1/ Scène vue, revue, avec rewind, ralenti, loupe, arrêt sur image: le Jabulani (« lion qui rugit » en swahili…) de Lampard avait bien franchi la ligne des cages germaniques. A cet instant béni, les Anglais revenaient au score, tandis que l’âme du combat (courage, panache, fighting spirit…) changeait de camp. C’était le contraire de la finale de 1966, quand le but avait été accordé, à tort, à des Britanniques peu regardants. Un demi-siècle d’attente pour que justice soit rendue? A quand un but frauduleux (avec la « main de Dieu ») contre l’Argentine?

2/ Vu, revu, et encore revu, l’incontestable hors-jeu du taurin Tevez quand il dévie de la tête le ballon que Messi vient de lui adresser avec une désinvolture céleste. Les Aztèques ont hurlé. L’arbitre a douté. Le sélectionneur s’est fâché. Rien à faire. Un but, c’est un but. Et puis, MM. Blatter et Platini n’aiment pas la vidéo. Tant pis pour le Mexique.

3/ De tous côtés, la foule crie vengeance. La foule, pour une fois, veut que la justice triomphe. Que le sport soit équitable. Que le facteur humain soit expulsé de l’arène. C’est ça qu’il veut, le peuple. Mais le veut-il vraiment?

4/ Je tiens pour vrai, au contraire, que si le foot s’enracine aussi profondément dans l’humain, c’est parce qu’il offre le spectacle de l’injustice impunie. Ce qu’on vient y chercher: le goût du pêché, du clinamen avantageux, du mal savouré en douce, de l’enrichissement sans cause, de l’aubaine. Le foot, c’est la ritualisation de l’arbitraire qui tombe du bon côté, racontant ainsi l’antique saga des dieux qui s’ennuient sur l’Olympe, et qui jettent leur casque ou leur glaive dans le fléau d’une balance qui penche favorablement.

5/ Imaginons un football sans injustice. Sans main de Thierry Henry. Sans Schumacher non expulsé après avoir fracassé les cervicales de Battiston. Sans ses illustres tricheurs auto-trébuchés dans la surface sacrée. Sans les hors-jeu mal jugés. Sans les coups de coude ni vus ni connus. Sans triche donc, mais avec machine à remonter le temps (vidéo), avec juges, Cour Suprême Permanente, Board de Moralité, dénonciation, flagellation, repentirs. Imaginons ce football sans virus, sans mauvais germe ni bad boys. Résultat: ce serait une histoire d’ailleurs (du Paradis?), peu humaine, trop propre, privée de sa saveur maléfique. A quand un Shakespeare sans ses traîtres, ses faibles, ses lâches, ses damnés.

6/ Ce qui m’amuse, au début de chaque match, ce sont ces joueurs qui se signent, ces marabouts qui lâchent leurs coqs ou leurs saints reptiles, ces sorciers qui transpercent une poupée aux couleurs de l’adversaire, ces supporters qui supplient le Tout-Puissant d’offrir la victoire à leurs maillots. Question: pourquoi Dieu préférerait-il le Ghana au Paraguay? La Slovaquie à la Hollande ou au Japon? Par quelle bizarrerie de la croyance en vient-on à se figurer un Dieu aussi frivole? Aucune réponse recevable. Aucune, sinon celle-ci: dans un match, on réclame le droit d’être choyé par la Providence. D’être préféré sans raison. Injustement. D’où l’adoration secrète de ceux qui ont obtenu ce que la légalité leur refusait. Jouir malgré la Loi. Et à travers elle. Une vieille histoire…

7/ D’où il ressort que le football sert d’abord à illustrer, à blanc, cette zone noire de l’humain. A fixer (comme une substance fixe un parfum) l’excès, l’hubris, l’intention mauvaise, la transgression impunie. Ce fixatif, loin d’être anomique, reste l’essence du culte. Il purge l’esprit. Le décongestionne pendant quatre vingt-dix minutes. Le rend meilleur quand la parenthèse se referme et quand le réel, politiquement si correct, reprend ses droits. A chaque match, sa dose de mauvais esprit. Intoxication provisoire. Cure de fraude. Hold up. Cette religion-là parie sur ce qu’il y a de pire chez l’individu. Elle est efficace en vertu de ses vices. Et c’est la raison pour laquelle aucun Luther, jamais, ne la réformera.

6 Commentaires

  1. Attendez… Je rêve où vous faites l’éloge de la triche?
    A quoi a servi la main de Thierry Henry?
    Nous n’avions pas le niveau… Cette main a permis de nous cacher la chose un instant mais on a vite été démasqué.
    La triche ne paie pas.

  2. C’est, en effet, ce que nous voulons tous.
    Sans quoi cet sport magnifique deviendra seulement une machine à sous qui n’intéressera que ceux qui n’aiment pas vraiment le foot et qui ne s’y intéressent que lors de la coupe, juste pour faire la fête et porter des maillots…
    Je n’ai rien contre la fête et les maillots mais cet sport mérite bien plus que cela.

  3. « si le foot s’enracine aussi profondément dans l’humain, c’est parce qu’il offre le spectacle de l’injustice impunie. »
    Très juste!

  4. Arrabal a raison!!!! !!!!!
    Il nous faut du foot sans arbitre!!! Puisque les arbitres sont l’invention de Staline. Lol.

  5. Je suis une rare amatrice de foot et viens de trouver dans vos mots la déception qui est la mienne dans cette coupe…

  6. Vous mettez fin enfin à ce qui était encore pour moi jusqu’aujourd’hui, 29 juin 2010, 13 heures 27 minutes, un objet d’incompréhension. C’est sans doute, à cause de la taille du terrain, du nombre des joueurs, du poids du ballon, de la rapidité avec laquelle ceux-là se déplacent en courant après celui-ci, de l’inclinaison nulle de l’aire de jeu où sont précipités joueurs et arbitre en une même cohue, des gestes de certains joueurs occultés par le corps des autres qui traversent le décor ou lui rentrent dedans, pour cette anarchie bien ordonnée qui facilite sur un terrain de football plus que sur une piste d’athlétisme, un circuit automobile ou un parcours de compétition hippique, le contournement de la Loi, que le football devait devenir au siècle de la résurrection païenne, le sport mondial n°1.