte, le vulgaire c’est l’invention du langage. C’est grâce aux langues vulgaires que l’on a des images si belles et que la langue est vivante. Autrement tout le reste est figé par des dictionnaires et des grammaires.

Plus généralement, Le Nom de la rose est une mise en abyme de la littérature. L’écriture et la lecture y sont comme sanctifiées, non seulement intellectuellement mais également dans leur nature matérielle voire charnelle avec l’interdit érotique que symbolise la bibliothèque. « Comme dit un ancien proverbe, trois doigts tiennent la plume mais le corps entier travaille dur. Et endure », pouvons-nous lire.

Le Nom de la Rose est en effet un hymne à la création romanesque puisque tout ce qui reste de l’expérience du narrateur, c’est ce qu’il a écrit. Le roman dans le roman vaut toutes les sémiologies. Quand on traduit, on est comme un moine. Heureusement que l’on n’a pas tous son abbaye qui prend feu mais je me souviens que c’était indéniablement un pari physique, notamment pour Le Pendule de Foucault qui est encore plus gros que Le Nom de la rose. À l’époque, on tapait à la machine. J’avais une Olivetti lettera 35 et il fallait que je mette deux feuillets avec le papier carbone au milieu, et ce pour toutes les pages. Je m’en souviens encore, j’avais comme des barres dans les omoplates tellement j’étais tendu sur la traduction avec mes deux lutrins.

Umberto Eco, avant même d’être écrivain, est un sémiologue ; à rappeler que la sémiologie est l’étude des signes. Cela prend effectivement tout son sens à la lecture de certains extraits du Nom de la rose. La neige, lors de la découverte du corps du moine assassiné, est dépeinte par l’auteur tel un « parchemin », voire un « palimpseste » où « le corps des hommes laisse des écritures fort lisibles ». La traduction est également un exercice de sémiologie fort complexe. Une sémiologue néerlandaise, Dinda Gorlée, a écrit un ouvrage sur le sujet : De la traduction à la sémiotraduction (2015) en soutenant que la traduction consiste à tisser une « toile interprétative de signes » et que l’œuvre traduite s’imprègne donc de la « signature sémiologique » de celui qui l’a traduite. Qu’avez-vous pensé de cette dimension sémiotique lors de la traduction de l’ouvrage ?

Dans Le Nom de la rose, tous ces éléments sémiologiques constituent un jeu de pistes et font partie de l’enquête comme nous le montre la première scène du roman avec les traces du cheval de l’abbé qui a disparu. C’est un jeu d’intelligence. L’abbé finit également par trouver, par intuition et par rapprochement, comment les moines ont été tués. Guillaume de Baskerville rationnalise et prend de la distance par rapport aux évènements. La sémiologie nous fait pénétrer dans les labyrinthes du cerveau. Et j’essaye de sortir de tels labyrinthes dans la création. Quand je donne des conseils à mes auteurs, je leur dis : « Surtout, quand vous écrivez un roman, vous montrez. Vous ne démontrez pas. Si vous démontrez, c’est comme si, faisant l’amour avec la femme que vous aimez, vous lui ouvrez le ventre voulant savoir comment ça marche. En démontrant, vous tuez le roman. » Et pour moi, ces exercices intellectuels sur la traduction me font tuer le plaisir de la traduction. J’ai besoin du plaisir. Tout ce que j’ai entrepris dans ma vie, c’était par plaisir. Sans plaisir, je ne fais rien. J’ai toujours refusé de traduire les essais d’Umberto Eco et c’est un point fondamental pour moi. La théorie ne m’intéresse pas.

Ce qui m’intéresse c’est la pâte, la chose pratique, la création en somme. Pas le langage sur la création et le comment du pourquoi. J’admire ceux qui jonglent avec tous ces mots savants mais ce n’est pas mon domaine. Par contre, dans la création, si je dois employer un mot très précis qui est englobé dans un discours pour séduire une femme par exemple, je l’emploierai, mais il fera partie de la caresse du discours.


Jean-Noël Schifano est écrivain et éditeur parallèlement à ses travaux de traduction. Il est le créateur et le directeur littéraire de la collection Continents Noirs aux éditions Gallimard et s’est engagé pour que les poètes de la négritude, à savoir la trinité Césaire-Senghor -Damas, fassent leur entrée dans la Pléiade. Fou passionné de Naples, il est citoyen d’honneur de la cité parthénopéenne et a été directeur de l’Institut français de Naples ainsi que du musée d’art contemporain Creator Vesevo.

Un commentaire

  1.   À Rochebin qui, dans une question portant sur l’éventuelle nécessité d’une paix négociée, demande à Zelensky d’admettre que nous, le métapeuple internationaliste, n’irons pas à Moscou (neutraliser Poutine et renverser l’autocratie panrusse au risque de légitimer une riposte de gigantomachique ampleur de la part d’une hyperpuissance que nous aurions confrontée à une menace existentielle), le président de l’Ukraine choisit de répondre à côté en affirmant que son pays n’a aucune intention de conquérir Moscou, Saint-Pétersbourg ou une quelconque portion de la fédération de Russie.
      Très bien, mais alors, quelle alternative à la négociation hormis la capitulation ? Ouh là !  il semble qu’à force d’hitlériser la contre-attaque du néobloc de l’Ouest, on se soit enferré dans l’hallucination analogistique jusqu’au suicide du grand méchant à l’intérieur d’un bunker idéal via lequel les 363 raids de l’OTAN sur Poutingrad auraient ratatiné l’hubris de son empire mort-né.
      Une hirohitoïsation, quant à elle, nous amènerait à concevoir un futur dont l’irrestaurateur Poutine participerait de l’équation, en tant qu’il survivrait à la bonne rouste que lui aurait flanquée sa tarantinoïaque et indésukrainisable Petite Rus’. OK, sauf qu’on ne convainc pas l’incarnation du Soleil de sa subordination aux Lumières sans recourir pour cela à la manière forte de chez forte. Une octave de décades plus haut, la capitulation d’un axe du mal détenteur de Satan 2 paraîtrait moins plausible.
      Il y a un point sur lequel nous serons toutefois enclins à parler d’une seule voix : l’impossibilité de se fier à la parole d’un violeur récidiviste dont le degré de brutalité n’a d’égale que le taux de vanité qui enivre son être littéralement médiocre. Poutine est parvenu à se hisser au-dessus de sa condition d’origine, à se forger un destin hyperpuissant qu’il n’aurait jamais osé endosser dans ses rêves les plus arachnéens, cette authentique prouesse étant d’autant plus périlleuse que le colon aux pieds d’argile s’accroche tel un alien évanoui à l’hypoderme de son totem rêvé.
      Malfaisant jusqu’au bout des ongles, Poutine enjoint son homologue français de bien visualiser Zelensky à la séance de boxe, avant de taper dans le sac de frappe. Il sait pertinemment que la France n’a jamais eu l’intention de se rendre complice des crimes de guerre de la Russie en Tchétchénie, en Syrie, en Ukraine, ce qui ne l’empêche pas et l’inciterait plutôt à se faire comprendre de son jouet géopolitique en lui montrant ce qui représente pour lui un véritable ami de la Russie, en l’espèce un chevalier de la nébuleuse terroriste et/ou mafieuse qui va se voir confier une mission des plus obscènes, comme par exemple assassiner ses propres père et mère en échange d’un adoubement assorti d’une assurance-vie.
      Nous n’avons pas besoin d’être enrôlés dans votre escouade de picadors pour défendre nos intérêts vitaux, foutu tigre en origami. Serrez les crocs autant qu’il vous plaira, nous n’en continuerons pas moins à chanter les louanges d’un modèle de civilisation où le sel de l’univers — le devoir qu’induit notre universalité — et le duel indivis — le droit qui fonde nos individualités — sont des notions interdépendantes qui ne sauraient s’exclure l’une l’autre.
      Voyons, la Bête ! vous étiez-vous imaginé que l’empire des droits de l’homme programmerait son déclin pour vos beaux yeux ?