L’Europe et la France ont une amie en moins, Poutine et Marine le Pen une amie de plus : l’Italie de Giorgia Meloni, la nouvelle petite sœur néo-fasciste des 25 % Italiens qui, cent ans après la Marche sur Rome de Mussolini, ont mis au pouvoir sa descendance historique directe, dans un come back idéologique à peine masqué de populisme 2.0.
Une fois de plus, après Vienne avant-hier, Budapest hier, la Suède aujourd’hui, l’Histoire se répète. Quand, prises en tenaille entre une ultra-droite décomplexée en pleine ascension populiste et les centristes modernes, les droites bourgeoises, en Europe, ne faisant plus recette, cèdent aux sirènes de l’extrême-droite, s’allient avec elle pour sauver leur famille politique en péril, les Meloni, les Orban, les Le Pen demain arrivent aux portes du pouvoir sans coup férir. Et les inconscients ou les cyniques qui, à droite, leur ont fait la courte échelle, le paient de leur sujétion et, à défaut, de leur disparition accélérée. Bientôt coupée en deux, entre ralliés d’un côté devenus les nouveaux compagnons de route des infréquentables de la veille, et les gardiens de la vieille maison, qui, ne cédant pas sur les valeurs républicaines, rallient, faute de mieux, le giron centriste, c’est la fin sans gloire qui sonne pour les Droites traditionnelles en Europe quand elles baissent la garde sur leur flanc droit. Exemple a contrario : la CDU allemande a tenu victorieusement face à l’AFD néo-nazie, sans rien lui concéder dans les actes ni dans les mots.
Ce scénario du pire qui vient d’advenir en Italie, où Silvio Berlusconi, hier Président du Conseil, n’est politiquement plus que l’ombre de lui-même, où tous les apprentis sorciers, Salvini et d’autres, ont mordu la poussière, chacun ici en France le sent bien, à commencer au Rassemblement national, pourrait bien se reproduire à l’horizon 2027, si les Républicains, entre modérés et immodérés à la sauce Ciotti, continuent à se chercher et tourner en rond sans bien trancher s’ils sont, un jour, dans l’opposition frontale et réactionnaire au Macronisme, le lendemain dans le compromis de raison à l’Assemblée nationale. Mais n’est-il pas trop tard pour sauver le soldat Républicain ?
Pour l’heure, pleurons sur notre sœur latine, nouveau laboratoire du grand bond en arrière d’un pays qui inventa, il y a plus de deux mille ans, la République puis la citoyenneté pour tous les habitants de l’empire, inventa de nouveau l’humanisme de l’homme à la Renaissance, donna à l’Europe quelques-uns de ses meilleurs fils, de Dante à Gramsci, via Casanova et Verdi, sans oublier le cinéma néo-réaliste d’après-guerre et les plus belles actrices du monde. C’est tout ce merveilleux héritage qui doit servir demain à la résistance des démocrates italiens. À demain Marcello, à demain Monica, à demain Federico !
L’Italie mal-aimante de Giorgia Meloni a gagné une bataille contre elle-même, elle n’a pas gagné la guerre de civilisation qui pointe, avec, cette fois, le Vatican du pape François du bon côté de la ligne de crête séparant deux Italies qui ne vivent pas dans le même pays.
Quand les menaces de Grexit raidissaient nos comptables au point de leur faire pousser le socle des Lumières dans les bras d’un empire effondré dont peu d’entre nous s’inquiétaient alors de le voir se dresser sur ses pattes arrière en attirant vers sa fédération l’antique berceau à la dérive des chrétiens d’Orient, je plaidais déjà pour une discussion franche entre les membres d’une famille dont je me refusais à participer du sabrage qu’elle s’apprêtait à s’infliger.
Non, camarades, je ne suis pas atteint de melonite aiguë.
En revanche, je n’ai aucune leçon à recevoir en matière d’européisme, et surtout pas d’un canonnier erdoganiste dont la liaison chtonienne qu’il noue avec mon Europê rapproche du gobinisme plutôt que de l’universalisme de nos pères fondateurs.
Entre la Marseillaise antijuive de Max Régis — Pourtant à la mer / Il ne manque pas / De bateaux pour les rastaquouers / Pour les mener au fond des eaux — et la Panarabiaise millénariste du président de la République algérienne Houari ‘Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire’ Boumédiène, je continue de sillonner les rues bondées sous le soleil de midi, une lanterne à la main, tel Diogène ou Macron, à la recherche de la troisième voie.
Mais permettez que j’ajoute un bémol à ma noble armature. J’ai bien senti que je poussais le bouchon un peu loin en établissant un parallèle entre le postcommunisme d’Aléxis Tsípras et le postfascisme de Giorgia Meloni. Pour ne rien vous cacher, j’ai souvent détecté un soupçon de mauvaise foi prononcé chez mes compagnons de route marxistes-léninistes, en particulier lorsqu’ils persistaient à défendre des régimes anti-occidentaux ou plus généralement antiaméricains (l’antisionisme est compris dans le package), dont je leur démontrais que ces derniers contredisaient toutes les valeurs que nous avions chevillées au cœur. Inversement, chaque fois que j’ai croisé le fer avec un légitimiste bon teint que son suprémacisme refoulé avait rendu livide suite à un bref échange de balle, j’eus la vive impression que mon déchoyeur de nationalité ne jouait pas au con. C’est donc du manteau virginal de sainte Giorgia que nous nous méfierons en premier, sachant que sur les terres de Nick Machiavel, on s’attendrait à ce qu’une fine lame en politique en garde un peu sous le coude et n’entre jamais sur la piste du Colisée diplomatique sans avoir revêtu au préalable un masque vénitien.
La droitisation de la droite et la gauchisation de la gauche vont et iront de pair.
Mettre de l’eau droite dans son vin gauche ou de l’eau gauche dans son vin droit.
Ce ne serait pas être et de droite et de gauche, quoique… non ! enfin… pas exactement.
Ce serait mieux que ça.
Assurément, cela n’aurait pas été conçu pour compenser ni davantage vécu comme palliant la déperdition de vigueur du pluralisme politique.
En sorte que l’ivresse du pouvoir nous quitte, nous allons devoir compter avec, ou plutôt sur la juste remontrance des camps adverses pour nous sortir de cette mélasse d’exacerbations résiduelles qui, d’un côté comme de l’autre, nous attire vers le fond.
« Vous savez que vous pouvez compter sur notre soutien loyal à la cause de la liberté du peuple ukrainien. Restez forts et gardez votre foi inébranlable ! »
Sur quoi se fonde la loyauté de Giorgia Meloni lorsqu’elle choisit de s’adresser en ces termes au chef de l’Ukraine libre ?
Du côté de Moscou, on y verra la confirmation d’une prospère accointance entre deux leaders européens et l’engrais du fascisme et du nationalisme qu’ils auraient en partage.
Du nôtre, nous voulons bien donner sa chance à une ex-ado avide de testostérone préférant se rêver en Sabine enlevée par les dynamiteurs de la Cité de Dieu avant qu’ils ne la livrent au Duce en Personne, plutôt que de céder au syndrome de Stockholm en s’enrôlant par la force des causes dans le Brigate Rosse, — pas sûr que nous eussions été aussi amène avec cet ancien membre de la Légion française des combattants et des volontaires de la révolution nationale quatre fois candidat à la fonction suprême, si les maîtres-chanteurs qui lui filaient le train avaient craché le morceau.
C’est vrai, chacune de vos dernières déclarations européistes nous ont poussé à réfréner nos élans de méfiance à l’égard de l’effrayante coalition dont nous ne vous cachons pas que nous souhaiterions vous la voir dompter à la Sarko ou à la Benoît XVI, mais attention, Donna Giorgia ! votre CV vous oblige presque autant que celui très chargé de votre immense nation. Cette charge bien lourde n’est pas faite pour de frêles épaules.
Vous les avez solides ? OK.
Nous vous avons à l’œil.