À chaque grande manifestation sportive organisée par un régime totalitaire ou autoritaire, des responsables politiques, des journalistes, des « influenceurs » viennent clamer qu’il ne faut surtout pas mélanger sport et politique. Le dernier en date fut Emmanuel Macron, déclarant devant l’équipe de France de foot sur le point de s’envoler pour le Qatar, « Je pense qu’il ne faut pas politiser le sport ».
Ce type de tarte-à-la-crème, contredite par plus d’un siècle de grandes manifestations sportives organisées par des dictatures, nous a été resservie à Doha au Qatar par Gerald Darmanin, notre ministre de l’Intérieur venu représenter la France à l’ouverture de la coupe du monde de football 2022 : « Le sport est une compétition qui doit se tenir en dehors des enjeux politiques. »
Mais, hélas pour nos politiques, qui ne veulent pas désespérer les millions de leurs concitoyens spectateurs de ce type de compétition, le Sport et les grandes compétitions internationales ont toujours été Politiques. La grande compétition sportive est même l’évènement politique international par excellence, mis au service des régimes totalitaires et impérialistes. Quelques rappels historiques nous ont donc semblé nécessaires.
Depuis l’avènement du sport spectacle et de sa diffusion par des moyens de communication de masse, les grandes manifestations sportives sont devenues une arme de propagande des régimes totalitaires. Dans la construction de l’image de ces régimes, ces compétitions permettent de rassembler des foules immenses, de magnifier le culte du corps, de développer des parallèles guerriers, et de promouvoir les valeurs nationales et de réussite de ces régimes.
L’organisation des coupes du monde de football comme des Jeux Olympiques ont donc servi, depuis près d’un siècle, à tous les régimes totalitaires d’affirmer « leur suprématie », tant pour leur peuple qu’aux yeux du monde.
Comme l’a démontré brillamment Daphné Bolz dans « Les arènes totalitaires, Hitler, Mussolini et les Jeux du stade » : « Dès leur arrivée au pouvoir, les régimes nazis et fascistes se sont emparés des cadres du mouvement sportif pour les diriger et le promouvoir ».
Ainsi la coupe du monde de football 1934 en Italie permit la construction du plus grand stade d’Europe à Bologne, futur lieu de rassemblement et d’embrigadement des foules italiennes. Mussolini profita de cette coupe et exigea que sur les affiches représentant ce « Mondiali », un footballeur fasse le salut fasciste.
Cette récupération politique fut accentuée par les Jeux de Berlin de 1936. L’Allemagne démocratique obtint les jeux en 1931, après l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933, de nombreux pays souhaitèrent organiser les Jeux ailleurs, mais le Comité International Olympique (CIO) était composé de nombreux sympathisants du régime nazi. Il déclara « Le CIO s’occupe uniquement de sport amateur… il ne doit pas se laisser entraîner dans des controverses raciales, religieuses, sociales et politiques d’aucune sorte ». Ainsi les Jeux eurent lieu dans un stade gigantesque de 110.000 places, « l’Olympiastadion » voulue par Hitler, où tous les spectateurs firent le salut nazi devant un Führer enchanté. Les jeux furent nazifiés sans réelles protestations. Une des médailles commémoratives y allie la croix gammée aux anneaux olympiques.
Depuis la guerre, de telles manifestations permirent encore à de nombreuses dictatures de promouvoir leurs régimes, museler leurs populations et parfois lancer des guerres.
Et pourtant Gerald Darmanin nous expliqua à Doha « C’est par ce genre d’événement qu’on va les faire évoluer. À partir du moment où on a choisi un pays pour organiser un événement international comme la Coupe du monde de football, il faut accompagner ce pays ».
Le Qatar est une monarchie absolue où les partis politiques sont interdits, la charia est appliquée. C’est un régime islamiste, soutien actif des frères musulmans et proche de la dictature islamiste iranienne. Le Qatar évoluera-t-il, et dans quel sens, après le succès de sa coupe du monde de football 2022 ?
L’histoire d’un siècle de compétions sportives internationales organisées par des dictatures ne nous laisse que peu d’espoirs contrairement à notre ministre.
En 1935, un an après l’organisation de sa coupe du monde de football, l’Italie fasciste envahit l’Éthiopie.
En 1938, deux ans après ses jeux, l’Allemagne nazie annexe l’Autriche, démantèle et envahit la Tchécoslovaquie, puis un an plus tard lance la seconde guerre mondiale.
En 1978, la dictature argentine organise la coupe du monde de football bien que depuis deux ans des dizaines de milliers d’opposants argentins soient assassinés. Le général Videla exultant, remet la coupe à son équipe. Quatre ans plus tard, l’Argentine envahit les Malouines anglaises.
En 1980, les JO se tiennent à Moscou et, pour une fois, l’aventure impérialiste a précédé cet évènement, puisque l’URSS, six mois plus tôt a envahi l’Afghanistan.
En 2008, les JO de Pékin permettent d’affirmer la toute-puissance de la Chine, renforcer sa main mise sur le Tibet occupé, persécuter les Ouïghours et, à partir de 2014, revenir sur son accord avec la Grande-Bretagne et progressivement annexer Hong-Kong et y détruire les libertés.
En 2014, la Russie envahit la Crimée et l’annexe cinq jours après la fin de ses Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi puis, en avril, lance sa première invasion du Donbass.
En 2018, la Russie toujours, voit peut-être dans la réussite de sa coupe du monde de football, malgré ses occupations du Donbass et son annexion de la Crimée, un encouragement à aller envahir l’Ukraine le 24 février 2022. Invasion que Poutine attendra de lancer pour laisser à son allié chinois le temps de terminer quatre jours plus tôt ses Jeux Olympiques d’hiver.
Et même quand les JO sont organisés dans un pays démocratique, comme l’Allemagne de l’Ouest en 1972, la tarte-à-la-crème « ne politisons pas le sport » nous fut resservie. Quand le 5 septembre, onze athlètes israéliens furent assassinés par des terroristes palestiniens, le CIO n’interrompit pas les jeux. Le lendemain, ils organisèrent une cérémonie commémorative durant laquelle le président américain du CIO, Avery Brundage, ancien soutien d’Hitler, prononça un discours saluant la force du mouvement olympique, sans mentionner les athlètes assassinés, et déclara que les Jeux devaient continuer. Lors du match de reprise, une banderole apparut portant l’inscription « 17 morts, déjà oublié ? ». Des agents de sécurité la saisirent et expulsèrent les spectateurs qui l’avaient déployée. Oui, il ne faut pas « politiser le sport ».
Le sport et sa capacité à mobiliser des foules énormes a toujours été utilisé sciemment par les régimes totalitaires du XXème et du XXIème siècle pour promouvoir leur image et leur idéologie. La diffusion de masse par la télé et les supports numériques de ces évènements n’a fait que renforcer cette tentation. Ainsi 3.572 milliards de personnes, soit un humain sur deux, ont suivi la Coupe du Monde de foot en Russie en 2018 et la finale a rassemblé 1,12 milliard de téléspectateurs à travers le monde.
Pour le Qatar, l’histoire est déjà en partie écrite pour cette coupe du monde de 2022. C’est un désastre des droits humains, une gabegie financière et une catastrophe écologique. Le directeur du tournoi Hassan al-Thawadi a enfin reconnu que 400 à 500 travailleurs migrants seraient morts sur les chantiers, là où plusieurs ONG les comptent plutôt en milliers. Le Qatar a dépensé 220 milliards de dollars pour cet évènement, soit près de cent fois plus que la France en 1998 avec 2,3 milliards de dollars et vingt fois les investissements records de la Russie en 2018 avec 11,6 milliards de dollars pour les mêmes compétitions. Cette somme représente la moitié du plan d’investissement voté cet été aux Etats-Unis pour le climat, la santé et l’emploi. Enfin, entre les stades climatisés et la bétonisation du désert le bilan carbone serait négatif de 3,6 millions de tonnes de CO2 émis lors de cette Coupe du monde.
L’importance grandissante accordée aux grandes manifestations sportives internationales, coupes du monde et Jeux Olympiques, incitent les régimes dictatoriaux actuels à obtenir l’organisation de ces manifestations. Les buts poursuivis restent identiques à ceux des régimes totalitaires du XXème siècle : mobilisation de leur peuple derrière un idéal nationaliste, grands travaux pour affirmer leur puissance, visibilité médiatique pour promouvoir les succès de leurs régimes, influences politiques via « le soft power » procuré par l’accès si recherché aux droits de diffusion.
Laissons le dernier mot au réinventeur des Jeux Olympiques, Pierre de Coubertin :
« Les sports ont fait fleurir toutes les qualités qui servent à la guerre ».
Et ce soi-disant humaniste salua avec émotion la bonne tenue des JO de Berlin :
« Comment voudriez-vous que je répudie la célébration de la onzième Olympiade, puisque(…) cette glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement qu’elles ont connu ? ».
Ne mélangeons surtout pas Sport et Politique, n’est-ce pas ?
Comme Alain Finkielkraut, j’avais pris la décision de boycotter le mondial au Qatar, et contrairement à lui, j’ai tenu ma résolution. Néanmoins, lorsque je superpose à l’issue prochaine d’un match France-Maroc une série de débordements ayant déjà eu lieu à Bruxelles, mais aussi à Paris, lors d’une victoire des Lions de l’Atlas contre les Belges… les Portugais, je n’ignore pas que j’évoque là des faits hypothétiques, dont la probabilité a toutefois convaincu le ministère de l’Intérieur de prendre des mesures drastiques par anticipation.
Est-il bien raisonnable, me direz-vous, de recourir ainsi au principe de précaution à l’approche d’une rencontre au sommet entre terre ancestrale postprotectorale et terre d’accueil postcoloniale, pour le meilleur et pour le PIR ? Eh bien, puisqu’on m’appelle à ouvrir le portail d’un pâturage hypersurfacial où je n’ai jamais eu ni l’intention ni le pouvoir d’orienter la rumination de quiconque, je vais me borner à m’interroger sur les causes d’un processus de condensation qui, visiblement, ne s’opère pas qu’en moi.
Ai-je vu des supporters marocains s’en prendre aux forces de l’ordre marocaines après que les Gens du nord étaient rentrées dans leur trompe-l’œil ? M’a-t-on montré des scènes de pillages et de dégradations à Rabat au cours desquelles des véhicules de transport de marchandises furent vandalisés par une foule que galvanisait un esprit de conquête ayant franchi le stade critique de l’incontinence ?
On s’explique la docilité des sujets supporters du Maroc par le degré de répression des rétablisseurs de l’ordre monarchique. J’aurais tendance à croire que leur comportement diverge selon que l’uniforme est panarabe ou ne l’est pas. Quand le drapeau de l’Oumma flottera sur Bruxelles tel que préconisé par les prédicateurs d’Al Jazeera, le calme reviendra en UE, du moins chez les petits soldats en survêt noir de l’Infragrande Armée de l’Uchrocalifat mondial. Ceci n’est pas une prophétie. À moins qu’il ne s’agisse d’une prophétie à l’envers, ce qui ne m’amuse guère.
Il n’est pas forcément inapproprié qu’un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies — on ne pouffe pas — ne craigne pas de montrer au Maître-Daechien que celui de leurs deux États qui tient l’autre par les canons et leurs boulets, n’est pas celui qu’on croit, en allant assister en Barbarie à un match de réconciliation postcoloniale, pardon ? oh ! au temps pour moi… de réactivation d’un choc des impérialismes entre démocratie mondiale et panrussisme, pansinoïsme, panarabisme — la régurgitation du drapeau palestinien sur les scènes de liesse consécutives à la victoire du Maroc paraîtrait incongrue si l’on ne prenait pas en compte un chromatisme pan-nationaliste sur lequel s’est toujours alignée la Reconquista islamica en Terre sainte et, si possible, au-delà ; rien à voir donc avec les exactions entre supporters français et britanniques, — il me semble que les Français d’origine maghrébine ont quelque chose en commun avec leurs compatriotes français qui devrait les empêcher de réagir à la victoire d’un pays membre de la Ligue arabe en adversaires irréductibles de leur propre patrie.
Non content de coller un postiche hitlérien au président-réparateur du crime imprescriptible qu’aura été la Shoah par balles pour un peuple ukrainien qui ne se permet plus de cacher l’antisémitisme ancestral de son église sous le tapis Rouge de la libération d’Auschwitz, l’ex-chauffeur de trône du démocrateur Poutine justifie le réarmement ou, pour être plus précis, la modernisation de la doctrine de son pays quant aux « moyens de destruction » que ce dernier va devoir développer eu égard aux « nouveaux principes » que lui imposerait d’établir la globalisation politico-financiariste et ses présupposés impérialistes, il justifie ce basculement dans la préguerre mondiale, dis-je, par la résurgence d’un trauma collectif dont le facteur déclenchant ne se serait pas « retranché uniquement dans le gouvernement de Kiev, (mais) aussi en Europe, en Amérique du Nord, au Japon, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans d’autres endroits ayant prêté allégeance aux nazis de notre temps ».
Je vous le concède, camarade Medvedev, les nazis ont raflé chez nous un titre mondial que votre paradis sanglant ne songerait pas à leur disputer. Sauf qu’il y a une raison à cela. Tandis que nous sombrions dans le plus noir des totalitarismes, de votre côté, vous n’étiez pas en reste en matière de naufrage. Alors d’accord, vous n’avez pas sur votre conscience le poids de la culpabilité ou de la complicité relative à un crime d’extermination qu’aucune famine planifiée ou goulag à perpétuité ne parviendront jamais à égaler si sur le fond ni dans la forme. Vous ne l’avez pas, car les crimes qui vous hantent au point de les refouler tous, car leurs ruches d’auteurs mielleux, leurs fourmilières de co-auteurs scrupuleux, ne vous font pas défaut. Vous n’avez pas Hitler dans votre immense histoire, car vous avez Staline, car vous traînez Nicolas Ier. Une barbarie basique, préhistoresque, médiévante, le plus souvent classique et, par certains aspects, moderniste, à en juger par l’empressement avec lequel vous vous projetez vous-même dans l’horizon sinistre que vous nous promettez.